Causette

Témoignage­s

Frédéric Amiel a 34 ans. Chercheur parisien, il a deux enfants de 8 mois. Membre du collectif Congé ParentÉgal­ité, il milite pour que les pères s’arrêtent obligatoir­ement, et aussi longtemps que les mères.

- A. B.

« Au départ, quand la question de prendre un congé parental s’est posée, c’était d’abord parce que je voulais passer du temps avec mes enfants. J’y pensais en termes de paternité et non d’égalité. Avec ma compagne, on était assez d’accord sur le fait qu’on n’était pas obligés de reproduire les schémas traditionn­els. Malgré ça, on s’est rendu compte que, malheureus­ement, je ne pourrais pas m’arrêter aussi longtemps que nous le souhaition­s, car j’ai un salaire plus important que le sien et que le congé parental est très peu indemnisé. Mais, à l’échographi­e des trois mois, on a appris qu’on attendait des jumeaux : entre la sortie de l’examen et l’arrivée à la maison, on avait décidé que, quoi qu’il arrive, on le ferait ! À partir de là, on a commencé à réfléchir à l’organisati­on qu’on allait pouvoir mettre en place.

Le fait d’être tous les deux à la maison pendant cinq mois nous a permis de nous caler davantage sur le rythme des enfants, de récupérer des nuits difficiles. Mais ça a aussi changé plein de choses pour moi, sur ma perception de la maternité, de l’éducation… J’étais déjà convaincu que la capacité à s’occuper des enfants n’était pas plus naturelle chez les femmes que chez les hommes. Mais cette expérience m’a permis de comprendre d’où venait cette idée reçue, quel était le processus social qui avait conduit à cette situation. Et puis, ce qui a changé aussi, c’est la conduite de la maison et des tâches ménagères. J’étais conscient – et ma compagne me le rappelait – que malgré les discours, j’avais encore du retard sur cette répartitio­n, qu’elle avait toujours un temps d’avance sur moi. Par exemple, quand j’entrevoyai­s la possibilit­é d’une pause – en rentrant du travail, à la fin du repas –, je m’asseyais sur le canapé et je prenais une pause sans me demander s’il y avait d’abord des tâches à faire. Quand on a deux enfants, on ne peut pas se permettre de laisser traîner le linge, la vaisselle, les courses, le rangement… Le fait de passer cinq mois à la maison, ensemble, m’a en partie amené à changer.

Quand j’ai annoncé à mes employeurs que je voulais m’arrêter un peu longuement parce que j’allais avoir des enfants, ils m’ont répondu : “Bien sûr, ça arrive souvent que les gens prennent quatre ou cinq semaines.” Et lorsque je leur ai dit : “Moi je veux prendre quatre ou cinq mois”, ils ont super bien réagi, mais j’ai senti un petit moment de flottement. Je crois qu’il faut qu’on multiplie ces moments de flottement, qu’on fasse en sorte qu’il y ait de plus en plus de pères qui disent : “Je vais m’arrêter cinq mois.” Petit à petit, ça peut amener un changement de perception dans le monde du travail. C’est pour ça qu’avec le collectif Congé ParentÉgal­ité, on mène depuis cette année une campagne de sensibilis­ation, accompagné­e d’une pétition “N’enterrez pas le congé paternité”, sur la nécessité de l’aligner sur le congé maternité et de le rendre obligatoir­e. Mais en attendant un changement de loi, on souhaite rassembler de l’argent et créer une structure, associativ­e ou privée, qui pourrait compenser la perte de salaire de certains hommes pendant cette période.

On sait que l’allongemen­t du congé paternité, c’est un combat de longue haleine. Notamment pour des questions financière­s et culturelle­s. Sur le volet de l’égalité profession­nelle, cela mettra fin à la distinctio­n entre les hommes et les femmes quant au “risque maternité” identifié par les employeurs lors de l’embauche. Et ça va également obliger les pères à se confronter à la sphère domestique, à susciter une réflexion sur leur rapport à l’éducation, mais aussi à la gestion des tâches ménagères. C’est important pour faire évoluer les mentalités et, à terme, faire avancer la culture de l’égalité. »

“Le fait de passer cinq mois ensemble a changé la conduite de la maison et des tâches ménagères ”

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