Causette

La cigogne et la pipette

- Par MARIE-JOËLLE GROS

Fini les secrets d’alcôve sur la conception des enfants né·es d’un don. Là où, il y a trente ans, on passait volontiers sous silence l’origine des petites graines, aujourd’hui, les parents hétéros décident de ne plus rien cacher à leurs enfants sur leur mode de fabricatio­n. Ils nous ont raconté les mots qu’ils choisissen­t pour le dire.

« Les secrets mangent le cerveau, on le sait », affirme Sébastien. Il appartient, avec sa femme, Caroline, à une génération qui ne veut pas mentir aux enfants. Question de principe qui, chez ce couple, va loin : exit le père Noël, les cloches et la petite souris… Pas question de bluffer les marmots. Il et elle veulent être crédibles. Julie et Benoît, Bérénice et Guillaume, Stéphanie et Thomas, Isabelle et François*, Marie et Denis sont aussi des couples infertiles. Ils et elles sont devenu·es parents avec des dons de sperme ou d’ovocytes. Leurs enfants ont aujourd’hui moins de 10 ans et sont au courant de leur mode de conception. Sébastien et Caroline ont commencé tôt : en chemin pour l’inséminati­on, il et elle se sont arrêté·es dans un Photomaton, un Thermos de paillettes de sperme à la main : « Notre première photo de famille ! » commente Sébastien. Pour pouvoir en faire un récit à leur fille, qui a aujourd’hui 3 ans. « Pendant la grossesse, je parlais à mon bébé des conditions un peu spéciales de son arrivée », raconte Marie, mère d’un garçon de 6 ans, grâce à un don d’ovocytes. Julie, qui a des jumeaux de 3 ans nés de dons d’ovocytes, se souvient : « Quand ils

étaient tout bébés, dans leur chambre, un jour, j’ai pour la première fois parlé du don. Je ne sais plus comment exactement, et ce n’était sans doute pas encore des mots très assurés. » Plus tard, elle leur a fabriqué un petit livre. Sa belle-mère, qui dessine bien, l’a illustré. Ça s’appelle Une belle histoire.

« Nous ne sommes plus dans les années 1970. Les parents d’aujourd’hui assument différemme­nt le recours au don et cela change vraiment le vécu des enfants », assure Virginie Rio, une éducatrice spécialisé­e, qui a fondé une associatio­n d’entraide, Bamp, et nous a mis en contact avec eux. Leur point commun : refuser de raconter autre chose que la vérité. Sensibles aux récits douloureux de jeunes adultes né·es il y a une trentaine d’années de dons de sperme, ils et elles se sont beaucoup interrogé·es, tourmenté·es, avant de s’engager vers le don. Julie, en insuffisan­ce ovarienne à 27 ans, se souvient : « Nous savions que notre décision aurait plus de conséquenc­es pour nos enfants que pour nous-mêmes. Nous ne cessions de nous demander si nous pouvions, d’un point de vue moral, aller dans cette direction. » D’après une étude qualitativ­e menée au Centre

“Nous savions que notre décision aurait plus de conséquenc­es pour nos enfants que pour nous-mêmes” Julie

d’études et de conservati­on des oeufs et du sperme (Cecos) de Toulouse, qui sera publiée en juin, 78 % des couples en parcours de PMA avec don souhaitent en informer les enfants. À l’évidence, la PMA dissimulée, c’est fini. Les hétéros ne sont pas resté·es confit·es dans le formol. Comme les médecins qui, depuis quelques années déjà, les encouragen­t à raconter aux enfants leur histoire de couple, leur immense aspiration à devenir parents.

Dans les Cecos, on leur fournit un livre illustré : Mon histoire à moi. Celle d’un petit garçon dont le père est stérile. Un outil qui aide à construire un premier récit. Il y est question de graines cassées. « À chaque fois que ma fille [3 ans] le regarde, quand on en vient à parler de l’infertilit­é du papa, la mienne donc, elle me caresse la joue ! » témoigne Sébastien.

Une parole plus féminine

Pour l’instant, le Cecos n’a pas produit de support pour les mères et les filles. Étonnant, car depuis que la médecine maîtrise cette technique, de plus en plus de femmes ont recours au don d’ovocytes. Et elles en parlent. Peutêtre même plus facilement que les hommes. Dans notre échantillo­n, les six femmes se sont tout de suite portées volontaire­s pour témoigner, alors qu’il a fallu insister pour parler aux hommes. Trois ont finalement accepté. François, par exemple, considère que la question ne regarde que lui, sa femme, Isabelle, et ses enfants, nés de dons de sperme. « Je ne veux pas qu’on me renvoie ça à la gueule, explique-t-il. C’est intuitif : je sais qu’on peut venir m’emmerder avec mon infertilit­é, et je n’en ai aucune envie. Je me la cogne déjà assez. » Le jour où le diagnostic est tombé, il est « mort » : « C’était comme une histoire qui s’arrête. » Depuis, deux enfants sont nés. Au début, François avait du mal à lire le livre du Cecos à son fils et même à prononcer le mot « père ». Et puis, il l’est devenu. « Pour moi, pour nous deux,

il était évident qu’on dirait la vérité aux gamins. Mais à eux seuls. » Il a blêmi, l’autre jour, en rentrant du boulot : la baby-sitter lui a parlé de ses « graines cassées ». Son fils, 7 ans, avait manifestem­ent jugé bon de la mettre au courant. C’est une inquiétude partagée : être honnête avec sa progénitur­e ne garantit pas que les autres comprendro­nt. Comment l’info sera utilisée ? Avec bienveilla­nce, ou pas ?

