Paul François vs Monsanto : 3e round
Engagé dans un bras de fer judiciaire avec Monsanto depuis douze ans pour faire reconnaître la responsabilité du géant américain dans son intoxication par les effluves de l’herbicide Lasso, Paul François s’apprête à affronter la firme lors d’un troisième procès, en appel, le 6 février. Et il ne lâche rien.
Paul François, agriculteur céréalier charentais, n’oubliera jamais le 27 avril 2004. Ce jour-là, il a accidentellement respiré les effluves de la cuve de l’un de ses pulvérisateurs qui contenait du Lasso, un puissant produit phytosanitaire fabriqué par Monsanto (racheté récemment par Bayer) et interdit depuis 2007 en France. Il venait de l’utiliser pour traiter son champ de maïs. Depuis l’accident, il vit avec des troubles neurologiques et immunologiques graves, et la crainte constante que son état de santé ne se dégrade encore.
CAUSETTE : Dans quel état d’esprit êtes-vous à l’approche de ce nouveau procès ?
J’ai hâte que tout cela se termine. Mon avocat et PAUL FRANÇOIS : moi sommes prudents, mais confiants, parce que la justice nous a déjà donné raison par deux fois [en 2012, le tribunal de grande instance de Lyon a jugé Monsanto responsable du problème de santé de Paul François ainsi que d’un défaut d’information sur la dangerosité du Lasso. Le jugement a été confirmé par la cour d’appel en 2015 avant que la décision ne soit annulée en cassation en 2017, ndlr]. Mais je me
prépare à subir une nouvelle épreuve. Les avocats de Monsanto sont redoutables, condescendants envers nous et envers la justice. Je l’ai appris à mes dépens : toute personne qui essaie de se mettre en travers de leur chemin s’expose à une machine à broyer. Pour le procès qui va s’ouvrir, nous avons apporté à la justice tous les nouveaux éléments qu’elle nous a demandés. Monsanto, lui, n’a rien changé à sa ligne de défense : rien ne prouve qu’il y ait eu un accident. Et si intoxication il y a eu, rien ne prouve que leur produit ait pu avoir des effets sur ma santé. Tout ceci au mépris total de la parole des experts, qui attestent du contraire.
Vous vous êtes lancé dans cette bataille contre Monsanto en 2007. Comment faites-vous pour tenir ?
Je suis d’un tempérament pugnace et j’ai la chance d’être P. F. : entouré par ma famille et mes amis. Mais si j’avais été tout seul, j’aurais baissé les bras depuis bien longtemps. Quand j’ai décidé d’attaquer Monsanto, ma femme, Sylvie, m’a mis en garde. Elle m’a prévenu que tout cela allait me dépasser et que notre famille allait en pâtir. Et elle avait raison. Le quotidien est devenu très dur. En 2014, alors même que nous avions gagné en première instance, j’ai failli tout arrêter. Nous étions en pleine expertise du préjudice et je devais me mettre à nu, au propre comme au figuré, devant les experts. Les huissiers de Monsanto nous harcelaient tous les jours. J’étais épuisé, je ne dormais plus. Je ne pensais plus qu’à ça. Je ne voyais plus pourquoi continuer. C’est Sylvie qui m’a dit que je ne pouvais plus lâcher après être allé si loin. C’est beaucoup plus difficile sans elle [son épouse est décédée en septembre 2018]. Mais je vais aller au bout. Elle ne peut pas avoir subi tout cela pendant quatorze ans pour rien.
Savoir que de nombreux anonymes soutiennent votre combat vous aide-t-il ?
Lorsque je me suis engagé dans ce combat, je ne savais pas P. F. : qu’il deviendrait celui de milliers, voire de millions de personnes. Tous ces gens derrière moi sont à la fois un soutien et une pression supplémentaire. C’est quelque chose qu’il faut savoir gérer.
Qu’attendez-vous du jugement ?
