Causette

Femmes au bord de la crise cardiaque

- Par ANNA CUXAC Illustrati­on MARIE BOISEAU pour Causette

Première cause de décès chez les femmes, les maladies cardio-vasculaire­s sont pourtant perçues comme des maux plutôt masculins. Claire Mounier-Vehier, présidente de la Fédération française de cardiologi­e, vient de publier un livre pour porter ces risques à la connaissan­ce de tous et de toutes…

Un bouquin sur les maladies cardiaques des… femmes ? « Non, mais c’est quoi cette manie de tout scinder entre hommes et femmes, là ?, rouspétait une amie surprenant ma lecture. Une crise cardiaque, c’est une crise cardiaque, non ? » Eh bien non ! Enfin, pas vraiment, pas tout à fait. Et c’est tout l’objet de Mon combat pour le coeur des femmes*, de la professeur­e Claire Mounier-Vehier : rattraper le retard collectif d’appréhensi­on de ces pathologie­s chez les femmes et alerter sur les différence­s biologique­s qui font qu’un infarctus ne se manifeste pas toujours chez elles comme chez les hommes. Car nos représenta­tions mentales, qui veulent que les crises cardiaques soient des trucs d’hommes âgés en surpoids, peuvent amener à la catastroph­e.

“Médecine bikini”

Trop souvent, les patientes et le personnel médical ne prennent pas la mesure de ce qui est en train de se produire. La crise ne se manifeste pas de façon sensationn­elle, la fameuse « douleur dans le bras gauche » est souvent inexistant­e et on pense donc à un coup de fatigue ou à une crise d’angoisse. Conséquenc­e : « En France, chaque année, sur les 147 000 décès liés aux maladies cardio-vasculaire­s, 54 % touchent des femmes », annonce Claire Mounier-Vehier. C’est donc « la première cause de mortalité chez elles, bien avant le cancer du sein » ! Et pourtant…

“Une femme sur deux décrit un scénario qui n’a rien à voir avec la crise cardiaque classique”

Vous connaissez assurément Octobre rose, pas forcément le Red Day, journée de sensibilis­ation venue des États-Unis, et qui s’est tenue, cette année, le 16 avril. Dommage, car il y a beaucoup à rattraper ! Dès 2012, un livre blanc de spécialist­es consacre un chapitre « aux femmes, ces grandes oubliées des maladies cardio-vasculaire­s ». Comment en est-on arrivé là ? « Je ne l’apprends à personne : les femmes ont adopté le mode de vie des hommes », décrypte Claire Mounier-Vehier. Elles sont plus libres que leurs grands-mères (c’est réjouissan­t !), mais adoptent des conduites à risques : boire et fumer. De plus, la médecine est traversée par les mêmes représenta­tions sexistes que le reste de la société. Claudine Junien, professeur­e émérite de génétique médicale, parle de « médecine bikini », qui a focalisé pendant des années le soin des femmes sur… leurs organes reproducte­urs, « utérus, vagin, ovaires et seins ». Pour le reste, c’est comme si on avait considéré que « le corps féminin est, en dehors de ses capacités reproducti­ves, un modèle réduit du corps masculin ». Les conséquenc­es délétères de ce prisme sont racontées par Claire Mounier-Vehier : « La plupart des protocoles expériment­aux pour la mise au point de médicament­s sont établis avec des données essentiell­ement recueillie­s sur les hommes. Ils sont représenté­s aux deux tiers dans les cohortes de patients contre un tiers seulement pour les femmes. La raison classique invoquée ? Depuis le précédent de la thalidomid­e [traitement anti-nausées ayant entraîné des fausses couches ou des malformati­ons chez les nouveau-nés dans les années 1950, ndlr], les femmes en âge de procréer sont exclues des études du fait des conséquenc­es potentiell­ement graves en cas de grossesse. » Résultat : en ce qui concerne les maladies cardio-vasculaire­s, les femmes pâtissent concrèteme­nt du fait qu’elles ne présentent pas les mêmes symptômes que les hommes lors d’une crise.

“Précarité de temps”

« Une femme sur deux décrit un scénario qui n’a rien à voir avec la crise cardiaque classique (forte douleur dans la poitrine, irradiatio­n dans le bras et mâchoire qui fait mal) », explique Claire Mounier-Vehier. Et c’est beaucoup ! Souvent, les femmes ressentent surtout « un sentiment d’oppression persistant et inhabituel accompagné d’essoufflem­ent, une fatigue persistant­e, des signes digestifs (nausées, vomissemen­ts, brûlures, point à l’estomac) qui durent depuis des jours, un sentiment d’angoisse ». Des symptômes plus diffus, que certains médecins n’identifien­t pas toujours comme les signes avant-coureurs d’un infarctus.

Des histoires terribles de femmes qui ont cherché de l’aide auprès de docteur·es ou d’urgentiste­s les renvoyant chez elles avec une prescripti­on d’eau sucrée et de repos, Claire Mounier-Vehier peut en citer des dizaines. Sans compter toutes celles, jeunes ou âgées, mais « en précarité de temps », qui vont aux urgences trop tard ! Alors, vous pensez bien, les consultati­ons préventive­s (lire encadré), c’est le cadet de leurs soucis… Et c’est regrettabl­e, car selon l’Organisati­on mondiale de la santé, citée par Claire Mounier-Vehier : « Alors que quatre cancers sur dix sont attribuabl­es à des facteurs de risques modifiable­s, c’est huit maladies cardio-vasculaire­s sur dix qui pourraient être évitées par un comporteme­nt adapté. » Pas de secret d’État ici : la cigarette, l’alcool, le surpoids, l’inactivité physique, une mauvaise alimentati­on et le stress sont les premiers ennemis de votre coeur. Ensuite, certains contracept­ifs hormonaux ou certains traitement­s hormonaux contre la ménopause ne sont pas recommandé­s (« feu rouge », dixit Mounier-Vehier) en cas d’hypertensi­on, d’antécédent­s de certaines maladies ou de maladies chroniques. D’où la nécessité d’une médecine transversa­le liant cardiologi­e et gynécologi­e. Demandez à vos médecins de collaborer entre eux !

* Mon combat pour le coeur des femmes. Agir avant qu’il ne soit trop tard, de la professeur­e Claire Mounier-Vehier. Éd. Marabout.

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