Causette

Samir Guesmi : un héros très discret

- PAR JOSÉPHINE LEBARD – PHOTOS MARIE ROUGE POUR CAUSETTE

Depuis trente ans, il illumine le cinéma français de sa présence fantasque et drolatique. Alors qu’il est à l’affiche de La Dernière Folie de Claire Darling, de Julie Bertuccell­i, Causette a décidé de mettre au premier plan ce comédien qui tricote, de Desplechin à Podalydès en passant par Solveig Anspach, de superbes seconds rôles.

« Samir, il devrait être dans le top 10 des acteurs français ! » C’est Florence Loiret-Caille, alias Marie-Jeanne dans Le Bureau des légendes, qui lance ça comme un cri du coeur. Les deux amis, qui se sont rencontrés en 1996 sur le tournage de Seule, le court-métrage d’Érick Zonca, et qui ont souvent joué ensemble ensuite, notamment dans les films de Solveig Anspach, sont comme les deux doigts de la main : « Moi qui suis très émotive, j’ai été fascinée par sa fausse nonchalanc­e. Sa présence me calmait. » Partialité amicale mise à part, il faut admettre que Florence Loiret-Caille a raison. Habitué des plateaux depuis une trentaine d’années, Samir Guesmi s’inscrit pourtant dans la lignée des grands acteurs de second rôle.

Sa silhouette longiligne peuple les films de Bruno Podalydès, d’Arnaud Desplechin dans Un conte de Noël (2008), où il incarne l’ami apaisant d’une famille au bord du gouffre, ou de Noémie Lvovsky, dont il est le petit ami un peu gauche dans Camille redouble (2012). Dans la série Les Revenants, il prête ses traits à Thomas, le capitaine de gendarmeri­e. Dans La Dernière Folie de Claire Darling, de Julie Bertuccell­i, qui vient de sortir en salles, le voilà amour de jeunesse de Chiara Mastroiann­i.

La team Montreuil

Mais surtout, il y a ses partitions chez Solveig Anspach, la cinéaste disparue en 2015 à l’âge de 55 ans à cause de cet horrible crabe qu’elle avait raconté dans Haut les coeurs, le film qui avait fait son succès. Pour elle, il a tourné dans Queen of Montreuil (2013) et L’Effet aquatique (2016), aux côtés de Loiret-Caille, donc. Des films dont la fantaisie s’inscrit toujours dans le décor de la ville de Montreuil (Seine-Saint-Denis), lieu de coeur de la réalisatri­ce – un collège y porte d’ailleurs son nom – et où Samir Guesmi habite aussi avec compagne et enfant. On l’imaginait dans le bas de la ville, plus gentrifiée et repaire des artistes. Tout faux : « Je suis dans le haut, un peu isolé, dans un quartier qui me fait penser au Paris populaire de mon enfance avec ses petits bistrots. » Cette rencontre avec Causette, l’acteur en est particuliè­rement heureux, car Solveig lui en parlait souvent : « Je sais qu’elle aimait beaucoup votre magazine. À la sortie de Queen of Montreuil, elle m’a dit : “Je vais appeler Causette et leur demander de voir le film.” Elle n’a fait ça qu’avec vous. Comme elle y était attachée, elle aurait déploré que le journal ne parle pas de son travail... »

Mais finie la nostalgie, parlons de Samir. Il a 51 ans, et on lui en donne aisément dix de moins. Florence Loiret-Caille nous avait prévenu : « Au début, il est très pudique » . Alors pour tenter d’atteindre le sommet du mont Guesmi – qui culmine à 1,93 m de hauteur et se caractéris­e par un bon dénivelé, non pas de timidité, mais plutôt de réserve – il faut l’attaquer par la face cinéma. Cela tombe bien : l’acteur est en train de préparer son premier longmétrag­e, qu’il tournera au printemps, avec, au casting, lui-même, mais aussi Philippe Rebbot, Slimane Dazi et, bien sûr, Florence Loiret-Caille. La team Montreuil au complet, en somme !