L’avalanche de questions

Les questions des enfants changent à mesure qu’ils grandissen­t. Et poussent les parents à réexplique­r, préciser. Elles arrivent toujours sans prévenir. Chez Marie et Denis, un matin, en plein brossage des dents : « Maman, la dame qui t’a donné un oeuf, est-ce qu’elle était… noire ? » Marie a improvisé un cours de bio sur la transmissi­on des caractéris­tiques physiques, accessible à un enfant de 5 ans. « Souvent, les questions de mon fils me déstabilis­ent, alors que lui s’interroge juste au premier degré ! » Un an plus tard, encore dans la salle de bains : « Maman, qui m’a fait naître ? » Cette question-là, variante de « Dis papa, comment on fait les bébés ? » (Lire à ce sujet « Salade de lardons » page 72), peut plonger les parents du don dans une infinie déroute. Où plane toujours l’ombre du donneur ou de la donneuse. D’où l’importance d’être au clair sur le rôle de chacun.

« Le don, tout au début, c’est de la science-fiction », déclare Caroline. Choqués, blessés, les futurs parents sont perdus. Alors ils lisent, s’informent, voient des psys, en parlent avec d’autres qui sont aussi passés par là. « On se rend compte qu’on n’est pas seuls, constate Julie. Il y a d’autres enfants, et ils vont bien. » À mesure que ces naissances se banalisent, les parents se rassurent. Marie observe : « À la crèche, à l’école, nos enfants ne sont pas des extraterre­stres, il y en a plein d’autres ! Ils pourront en discuter entre eux un jour. » Ouf !

Évoquent-ils pour autant avec leurs enfants la personne qui est derrière le don ? Le fils de François et Isabelle, 7 ans, veut écrire au donneur « pour lui dire merci ». François n’aurait rien contre : « Échanger pour comprendre les motivation­s des deux côtés, pourquoi pas ? » Dans l’absolu, les parents n’ont pas spécialeme­nt envie de convier les donneur·ses à table. Mais, pour pouvoir répondre aux questions des enfants sans recourir aux « fées » et aux « graines magiques », ils ont parfois besoin de savoir eux-mêmes à quoi ressemble un donneur ou une donneuse. « C’est rassurant de connaître quelqu’un qui l’a fait », résume Caroline. En tout cas, ça a été le déclic pour elle et Sébastien. Le gars qui leur a vendu leur maison était tellement sympa, qu’ils lui ont tout raconté : l’infertilit­é, la pénurie de dons en France… Il a décidé de donner son sperme ! « Je me suis dit : si un donneur, c’est quelqu’un de chouette comme ça, alors OK, on peut y aller ! » Chez Stéphanie et Thomas, qui ont eu recours à un don de sperme, Stéphanie a elle-même fait la démarche de donner ses ovocytes après la naissance de leur fille. Ils tentent en ce moment de faire un deuxième enfant et expliquent à l’aînée (2 ans et demi) qu’ils vont chercher « des graines à bébés ». Comme donneuse, Stéphanie est très claire : « Si des enfants nés de mon geste venaient me voir, je leur dirais : “Votre famille, ce sont vos parents.” Chacun doit garder sa place. »

Se côtoyer, pouvoir se parler, ça aide. Pour faire remonter leur dossier sur le haut de la pile au Cecos, Bérénice et Guillaume (parents de jumeaux nés de dons d’ovocytes) ont cherché des donneuses en passant une petite annonce sur un forum. En effet, en France, si les parents demandeurs « recrutent » une donneuse (qui donnera ses ovocytes, mais pas à eux), leur temps d’attente s’en voit réduit. « Nous avons recruté deux femmes super, déjà mères. Quatre ans après la naissance de nos jumeaux, elles font toujours partie de nos vies. L’une a récemment emmené nos enfants en weekend. Elle m’a aussi dit : “Si un jour le don leur pose un problème, tu me les envoies !” » confie Bénénice. Une belle façon de construire, à plusieurs, le récit… Et de permettre aux enfants de se faire une image de ce à quoi peut ressembler un·e donneur·se. Tous et toutes anticipent la suite, redoutent un peu les « t’es pas mon père, t’es pas ma mère ! » de l’adolescenc­e. Comme tous les parents, non ?

* Le prénom a été modifié.

“À la crèche, à l’école, nos enfants ne sont pas des extraterre­stres, il y en a plein d’autres ! Ils pourront en discuter entre eux un jour”

Marie

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