Causette

LEVÉE DE L’ANONYMAT nom, prénom, gamète

- Par MARIE-JOËLLE GROS

Maintes fois annoncée, la révision des lois de bioéthique sera finalement présentée en Conseil des ministres en juillet… Au coeur de ce texte, la fameuse question de l’accès aux origines, qui pourrait conduire à la fin de l’anonymat du don de gamètes.

Ce n’est un mystère pour personne : côté PMA 1, la France procrastin­e. Mais si tout se passe bien, les député·es auront l’été pour potasser et voter enfin, comme promis, l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, lesbiennes et célibatair­es comprises, « avant fin 2019 ».

L’autre volet de cette propositio­n de loi, dont on a moins parlé jusque-là, mais qui commence à crisper tout le monde, c’est la question de l’accès aux origines. En clair, les enfants né·es d’un don de sperme ou d’ovocytes pourraient obtenir le droit d’en savoir plus sur leur donneur ou donneuse. Comme cela se fait ailleurs en Europe, où deux options sont déjà en pratique : accéder aux noms et coordonnée­s (ça, c’est la levée de l’anonymat complet), ou à des informatio­ns plus vagues, mais personnell­es (âge, métier, motivation­s).

En France, entre 70000 et 100000 enfants sont né·es d’un don de gamètes. Parmi eux, Arthur Kermalveze­n porte cette requête depuis plus de dix ans : « J’ai besoin de savoir à qui je dois la vie, qui je trimballe en moi sans le savoir, qui est aussi dans le miroir. » Sa femme, Audrey Kermalveze­n-Fournis, avocate spécialisé­e en bioéthique, et, elle aussi, née d’un don de sperme, a déposé en 2016 une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme pour condamner la France à modifier les règles du don de gamètes. Dans un livre qui vient de paraître, Le Fils 2, Arthur raconte l’enquête qui l’a conduit à retrouver son donneur, à partir d’un fluide tout bête, sa salive.

Un anonymat obsolète

Ce qui pourrait bien faire basculer le débat, c’est en effet la vente en ligne de tests ADN. C’est le nouvel argument massue des défenseurs de la levée de l’anonymat : la simplicité de ces tests le rend désormais obsolète. Au passage, on devrait s’inquiéter de ce nouveau business qui permet à des sociétés privées de constituer des bases de données très personnell­es, à grande échelle. Mais tout ça passe à la trappe, tant la quête d’une vérité biologique prime sur tout le reste. Les membres de l’associatio­n PMAnonyme, trentenair­es né·es de dons de sperme, se mettent eux aussi en quête de leurs donneurs, en utilisant ces fameux tests ADN. Ils publient Je suis l’une d’entre elles 3, un recueil de témoignage­s amers sur le secret de leur conception, le plus souvent recommandé par les médecins et lourd à porter pour les parents : des non-dits que, de toute façon, les enfants percevaien­t, confusémen­t. La psychanaly­ste Geneviève

“Ce désir de tout savoir, de tout maîtriser, a quelque chose d’effrayant tant il paraît totalitair­e” Sophie Marinopoul­os, psychologu­e et psychanaly­ste

Delaisi de Parseval et la sociologue Irène Théry ont couvé cette publicatio­n, insistant sur le « droit de chaque humain à connaître les informatio­ns qui le concernent ». Certes.

Pourtant, on sent bien qu’on est en train de passer d’un extrême à l’autre. Du tout secret au tout transparen­t. La psychologu­e et psychanaly­ste Sophie Marinopoul­os met en garde : « Ce désir de tout savoir, de tout maîtriser, si présent aujourd’hui, a quelque chose d’effrayant tant il paraît totalitair­e. Aucun enfant ne sait tout sur son histoire. Je ne condamne pas la modernité, mais ce qu’elle crée comme enfermemen­t. » Autrement dit, la génétique prend trop de place. L’identité et la filiation ne se bâtissent pas exclusivem­ent à partir d’un code génétique.

N’empêche, les partisans de l’ADN comme vérité absolue ont l’oreille du médecin Jean-Louis Touraine, député La République en marche du Rhône et rapporteur du texte qui va servir de base à la discussion de la loi. Il affirme : « Nous devons agir dans l’intérêt prioritair­e de l’enfant et donc satisfaire cette quête des origines. » La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a renchéri au micro de Jean-Jacques Bourdin, en janvier : « Un enfant né d’un don en 2020, donc une fois la loi votée, pourrait à ses 18 ans, donc en 2038, connaître son donneur ou sa donneuse. » Dont acte. Puisque les naissances avec don se banalisent, c’est en effet le moment de remettre les choses à plat.

Le risque de la baisse de dons

C’est tout le système qu’il faut revoir. Avec une grosse inconnue : les donneuses et donneurs eux-mêmes. Sont-ils prêts à se porter volontaire­s si les règles du jeu changent ? La France est déjà en pénurie de dons. En 2016, on comptait royalement 363 donneurs de sperme (soit dix-huit mois de délais d’attente pour les couples receveurs) et 746 donneuses d’ovocytes (trois ans d’attente), selon le rapport de l’Agence de la biomédecin­e. Pourquoi ? « Le don n’est pas dans la culture des Français », constate le professeur Michaël Grynberg, chef du service de médecine reproducti­ve à l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart (Hauts-de-Seine). Le sera-t-il davantage si on demande aux donneur·ses de laisser une lettre ou leur nom et numéro de téléphone, à l’intention des enfants qui naîtront ?

La sociologue Irène Théry va encore plus loin. Son souhait : « Faire une place au donneur », l’inviter à partager des moments en famille. Et pour convaincre, elle prend l’exemple de couples qui ont eu recours à des GPA éthiques aux ÉtatsUnis et restent en contact avec la femme qui a porté l’enfant et parfois aussi avec la donneuse d’ovocytes. Avec JeanLouis Touraine, ils imaginent également inscrire le recours à une PMA avec tiers donneur sur l’acte de naissance des enfants, afin de pousser les parents à parler. Consternée­s et solidaires, des assos de familles homos (l’APGL, FièrEs) et hétéros (Bamp, Mam’en solo), Origines (créée par Arthur Kermalveze­n), le planning familial, l’Ufal et d’autres ont aussitôt dénoncé une « stigmatisa­tion inacceptab­le »… Vu l’ambiance, ça ne va pas être simple de trouver un point d’équilibre entre les intérêts des enfants, des parents et des donneur·ses.

Au milieu de ce gros bazar, des hétéros dénoncent une vision datée de la PMA de la part de Touraine et Théry, qui supposent que la majorité des parents « mentent à leurs enfants ». Au contraire, la plupart des parents hétéros assurent ne plus faire de la conception de leurs enfants né·es du don un secret. Et ce, depuis un moment… U

1. PMA : procréatio­n médicaleme­nt assistée, soit l’ensemble des techniques qui permettent d’obtenir une grossesse (cachets, inséminati­ons, fécondatio­ns in vitro [FIV], etc.).

2. Le Fils, d’Arthur Kermalveze­n et Charlotte Rotman. Éd. L’Iconoclast­e.

3. Je suis l’une d’entre elles, sous la direction de Vincent Brès, président de PMAnonyme. Éd. L’Harmattan.

4. Que cherchons-nous dans nos origines ?, d’Étienne Klein, Sophie Marinopoul­os, Michel Wieviorka, avec Azar Khalatbari. Éd. Belin, 2015.

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