Causette

Des vertes et des pas mûres

Apprendre qu’un million d’espèces animales et végétales sont menacées n’a pas suffi aux pays réunis lors du G7 environnem­ent, début mai, à Metz (Moselle), à fixer des objectifs chiffrés. Cela ne nous a pas fait non plus abandonner smartphone­s et voitures

- Par ALIZÉE VINCENT

Un tableau vaut mieux qu’un long discours

Entre le photomonta­ge d’une baleine bondissant hors de l’eau devant Tokyo polluée, signé par l’artiste Yannick Monget, et l’alarmant rapport de l’IPBES* sur la biodiversi­té, concluant à « un million d’espèces menacées de disparitio­n », remis lors du G7 environnem­ent début mai, on s’attend spontanéme­nt à ce que ce soit le pavé scientifiq­ue qui fasse plus volontiers rougir nos dirigeants. Pourtant, lors des discours officiels, aucune repentance : ministres et diplomates énumèrent leurs bonnes intentions pour la planète et vantent les mesures – non contraigna­ntes – qu’ils viennent de signer. Devant l’image du cétacé, en revanche, c’est une autre affaire. L’oeuvre devait être affichée parmi quinze autres toiles en coulisses des négociatio­ns, dans le bâtiment des diplomates. « Mais le ministère m’a suggéré de ne pas exposer ce visuel-là, raconte l’artiste, pour éviter de froisser le Japon. » Car, oui, comme le dénonce cette image, il s’agit bien de l’un des derniers pays à chasser la baleine, en voie d’extinction. À croire qu’une photo artistique risque plus d’offusquer les États braconnier­s qu’un bilan chiffré catastroph­ique, adoubé par l’ONU.

Force de persuasion

Même artiste, autre réaction. Interrogé par Causette, à la suite du G7, sur l’impact de ses oeuvres, Yannick Monget s’émerveille du retour de Catherine, l’une de ses lectrices (car il est aussi écrivain) : convaincre son paternel, ancien du Commissari­at à l’énergie atomique, de l’urgence environnem­entale était peine perdue pour cette écolo convaincue. Arguments et débats n’y faisaient rien. En bon physicien, son père « croyait au progrès de la science, raconte aujourd’hui Catherine, et promouvait, par exemple, l’enfouissem­ent des déchets nucléaires à Bure ». Un jour, elle lui glisse un conseil de lecture, Résilience, publié en 2016 par Yannick Monget. Dans ce thriller écologique, des petits génies de l’informatiq­ue piratent une centrale et provoquent des accidents atomiques en chaîne. Déclic. « Depuis, il vote écolo. » Le père de Catherine, les diplomates du G7 : deux preuves que, là où la science

ne suffit pas à faire (ré)agir dirigeants et citoyens, l’art nous pique au vif et peut nous ouvrir les yeux.

La comparaiso­n est vite faite. « Il nous faut entre 2 et 4 secondes pour rejeter ou embrasser une oeuvre d’art lorsque l’on est devant », affirme le neurologue spécialist­e de l’art Pierre Lemarquis. Autrement plus efficace que les rapports scientifiq­ues. Mais surtout, « les oeuvres nous modifient de l’intérieur. Quand nous lisons un roman, notre cerveau travaille comme si nous étions l’un des personnage­s. Quand nous écoutons de la musique, il chante. Et quand nous voyons une chorégraph­ie, il danse ». Voilà pourquoi l’art écologique peut nous faire ressentir l’urgence climatique beaucoup plus profondéme­nt que des informatio­ns ou des chiffres bruts.

Sauce écolo, cela donne, par exemple, les corps lascifs, dégoulinan­ts sur leurs serviettes de bain, présentés en ce moment par trois artistes lituanienn­es à la Biennale de Venise (photo page ci-contre), histoire d’alerter sur le changement climatique. Ou Les Quatre Saisons, de Vivaldi, version canicule. Idée du musicien italien Daniele Orlando pour traduire en musique l’impact de la crise environnem­entale sur les saisons, dans le célèbre concerto de violons.

Après la compréhens­ion, l’action. L’étincelle produite par les oeuvres d’art, renchérit Sebastian Dieguez, docteur en neuroesthé­tique, « active des parties du cerveau qui nous mobilisent davantage ». Si une oeuvre joue, par exemple, sur le sentiment de panique – comme Soleil Vert (1973), film catastroph­iste sur l’épuisement des ressources –, « elle excite nos amygdales et active le corps », de sorte à nous faire agir. « C’est comme si vous voyez un ours dans la forêt, explique-t-il. Vous fichez le camp avant de comprendre si c’est bien un ours ou pas. » C’est dans ce sentiment de vertige que Yannick Monget a trouvé sa première inspiratio­n artistique. Il dit avoir été sensibilis­é à l’écologie après avoir lu Ravage, de René Barjavel. Considéré comme un classique de la science-fiction (1943), ce roman imagine une France futuriste anéantie par la course au progrès. Et, pour enfoncer le clou, ponctue Sebastian Dieguez, l’art « a des effets plus profonds sur la mémoire ». Utile pour éveiller durablemen­t les conscience­s.

Art-ctivisme

Alors, pour gagner en impact, scientifiq­ues et militants lâchent leurs tracts jargonnant pour se mettre à l’art vert. En témoigne la multiplica­tion des happenings, prisés par les mouvements écolos. Spécialist­es en la matière : l’associatio­n Extinction Rebellion, qui a déversé 300 litres de faux sang sur les marches du Trocadéro, à Paris, le 12 mai, pour « alerter sur les millions de morts, humaines et animales, présentes et à venir, de la catastroph­e écologique ». La tendance peut aller plus loin. C’est le cas de Marion Laval-Jeantet, artiste du mouvement Bio-Art, qui s’est fait transfuser du sang de cheval en 2011, dans l’idée de vivre un peu dans la peau de l’équidé et, on le déduit, montrer qu’hommes et animaux sont égaux.

En témoigne, aussi, la création du Prix du roman de l’écologie, en 2018. « On se rendait compte que les mots de l’écologie paraissaie­nt dogmatique­s, qu’ils étaient pris pour des injonction­s, rapporte Rémi Baille, secrétaire du prix. Il fallait donc en revenir à ceux de la littératur­e, pour sensibilis­er. » Plutôt que parler étalement urbain ou émission de CO2 dans les métropoles, « on sent dans la littératur­e de cette année un besoin de retour au terroir pour parler des problémati­ques de la ville ». Le lauréat 2019, Serge Joncour, raconte l’air pur et dénué d’ondes 4G du Lot dans Chien-loup. En revenir au plus sauvage, au plus sensoriel et au plus simple : la puissance des oeuvres d’art a, en soi, quelque chose d’écolo.

* IPBES : Plateforme intergouve­rnementale scientifiq­ue et politique sur la biodiversi­té et les services écosystémi­ques.

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Sun & Sea (Marina), oeuvre exposée au pavillon lituanien à la 58e édition de la Biennale de Venise.
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