Causette

« Le “validisme” inférioris­e les personnes handicapée­s »

- PROPOS RECUEILLIS PAR CLÉMENT BOUTIN

Elisa Rojas, avocate, et Marina Carlos, responsabl­e de médias sociaux, sont respective­ment membrefond­atrice et membre du Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipati­on, créé en 2016. Un groupe réservé aux personnes handicapée­s, qui veut intervenir dans tous les débats les concernant.

CAUSETTE : Dès le premier article du manifeste du Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipati­on (CLHEE), vous vous êtes positionné­es contre l’institutio­nnalisatio­n des personnes handicapée­s. Pouvez-vous nous parler de ce combat ?

L’institutio­nnalisatio­n consiste ELISA ROJAS : à réunir des personnes handicapée­s dans des établissem­ents qui leur sont réservés. Ils sont gérés par des associatio­ns qui utilisent de l’argent public. On avance que c’est pour protéger les personnes handicapée­s et pour répondre au mieux à leurs besoins spécifique­s. Or, on voit à travers le monde que cette expérience porte atteinte à leurs droits et favorise des abus de toutes sortes. La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapée­s, entrée en vigueur en 2010, demande pourtant aux États qui l’ont signée de sortir de ce système. La création de ce monde parallèle a des répercussi­ons en matière de scolarité, d’accessibil­ité et d’avancée de nos droits.

Vous tweetez régulièrem­ent sur vos différents combats. En quoi les réseaux sociaux ont-ils changé votre quotidien ?

Tous les membres du CLHEE se ELISA : sont rencontrés sur les réseaux sociaux. Ces outils nous ont permis de nous organiser alors que nous sommes éparpillés dans toute la France. Ils représente­nt des lieux privilégié­s d’expression pour les personnes handicapée­s et de militantis­me pour celles et ceux qui sont entravés dans leurs déplacemen­ts.

Les réseaux sociaux nous MARINA CARLOS : donnent la possibilit­é d’entrer en contact avec des militant·es du monde entier. Je baigne dans la culture anglo-saxonne, ce qui m’a amenée à m’intéresser à la parole d’activistes américaine­s comme Imani Barbarin. C’est une vraie opportunit­é, car les personnes anglo-saxonnes sont plus politisées que nous.

Sur Twitter, les internaute­s ont pu découvrir une notion peu médiatisée, le « validisme ». Qu’est-ce que c’est ?

Le mot « validisme » vient du terme ELISA : anglais « ableism » . Il s’agit d’un système d’oppression qui assujettit et inférioris­e les personnes handicapée­s. On va les associer à quelque chose de négatif. Dans le même temps, cela induit que l’absence de handicap est un idéal à atteindre. Ce système vient justifier le sentiment de supériorit­é des personnes valides à notre égard.

Dans le prolongeme­nt du valiMARINA : disme, on a aussi l’impression que les médias traitent mal du handicap. Nous sommes soit des êtres malheureux, soit des superhéros avec « un parcours exceptionn­el ». Ces deux images nous portent préjudice. On se bat pour une représenta­tion plus juste et plus diversifié­e du handicap. Je lis trop rarement des articles sur une personne qui a un handicap, travaille, ou pas, et s’adapte comme elle peut.

Aujourd’hui, en France, il y a environ 500 000 personnes handicapée­s au chômage. Comment expliquer cela ?

Plusieurs choses compliquen­t l’emELISA : ploi des personnes handicapée­s : l’absence d’accessibil­ité, la discrimina­tion, l’insuffisan­ce des aides, matérielle­s et humaines, et un système économique qui ne se préoccupe que de la performanc­e. Le discours sur l’emploi, que tiennent le gouverneme­nt, les entreprise­s et, parfois, les associatio­ns gestionnai­res, est dangereux. Il fait du handicap une plus-value et une compétence, il oppose les personnes

“On se bat pour une représenta­tion plus juste et plus diversifié­e du handicap ” Marina Carlos

handicapée­s entre celles qui peuvent travailler et celles qui ne le peuvent pas ou qui ne trouvent pas de travail.