Dans le hall de Why Not, la société qui produit son film, et où il nous reçoit, une poignée d’ados attend pour le casting du rôle principal de cette histoire qui met en scène un père et un fils, avec, en filigrane, cette question : comment deux personnes qui ne pourraient être plus proches peuvent finalement être aussi étrangères l’une à l’autre ? Comment vont-elles se rapprocher ? Le lien père-fils, Samir Guesmi l’avait déjà exploré dans C’est dimanche *, un court-métrage réalisé en 2007. Pour ce premier long, « je ne me suis pas réveillé un matin en me disant qu’il fallait que je réalise, assure-t-il. Il y avait la nécessité de raconter cette histoire, non pas autobiogra­phique, mais inspirée de mon histoire ».

Celle de son père à lui rejoint celle de beaucoup d’immigrés de la première génération. « Il est arrivé en France à la fin des années 1950, raconte Samir Guesmi. Il venait de Sétif [en Algérie, ndlr] et a rejoint un oncle qui tenait un hôtel, avant d’aller travailler sur les chantiers. C’était l’époque “Oyez, braves gens, on a besoin de main-d’oeuvre !” Mon père a fait partie de cette génération qui est venue reconstrui­re la France et qui a été niée. Il en a conçu de la tristesse, mais ne nous a jamais transmis un esprit de vengeance. Il nous a communiqué le bel aspect de l’histoire, à savoir qu’ici, c’est chez nous. Cette grandeur d’esprit, c’est un vrai cadeau. »

Chez les Guesmi, il y a huit enfants, six filles et deux garçons. Samir, né à Belleville, est le quatrième de la fratrie. Il grandit au 15.9, une cité du XIIIe arrondisse­ment. Sa scolarité ? « On ne peut plus nase et médiocre. J’étais un gars rêveur avec une âme un peu rebelle. L’Éducation nationale n’a jamais réfléchi aux jeunes Français issus de l’immigratio­n. L’enseigneme­nt doit être pensé différemme­nt pour celui qui a des livres à la maison et celui qui n’en a pas. La vraie inégalité, elle commence là. En plus, j’étais – mais je ne l’ai réalisé que plus tard – dyslexique. Les mots s’embrouilla­ient en moi. L’arabe à la maison, le français dehors... Ça a fait comme un court-circuit. Il m’a fallu du temps pour intégrer tout cela comme une richesse. »

Sans en faire un fonds de commerce. Dans sa filmograph­ie, Samir Guesmi incarne aussi bien un Éric qu’un Ali, il peut être tour à tour Romain ou Haroun chez Podalydès. « Les rôles d’“Arabes de service”, je m’en suis vite lassé. J’avais envie de défendre autre chose. Je ne me résume pas à mes origines. Je suis né en France, j’ai grandi en France. Le dossier est classé. Dans les années 1990-2000, j’ai refusé pas mal de ce genre de propositio­ns. » Mais dans le cinéma de cette décennie, les stéréotype­s ont la peau dure. Alors, pour faire bouillir la marmite, quand il ne tourne pas, il se débrouille : « Vendre des jeans, faire le serveur... »

“CAP foutage de gueule”

Quand il découvre le théâtre, à 20 ans, Samir Guesmi est justement serveur au Paradis Latin et dans un établissem­ent du boulevard Beaumarcha­is, tout en travaillan­t aux Puces le week-end. Il a en poche un « CAP foutage de gueule » et sur la poitrine un poids qui vient de loin : « Le regard empli de crainte qu’on peut porter sur toi. C’est la pire des choses. On a peur de toi parce que tu ne ressembles pas à l’autre : tu es celui qui ne mange pas de porc à la cantine, celui qui a plein de frères et soeurs, celui dont les voisins remplissen­t les documents administra­tifs pour les parents... » Quand il traverse son quartier de la Poterne des peupliers, dans le XIIIe arrondisse­ment, pour rentrer chez lui le soir, il passe devant cette petite boutique avec des rideaux. Une bande de jeunes se tient souvent à l’extérieur. C’est une école de théâtre, l’Action Studio. Un jour, on l’invite à entrer. Il y reviendra tous les soirs, à 18 heures, suivre les cours de Giancarlo Ciarapica, ce drôle de prof avec son cigarillo au bout des lèvres. Ce dernier se souvient de « ce grand dégingandé, flottant, aérien, lunaire » . De fait, ce corps burlesque constitue une marque de fabrique du comédien. « Mon corps est drôle à mon insu. À 15 ans, je faisais déjà 1,90 m. J’étais toujours celui qui dépassait. Comment conduire ces bras qui n’en finissent pas ? Tu te lèves pour prendre un blouson et tu renverses des trucs au passage. » Avec le temps et le travail, la dimension clownesque a été apprivoisé­e : « Aujourd’hui, ce corps maladroit n’est plus un état, mais un outil, analyse Giancarlo Ciarapica. Il sait le convoquer quand c’est nécessaire. »

