Fiona Meadows : archi engagée
Architecte atypique et humaniste, Fiona Meadows est responsable de programmes et commissaire d’expositions à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris. L’exposition Dans les branches, une cabane
habitée*, qu’elle a imaginée, reflète l’ensemble de son travail : une architecture écologiste, créatrice, à taille humaine
et destinée aux mal-logé·es. On dirait une héroïne de La Petite Maison dans la prairie avec ses deux longues nattes à la Laura et sa robe tunique colorée. Sa voix est douce, son regard appliqué derrière ses lunettes rondes à la Le Corbusier. « C’est le seul que j’aime dans le mouvement de l’architecture moderne », admet-elle. Les gratte-ciel futuristes comme les beaux monuments conservés dans le formol ne la font pas rêver. Ce qui passionne Fiona Meadows, c’est de repenser l’habitat urbain qui date d’un siècle et ne correspond plus aux réalités familiales, migratoires et écologiques d’aujourd’hui. « On nous impose des modèles stéréotypés de type F1, F3, comme au temps des familles nucléaires, alors qu’il y a mille façons de vivre et donc d’habiter. » Sa « petite architecture », comme elle l’appelle, a tout d’une grande. Sa mission : réinventer des habitats à partir du réel avec une économie du presque rien. « Je suis de ces architectes qui vont au pied des immeubles pour écouter les besoins des gens. » Fiona, qui se dit « citoyenne activiste », est l’inverse
“On nous impose des modèles stéréotypés alors qu’il y a mille façonsd e vivre et donc d’habiter”
d’une architecte hors-sol. Pour elle, il y a urgence à réinventer l’habitat pour tous, en imaginant, par exemple, des micromaisons mobiles en bois pour les exclus des grandes villes, qu’ils soient SDF, précaires ou chômeurs. Soit 4 millions de mal-logé·es en France. Tous ceux qui ne sont que des chiffres dans les files d’attente du logement social. Mais pas question de parler d’architecture du pauvre, les plus modestes méritent aussi du beau. « J’ai toujours été en empathie avec les infortunés, j’ai envie qu’ils s’en sortent. On ne peut pas laisser des gens vivre dans la rue ou dans des logements insalubres. » Tous ses projets, et elle n’en manque pas, sont certes novateurs et poétiques, mais surtout réalisables et économes. Fiona est une utopiste pragmatique.
Des ateliers en Afrique
Petite architecture, c’est le nom du programme de recherche que la quinqua a créé en 1999 à la Cité de l’architecture et du patrimoine. Elle y travaille sur le thème des campements des nomades et des réfugiés, ou des cabanes* urbaines perchées dans les arbres, et pilote des ateliers collaboratifs en Afrique, dont l’opération Change ta classe. Au Cameroun, au Bénin ou en Tunisie, dans des écoles où les enfants ont à peine une feuille et un stylo pour étudier, elle fait intervenir des artisans et des designers locaux pour transformer leur classe en lieux culturels pérennes. Les enfants mettent la main à la pâte et découvrent qu’avec le pouvoir de l’imaginaire, un peu d’huile de coude et de la récup, on peut bâtir un théâtre de marionnettes ou une grande bibliothèque.
Depuis quinze ans, Fiona organise le concours Mini Maousse, ouvert aux étudiant·es d’architecture, de design, d’art ou d’ingénierie autour de « projets d’habitation temporaire, écopensée et autonome ». Chaque année, elle définit un thème de travail. Par exemple, la « maison des jours meilleurs » pour les mal-logé·es, en s’inspirant du prototype conçu par l’architecte Jean Prouvé pour l’abbé Pierre, après l’hiver 1954. Parmi les centaines de maquettes que Fiona a reçues cette année-là, elle a retenu la maison baptisée Wood Stock, qui a depuis été construite dans la métropole de Nantes (Loire-Atlantique). Cet habitat démontable et modulable en bois a logé durant deux ans une famille de Roms. « Et la métropole de Nantes vient de commander quinze autres maisons », précise l’architecte. Pour le concours Mini Maousse de cette année, Fiona a demandé aux candidat·es d’inventer une petite architecture mobile d’aide à l’informatique pour tous les exclu·es du numérique dans les zones rurales.
Son humanisme ne sort pas de nulle part. Un père communiste, anglais, athée, acteur fêtard, juif originaire d’une famille d’émigrés polonais russes décimée lors de la Shoah. Une mère française, catholique non pratiquante, intellectuelle qui fumait des cigarettes Boyard maïs. « Une famille d’excentriques dans l’esprit “tout est possible”, propre aux seventies », explique-t-elle avec une tendre nostalgie.
Fiona, de nationalité française, est née à Londres en 1967, dans un petit appartement qui ne désemplit pas d’amis et d’artistes. Ses parents aiment la vie en communauté, la culture et la politique. « Le midi à table, on pouvait croiser les comédiens Peter O’Toole et Roger Moore, et le réalisateur Ridley Scott qui nous parlait d’Alien ! » Quand elle a 10 ans, ses parents décident de quitter Londres pour (tenter de) vivre dans la campagne française profonde. La fameuse utopie rurbaine. Fiona la bilingue se retrouve en classe de CM2 dans le petit village de Châteauneuf-sur-Sarthe, en Anjou, deux cents âmes. L’aventure à la campagne durera trois ans. « Mes parents ont eu beau débaucher tous les gens du village en les invitant à boire, à faire la fête, ils n’ont pas aimé notre présence », lâche-t-elle.
“Je suis de ces architectes qui vont au pied des immeubles pour écouter les besoins des gens”
L’esprit tribu
Direction Paris, en 1980. Au lycée, Fiona s’imagine médecin. Finalement, elle s’inscrit à l’École nationale supérieure d’architecture (Ensa) de Paris-La Villette. « L’architecte est une sorte de médecin qui soigne les gens en leur proposant un meilleur environnement. » Dans cette école, qui est tout sauf académique, l’étudiante planche sur le petit habitat, la reconversion des squats, l’architecture autoconstruite par les habitants.
C’est dans cette même école qu’elle enseigne aujourd’hui en emmenant ses étudiant·es en archi dans nos bidonvilles à nous, en banlieue parisienne à La Courneuve, dans des campements de Roms où ils bâtissent des toilettes sèches et des bibliothèques.
Avec son mari, un artiste camerounais, père de son deuxième enfant, « un petit garçon métis, juif, chrétien et musulman », Fiona a trouvé sa « maison des jours meilleurs », il y a une dizaine d’années, à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. « Je voulais vivre dans une ville populaire et cosmopolite. Je m’y sens à ma place. » L’architecte a aussi fait le choix de partager sa maison en colocation avec une dizaine d’étudiants et de jeunes travailleurs d’origine étrangère. « Ma mère doit bientôt nous rejoindre pour vivre avec nous son grand âge. On ne se refait pas, l’esprit tribu, c’est de famille ! » * Dans les branches, une cabane habitée, au Maif Social Club, 37, rue de Turenne, Paris 3e, jusqu’au 6 avril. Infos : lieu.maifsocialclub.fr