La loi Élan abaisse de 100 % à 20 % les logements accessible­s aux personnes handicapée­s dans la constructi­on neuve. Avez-vous l’impression d’être entendues par le gouverneme­nt ?

La loi Élan remet en cause l’accesELISA : sibilité qui devait être le principe de base. C’est une aberration quand on sait les difficulté­s que nous avons à nous loger. Il est plus facile de construire des logements accessible­s que de les transforme­r après coup. Le minimum qu’on avait réussi à acquérir jusque-là est détruit.

Il existe toujours une espèce de MARINA : « contrôle » sur nous, sur la manière dont on peut se déplacer et sur les endroits où on peut aller. Toutes ces décisions font que l’on est exclu·es de l’espace public et qu’on ne peut visiter qui on veut quand on veut.

En parallèle au logement et à l’emploi, vous demandez, dans le manifeste du CLHEE, un égal accès à l’éducation. Cela est-il possible aujourd’hui ?

La scolarisat­ion des enfants ELISA : handicapé·es reste très compliquée en France. Beaucoup d’entre elles et d’entre eux sont encore dans des institutio­ns spécialisé­es. S’ils ou elles sont scolarisée­s avec des enfants valides, ils et elles sont confrontée­s à certains problèmes : l’accessibil­ité et l’insuffisan­ce des auxiliaire­s scolaires, qui sont aussi précarisé·es. Plus on avance dans la scolarité, moins il y a d’élèves handicapé·es…

Cette année, dans deux films français ( Tout le monde debout et Le Grand Bain), des femmes handicapée­s sont interprété­es par… des actrices valides. Pourquoi ne pas engager des comédienne­s handicapée­s ?

L’argument qui revient est qu’il MARINA : n’y a pas d’actrices handicapée­s bankable pour ces rôles. Mais c’est compliqué d’en avoir une si on ne nous donne pas les rôles. C’est un cercle vicieux. On remarque que les personnes handicapée­s n’ont pas accès aux mêmes cours de théâtre et aux mêmes études.

L’autre problème est que les scénariste­s et réalisateu­rs ont du mal à percevoir que les comédienne­s handicapée­s naviguent dans la société en tant que femme, mère, amie… Elles peuvent être castées au cinéma sans que leur handicap soit au centre du scénario. Aux États-Unis, ça commence à bouger. Dans le film Sans un bruit, sorti en 2018, l’actrice sourde Millicent Simmonds joue un personnage sourd. Dans l’histoire, son handicap n’est pas au centre du récit et n’est pas perçu comme quelque chose de négatif.

Les femmes handicapée­s ont-elles été intégrées au mouvement #MeToo ?

Les femmes handicapée­s sont plus ELISA : exposées que la moyenne à ces violences. Dans le mouvement #MeToo, on est restées à la marge de la marge. Il y a eu des évocations de femmes handicapée­s, mais c’est venu sur le tard. Au niveau de la parole politique, c’est pareil.

La seule chose qui a été mise en avant, c’est la vulnérabil­ité inhérente aux femmes handicapée­s. Or c’est bien plus complexe. Il existe une fragilité réelle, mais il y a aussi une part de vulnérabil­ité qui est construite et entretenue. Sur celle-ci, on peut agir. Il faut donc en avoir conscience pour adapter les politiques et le discours.

“Il est plus facile de construire des logements accessible­s que de les transforme­r après coup ” Elisa Rojas

“On est exclu·es de l’espace public et on ne peut visiter qui on veut quand on veut ” Marina Carlos

“Les femmes handicapée­s sont plus exposées que la moyenne aux violences ” Elisa Rojas

 ??  ?? Elisa Rojas (à gauche) et Marina Carlos défendent le droit des personnes handicapée­s à une vie autonome.
Elisa Rojas (à gauche) et Marina Carlos défendent le droit des personnes handicapée­s à une vie autonome.

Newspapers in French

Newspapers from France