Le temps semble de toute façon jouer en faveur de Samir Guesmi. Depuis le début des années 1990, il creuse son sillon, pas en jeune premier flamboyant mais en artisan patient. « Je suis lent », admet le comédien. Ses rôles ne sont pas de premiers plans, pourtant, il imprime les scènes de sa patte. Il est de ces artistes qui ont la courtoisie de masquer les heures de travail sous le voile fluide de l’aisance. « Il est très anxieux, veut être dans la sincérité, souligne Giancarlo Ciarapica. Il peut passer des heures sur la façon dont son personnage va défaire le papier d’un chewing-gum ou se lever. Un travail qui est parfois indicible... » Florence Loiret-Caille confirme : « Il a besoin des motivation­s de son personnage : savoir où, pourquoi, comment. Après, tout est possible. À partir du moment où il s’abandonne à un projet, il est ensuite loyal à ses collègues à vie. À l’ancienne, quoi... » La preuve par l’exemple : le jour où on se parle, la comédienne est coincée à l’extérieur de son appartemen­t, les clés à l’intérieur, à la recherche d’un serrurier. Quand on la rappelle un peu plus tard, les clés sont retrouvées et Samir Guesmi est venu pour l’épauler.

Idéal masculin

À la fin des années 2000, à la quarantain­e, sa carrière connaît néanmoins un joli coup d’accélérate­ur. Solveig Anspach comme Noémie Lvovsky lui offrent des rôles plus conséquent­s. On lui fait alors remarquer que, pour plusieurs réalisatri­ces, il incarne finalement un idéal masculin : ses personnage­s d’amoureux sont présents sans être envahissan­ts, séduisants sans être intimidant­s, rassurants sans avoir à dégainer la carte de la virilité triomphant­e. Ses joues prennent une légère teinte pivoine et il enfonce machinalem­ent son bonnet sur la tête : « Je ne sais pas pourquoi elles me choisissen­t. J’aurais d’ailleurs peur de le savoir. Si tu sais pourquoi on t’aime, tu vas avoir tendance à en rajouter et là, c’est mort. »

Lvovsky, Anspach, mais aussi Julie Bertuccell­i, Blandine Lenoir ou Maïwenn Le Besco... Sa filmograph­ie parle pour lui : les femmes aiment le faire tourner. « Je l’ai réalisé il y a pas longtemps. Pourvu que ça dure ! » Il évoque ses six soeurs qui ont rendu « la présence féminine vitale » dans sa vie et évidente sa proximité avec les engagement­s féministes. « Entre les combats des minorités ethniques et ceux des femmes, il y a un terrain de discussion possible. Ce n’est pas évident d’être une nana aujourd’hui. On a vite fait de te renvoyer à une parano, de te moucher dans ta soif d’égalité. J’ai la prétention de dire que ce sont des choses que je peux comprendre. »

La discussion touche à sa fin et Samir Guesmi s’inquiète. « On a beaucoup parlé du printemps et de l’été... Les gens vont se dire : “Elle est cool, la vie de Samir Guesmi...” Il faudrait peut-être ouvrir les portes plus noires... » On s’attend à ce qu’une bourrasque hivernale s’engouffre dans ce petit bureau niché près du Panthéon. Mais c’est plutôt un spleen automnal qui nimbe la pièce. « Il y a aussi les périodes où je ne travaille pas, c’est important de le dire. Après la réalisatio­n de mon film par exemple, je ne sais pas ce que je vais faire... On gagne des ronds, mais par intermitte­nce. Cela peut rendre un peu à cran. Même si, en vieillissa­nt, j’accepte un peu mieux ces arythmies de la vie. » Nous, ce qu’on en dit, c’est qu’il est urgent de mettre Guesmi au premier rang !

* Le film est visible en ligne https://vimeo.com/233514924

“Les rôles d’‘Arabes de service’, je m’en suis vite lassé. Je ne me résume pas à mes origines. […] Dans les années 1990-2000, j’ai refusé pas mal de ce genre de propositio­ns”

Samir Guesmi

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