Causette

Bruit blanc contre nuit blanche

- PAR AURÉLIA BLANC

Alors que certains s’endorment sur une douce comptine, d’autres ne trouvent le sommeil qu’au son d’un aspirateur ou d’un sèche-cheveux. Des « bruits blancs » qui ont la faculté d’apaiser les bébés… et de faire rêver les parents.

Berceuses, portage, musique douce… Il faut les voir, ces jeunes parents en manque (de sommeil), réduits à s’échanger leurs astuces comme on se refilerait l’adresse d’un dealer. « Essaie les bruits blancs. Tu vas voir, c’est magique », s’entend-on ainsi dire un beau jour par une daronne en extase, comme s’il s’agissait de la dernière drogue à la mode. Les bruits blancs ? Pour les spécialist­es, c’est un son qui reproduit l’ensemble des fréquences perceptibl­es par notre ouïe. Pour le commun des mortels, c’est avant tout un bruit de fond monotone, comme celui d’un sèche-cheveux ou d’un ventilateu­r. Et c’est, surtout, un véritable univers parallèle.

Qu’on tape « bruit blanc » ou « white noise » sur YouTube et s’offrent à nous des centaines de vidéos diffusant bruits de sèche-linge, de moteurs de voiture ou de hottes de cuisine ! Certaines chaînes YouTube en ont même fait leur spécialité, comme Relaxing White Noise (890 000 abonnés) ou Relaxator, dont les huit heures de machine à laver ont été vues par plus de 800 000 personnes. Parmi lesquelles des parents, heureux d’avoir trouvé le moyen d’envoyer leur rejeton dans les bras de Morphée.

Si l’on en croit l’expérience menée à l’hôpital Queen Charlotte, à Londres, en 1989, les bruits blancs ont en effet le pouvoir d’apaiser les bébés. S’appuyant sur deux groupes de vingt nouveau-nés, les chercheurs ont observé que, dans celui soumis à ces sons, 80 % des nourrisson­s s’endormaien­t dans les cinq minutes (contre seulement 25 % pour le second groupe). « Le bruit blanc agit probableme­nt en masquant les autres bruits extérieurs, permettant ainsi d’éliminer les stimuli excitants et de calmer le bébé », avançaient-ils à l’époque. Trente ans plus tard, le bruit blanc est devenu un argument marketing. Si les dizaines d’applicatio­ns dédiées (comme Baby Sleepy ou White Noise for Baby) restent pour la plupart gratuites, les rayons puéricultu­re, eux, ont ainsi vu fleurir toute une flopée de générateur­s de bruits blancs « spécial bébé ». De quoi donner de l’espoir aux parents… mais pas forcément des nuits calmes.

Un “outil de crise”

« Ça peut aider à l’endormisse­ment pendant une semaine ou deux, mais pas plus. Quand on ne peut pas poser un enfant sans qu’il pleure, ce n’est pas une peluche à bruit blanc qui va régler le problème. Car celui-ci se situe ailleurs », confirme la psychologu­e Lyliane NemetPier, spécialist­e du sommeil chez l’enfant. Loin d’être une solution miracle, les bruits blancs ne peuvent pas grand-chose face aux raisons médicales, environnem­entales ou émotionnel­les qui viennent perturber le sommeil enfantin. « C’est un outil de crise qu’on peut tenter d’utiliser, mais pas sur le long terme. Sinon, on entre dans le conditionn­ement du sommeil. Et les enfants adorent les habitudes ! » prévient également Caroline Decré, conseillèr­e en puéricultu­re spécialisé­e dans le sommeil. Le risque étant de se retrouver avec un enfant accro à Jet Sounds, cet album réalisé à partir de bruits de moteurs d’avion et commercial­isé en 2017 par la compagnie EasyJet… afin de récolter des fonds pour l’associatio­n Childreen Sleep Charity. Ça ne s’invente pas.

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