Le 6 février, Monsanto peut ne pas être condamné. Ce serait P. F. : le pire des scénarios, mais je dois m’y préparer. J’attends une condamnation et une indemnisation du préjudice qui couvre mes frais de justice et me permette de mettre mes filles à l’abri financièrement, même si l’indemnisation n’est pas ma priorité. Je ne me suis pas fixé un chiffre précis. Je sais que nous ne sommes pas aux États-Unis et que, dans tous les cas, la somme qu’ils pourraient avoir à me verser ne leur ferait guère de mal. Je souhaite aussi que ce jugement soit définitif et mette un point final à la procédure. Mon avocat ne voit pas comment ils pourraient ensuite revenir devant la justice. Mais de leur part, il faut s’attendre à tout.
Vous êtes-vous senti soutenu par votre communauté professionnelle, durant toutes ces années ?
Il y a dix ans, j’avais vraiment très peu de soutien dans le P. F. : milieu. Si j’avais pu me taire, cela aurait arrangé tout le monde. En parlant des phytosanitaires et de la maladie, j’ai touché à un tabou énorme. Aujourd’hui, les choses ne sont plus les mêmes. Les mentalités changent et les agriculteurs parlent plus facilement.
Que vous inspire le statu quo de la France sur la question de l’interdiction du glyphosate, le produit phare de Monsanto ?
Une déception énorme. La question des pesticides est une P. F. : question de santé publique et il n’est plus possible de passer à côté. Avec l’association que je préside, Phyto-Victimes, qui vient en aide aux professionnels victimes des pesticides, nous avions contacté les cinq principaux candidats lors de la dernière campagne présidentielle. Emmanuel Macron nous avait agréablement surpris. Les formules qu’il employait à l’époque allaient dans le bon sens. Il parlait d’une autre agriculture. Une fois élu, il a soutenu qu’il interdirait le glyphosate, dont les dangers pour la santé sont avérés, même contre l’avis de la Commission européenne. Quand je l’ai entendu dire, au dernier Salon de l’agriculture, qu’il allait prendre ses responsabilités, car il ne voulait pas être jugé par les générations futures pour son inaction, j’ai repris espoir. Mais quand, finalement, quelques mois seulement après, s’est présentée l’opportunité d’inscrire cette promesse présidentielle dans le cadre du texte de la loi agriculture et alimentation, Stéphane Travert, l’ancien ministre de l’Agriculture, s’y est opposé. On ne sait toujours pas s’il y a, en France, une réelle volonté d’interdire le glyphosate.*
L’interdiction du Roundup Pro 360 n’y change rien [à la suite d’un jugement du tribunal administratif de Lyon, il est désormais interdit de vendre ou d’utiliser du Roundup Pro 360 qui contient du glyphosate, ndlr]. C’est une décision administrative et non une décision politique, l’État ne se positionne pas. Une fois de plus, la justice va plus vite que l’État. Le président ne prend pas ses responsabilités. Il a le pouvoir de prendre des décisions cruciales et il se met à genoux devant les industriels et leurs lobbies. Alors que moi, simple citoyen, j’y suis allé. J’ai laissé dans cette bataille plus de dix ans de ma vie.
“Les avocats de Monsanto sont redoutables. Toute personne qui essaie de se mettre en travers de leur chemin s’expose à une machine à broyer”
Que vous ont appris ces années de lutte ?
Je ne suis plus le même. Après ce que j’ai vécu, j’ai compris P. F. : qu’il fallait travailler différemment. Je suis passé au bio en 2015, alors qu’avant mon accident, utiliser des pesticides allait de soi pour moi. Je ne pensais même pas remettre en question la parole des industriels. Je veux toujours produire, mais plus à n’importe quel prix. Je veux une exploitation qui défend l’environnement et les citoyens. C’est une question de bon sens.
* Lors d’un débat citoyen dans la Drôme, le 24 janvier, Emmanuel Macron a déclaré que la France ne parviendrait pas à se passer totalement du glyphosate dans les trois ans.