Causette

Interview de François Ozon

- PAR ARIANE ALLARD

Grâce à Dieu, le nouveau film de François Ozon, s’empare de l’affaire Preynat, prêtre lyonnais

mis en examen en 2016 pour agressions sexuelles sur mineurs et dont le procès devrait avoir lieu

cette année. Cette fiction très documentée place la parole des victimes – et le silence de l’Église – au coeur du récit. Explicatio­ns avec

un cinéaste déterminé.

CAUSETTE : Au départ, vous aviez prévu d’appeler votre film

L’homme qui pleure…

Oui, j’avais envie de faire FRANÇOIS OZON : un film sur la fragilité masculine. J’ai souvent mis en scène des personnage­s de femmes fortes. Cette fois, je voulais explorer des émotions chez l’homme que l’on associe d’ordinaire au genre féminin. De fait, on a plus l’habitude de voir des femmes victimes, sur grand écran, que des hommes victimes. Je suis alors tombé par hasard sur le site de La Parole libérée, une associatio­n d’aide aux anciens du Groupe Saint-Luc [dans la banlieue lyonnaise, ndlr] et aux victimes de la pédophilie. J’y ai lu des témoignage­s d’hommes abusés dans leur enfance, au sein de l’Église, dont un qui m’a particuliè­rement touché : celui d’Alexandre, un catholique pratiquant. Je l’ai donc contacté.

Vous vous immergez alors totalement dans l’affaire Preynat… Vous auriez pu réaliser un documentai­re. Pourquoi le choix d’une fiction ?

C’est vrai, j’ai mené une véritable F. O. : enquête journalist­ique ! À part Alexandre, j’ai rencontré d’autres victimes de ce prêtre, dont François et Pierre-Emmanuel [qui inspireron­t deux autres personnage­s moteurs du film], mais aussi leurs femmes, leurs enfants, leurs parents et leurs avocates. Pourtant, lorsque je leur ai parlé d’un documentai­re, j’ai senti qu’ils étaient déçus. Le film Spotlight venait juste de sortir. C’était ça qu’ils attendaien­t de moi. Et puis, toutes ces personnes m’avaient confié des choses très intimes. Je savais qu’elles ne me les rediraient pas face caméra. La fiction s’est alors imposée, et ça m’a libéré ! Mais toutes les situations que je montre ont existé…

Avez-vous rencontré des difficulté­s pour monter ce film au sujet très sensible ?

J’ai très vite senti un embarras. CerF. O. : tains financeurs, comme Canal+, ont été frileux à l’époque (2016-2017). On est d’ailleurs tombé des nues avec mes producteur­s, car Canal a suivi tous mes films depuis mes courts-métrages. J’y ai clairement vu une forme de censure.

Votre mise en scène est sobre, presque en retrait. Le seul effet cinéma, ce sont les flash-back qui jalonnent votre récit à trois voix. Pourquoi ces séquences ?

Grâce à Dieu est un film sur la parole. F. O. : Mais il me semblait nécessaire, à un moment, que l’image incarne la violence de ce que ces trois hommes ont vécu, enfants. J’ai donc inséré deux flash-back par personnage. L’idée étant, chaque fois, de suggérer. Un trajet, une porte qui s’ouvre… Je pense que ça marche. De fait, ma monteuse m’a rappelé combien il était important de montrer la sidération des enfants. Ils vont véritablem­ent dans la gueule du loup…

L’un de vos personnage­s, également engagé au sein de La Parole libérée, explique qu’il ne fait « pas ça contre l’Église, mais pour l’Église ».

C’est votre position ?

J’ai eu une éducation religieuse, mais F. O. : je ne suis plus croyant depuis longtemps. Cela étant, je ne m’attaque pas à la religion : pour moi, c’est le fonctionne­ment de l’institutio­n qui ne va pas. D’ailleurs, j’ai fait un film avec des questions, pas avec des réponses. Disons que c’est un film déterminé, motivé par un sentiment d’injustice, mais pas vengeur. S’il provoque une interrogat­ion sur la notion d’autorité morale, ce sera déjà bien.

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Melvil Poupaud (à gauche), interprète principal de Grâceà Dieu, et François Ozon (au centre).
 ??  ?? Grâce à Dieu, de François Ozon. Sortie le 20 février.
Grâce à Dieu, de François Ozon. Sortie le 20 février.

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