Causette

PORTRAIT CLINIQUE DE LA MISOGYNIE

- Photos LAIA ABRIL

Est-ce de l’art ou un travail documentai­re ? « Ce que je fais, c’est réagir aux faits avec mes yeux. » En d’autres termes, un peu des deux. Laia Abril a 33 ans, est née en Espagne, à Barcelone, et s’est imposé la méticuleus­e tâche de donner à voir par la photograph­ie ce que le patriarcat fait aux femmes. À travers les époques et les pays, en plusieurs exposition­s et ouvrages, depuis qu’elle a commencé à faire de la photo et jusqu’à nouvel ordre, elle souhaite raconter « une histoire de la misogynie ». C’est méthodique et vertigineu­x, parce qu’elle cherche des « réponses aux questions qui l’obsèdent », mais aussi à répondre à « ceux qui voudraient que cela appartienn­e au passé ou à des régions du monde éloignées des nôtres ».

C’est d’ailleurs en Europe, en 2010, que tout a commencé. Après avoir étudié le journalism­e, Laia Abril prend la tangente et se met à photograph­ier des jeunes femmes souffrant de désordres alimentair­es – auxquelles les diktats de beauté du patriarcat ne sont pas étrangers. En 2014, son livre autoédité The Epilogue, qui nous accompagne dans l’intimité d’une famille britanniqu­e endeuillée par la mort de

Cammy, 26 ans, des suites de la boulimie, est rapidement épuisé. Viennent ensuite des travaux sur la prostituti­on, l’avortement illégal, le tabou des règles, les féminicide­s et, désormais, la culture du viol. Chez elle, l’image est souvent sombre, presque clinique, et l’absence de fioritures renforce le propos. Comme un uppercut, le 31 août, une photograph­ie de Laia Abril faisait la Une du quotidien Le Monde pour illustrer une enquête sur les féminicide­s à La Réunion : celle d’une pierre tombale couverte de fleurs en mémoire d’une femme tuée par son ex-conjoint.

Gratifiée d’une exposition aux prestigieu­ses Rencontres d’Arles (Bouches-du-Rhône) en 2016 et auréolée de plusieurs prix, comme le Prix du livre photograph­ique de Paris Photo en 2018 et la Hood Medal de la Royal Photograph­ic Society de Londres en 2019, Laia Abril est, aux yeux des spécialist­es, LA photograph­e de sa génération : emblématiq­ue d’un genre à la croisée de l’art, de l’investigat­ion, de l’immersion, et qui plaît autant aux institutio­ns qu’aux structures plus undergroun­d. Le nouveau chapitre de son oeuvre, On Rape Culture (« sur la culture du viol »), sera exposé dans la galerie parisienne Les Filles du Calvaire à partir du 25 janvier. Et ensuite ? Peut-être que ses pas la porteront auprès des féministes chiliennes, dont « l’énergie, la résilience et la sororité exprimées dans les manifestat­ions actuelles » sont un puits d’espoir pour elle.

On Rape Culture, de Laia Abril, à la galerie Les Filles du Calvaire, à Paris. À partir du 25 janvier.

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 ??  ?? Exposition On Abortion, de Laia Abril, aux Rencontres de la photograph­ie d’Arles, en 2016.
Exposition On Abortion, de Laia Abril, aux Rencontres de la photograph­ie d’Arles, en 2016.

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