Foresti, c’est reparti !
Ce soir-là, au lendemain de Noël, ça caillait sec, et pourtant ils étaient cinq mille à faire la queue sous l’enseigne lumineuse du Zénith de La Villette, dans le nord de Paris, qui affichait en lettres capitales : ÉPILOGUE, le nouveau show de Florence Foresti. Trois ans que ses fans attendaient son retour sur scène. On y était !
Autant de femmes que d’hommes dans la foule impatiente. On avance lentement, comme un lendemain de cuite, mais personne ne bronche. On dirait bien que ça se mérite, un show de Florence Foresti ! Fouille au corps, sac ouvert, le portique enfin franchi, on se croirait dans un hall d’aéroport. Des hôtesses nous distribuent une petite housse pour y glisser nos sacro-saints smartphones réglés en mode avion ou silencieux. C’est Fort Knox, ici ! Ce simple étui en caoutchouc se ferme avec un verrou automatique, comme un antivol de supermarché. Nous voilà donc reparti·es avec notre ceinture de chasteté pour téléphone. Florence Foresti est la première artiste française à adopter ce système américain qu’elle a découvert à Londres lors d’un show de l’humoriste Chris Rock. Des spectacles déconnectés, c’est la dernière lubie des comiques, chanteurs et chanteuses anglo-saxon·nes (ultra connecté·es par ailleurs…) comme
Beyoncé, Adele, Dave Chappelle ou encore Jack White. Conçu pour éviter les enregistrements pirates des spectacles, ce système antitechno promet aussi une meilleure communion avec le public, qui peut enfin applaudir des deux mains plutôt que de passer son temps à faire des photos à poster sur Instagram.
En guise d’amuse-bouche, des vidéos de sketchs inédits de la comédienne sont projetées sur grand écran, où s’affiche aussi un compte à rebours de dix minutes. On regarde autour de nous, on papote avec le voisin d’à côté, on ne sait pas quoi faire de nos mains subitement libres. 3-2-1-0 ! La Foresti déboule, en combinaison-pantalon noire et baskets blanches aux pieds, pastichant une diva hollywoodienne qui surjoue un play-back foireux. La capricieuse stoppe net la musique : « Si vous êtes là, c’est grâce à moi et pas l’inverse ! Je ne vais pas vous faire le coup de la star qui vous aime et qui doit tout à son public, car si ça se trouve, parmi vous, se trouvent dix ou quinze connards ! » Le ton est donné. On se marre tous comme des cons. Sans tabouret ni décor, elle semble toute petite sur scène, mais grâce aux écrans géants, elle squatte tout l’espace.
L’art de l’autodérision
D’emblée, la voici qui nous nargue avec son smartphone. « Il vous manque, hein ? Alors, ça fait quoi de vous parler en vous regardant dans les yeux ? » Sur l’écran, elle déroule toutes ces applications qui nous bouffent un temps de dingue, souvent pour rien. Les prévisions météo sur quinze jours, Google pour vérifier que sa fiche Wikipédia est bien référencée, Instagram (dont elle est accro pour de vrai). La voilà qui fait défiler toutes ses photos de coupes de cheveux moches. « Là, c’est le jour où j’ai demandé à mon coiffeur la même frange que Charlotte Gainsbourg, résultat, je suis repartie avec la tête de son père ! » Toujours aussi habile dans l’art de l’autodérision, Foresti s’amuse, comme à son habitude, de ses complexes de femme normale pas « photoshopée », qui sont aussi les nôtres. Elle se met en scène en quadra qui rage de ne plus se faire draguer dans la rue. « La dernière fois que j’ai entendu “t’as un joli petit cul”, je me suis retournée, raconte-t-elle avec un large sourire carnassier. Le joli petit cul, c’était pour ma jeune nièce avec son jean taille basse ! Et alors, on peut être féministe et aimer se faire reluquer dans la rue. J’étais féministe bien avant #MeeToo, moi d’abord ! » balance-t-elle avec un gros clin d’oeil, comme si elle voulait esquiver le sketch à discours.
Stand-up survolté
La polémique, le clivage, très peu pour Foresti. Elle préfère explorer la « crise des 45 piges » (c’est plus fédérateur, c’est la moyenne d’âge de la salle !). Pour l’occasion, elle reprend son personnage fétiche de femme qui refuse les injonctions de la maternité forcément bienveillante. Celui-là même qui avait inspiré son spectacle culte Mother Fucker. Maman d’une petite fille dans la vraie vie, elle s’adresse ainsi à son ado imaginaire : « Tu pues de la bouche comme tous les ados, parle-moi de plus loin ! » À son mec : « T’es devenu gros et tu t’étonnes que je n’aie plus envie de baiser ! » Tout y passe, l’usure du couple qui préfère Ikea au sexe (numéro déjà visité, mais qui marche toujours), la peur de la mort (la sienne, pas celle des autres), ses funérailles mégalos qu’elle imagine au Panthéon et surtout pas sur les Champs-Élysées, « c’est ringard, déjà vu ». La comédienne enchaîne sans temps mort les rôles de tendre colérique en multipliant les allées et venues sur scène dans un stand-up survolté à l’américaine. Une performance pro (peut-être un peu trop pro-pre), qui révèle une autre facette de Foresti. Derrière les pirouettes de l’humour fouettard, on devine une angoissée face à ce fichu temps qui file trop vite. Un épilogue déconnecté des fausses urgences et reconnecté à l’essentiel : le temps précieux qu’il nous reste. D’ailleurs, c’est déjà fini. Le Zénith est debout. On en aurait presque oublié notre smartphone.
“Là, c’est le jour où j’ai demandé à mon coiffeur la même frange que Charlotte Gainsbourg, résultat, je suis repartie avec la tête de son père !”