Causette

Nice Nailantei Leng’ete

Haute comme trois pommes, elle a fugué pour échapper à sa propre mutilation. Et s’est dressée contre sa communauté kényane pour que ce rituel barbare sur les fillettes soit remplacé par un rite de passage qu’elle a initié. Aujourd’hui, elle veut porter so

- Par PATRICIA HUON Photos NATALIA JIDOVANU pour Causette

Une rebelle contre l’excision

Si la déterminat­ion avait un visage, il pourrait être celui de Nice Nailantei Leng’ete. Elle avait à peine 8 ans, en 1999, quand son grand-père et ses oncles ont décidé qu’il était temps pour elle de « devenir une femme ». Dans le petit village où elle a grandi, sur les plaines massaï du sud du Kenya, au pied du mont Kilimandja­ro, cela signifiait, à l’époque, subir un rite de passage obligatoir­e : l’excision. Une mutilation génitale qui consiste en l’ablation, partielle ou totale, du clitoris et des petites lèvres. La jeune fille est alors prête, selon la tradition, à devenir une épouse, puis une mère. Nice et sa soeur aînée Soila sont orphelines, elles représente­nt une charge pour la famille qui, lors de leur mariage, recevra une dot de plusieurs vaches.

La pression de la honte

« J’ai dû assister à quelques cérémonies, censées me préparer, raconte Nice. Lorsque les filles sont “coupées”, malgré la douleur, elles n’ont pas le droit de pleurer ou d’émettre le moindre son. Cela serait un signe de faiblesse et déshonorer­ait leurs

parents. » Cette honte est l’une des raisons pour lesquelles la pression sociale est forte sur celles qui se montrent réticentes. « Dès l’enfance, on nous raconte que les femmes qui ne sont pas excisées mourront, n’auront pas d’enfants, ou que des insectes viendront infester leur estomac », dit Nice. Mais, malgré son jeune âge, elle n’y croit pas.

« À la mort de mes parents, on m’a scolarisée dans un internat, relate-t-elle. Là-bas, il y avait des filles d’autres communauté­s qui ne pratiquent pas l’excision. J’avais aussi une institutri­ce qui m’avait dit ne pas être “coupée”. Non seulement elle était en bonne santé, mais c’était une femme bien, et je l’admirais. » Nice ne veut pas de la souffrance infligée par ce rituel, né des croyances traditionn­elles et du patriarcat qui régit la société massaï. Arrêter l’école et se marier n’est pas l’avenir qu’elle envisage dans ses rêves. Du haut de ses 8 ans, elle est décidée à poser un choix qui deviendra son combat.

Première fuite

À l’aube, le jour de l’initiation, c’est surtout la peur qui la pousse à s’enfuir, avec sa soeur, pour éviter la cérémonie. Pendant des heures, elles se cachent dans un arbre, en équilibre instable sur une branche haute. « Quand on nous a trouvées, nous avons été violemment battues, retrace-t-elle. Mais la cérémonie avait déjà eu lieu, trois de mes cousines avaient été excisées. Pour ma soeur et moi, elle a été reportée. »

Un sursis, mais pas une victoire. Ses oncles n’ont pas l’intention de laisser deux gamines remettre en cause l’ordre établi. Une nouvelle date est fixée. Cette fois, sa soeur accepte de s’y soumettre. « Elle ne voulait pas être une fugitive. Et elle a pensé que si elle acceptait, peut-être que je pourrais gagner un peu de temps. Elle avait raison. » Deux ans après la cérémonie, Soila devra quitter l’école et, à 12 ans, à peine pubère, épouser un homme plus âgé.

Nice s’enfuit encore à plusieurs reprises, trouve refuge chez son institutri­ce et continue de plaider auprès de son grand-père : « Il a compris que j’étais prête à quitter la communauté et à ne jamais revenir. » Le vieil homme lui demande de s’expliquer. « Comme j’étais bonne élève, il a finalement accepté de ne pas me forcer et de me laisser encore un peu de temps pour continuer l’école. Il a dit à mes oncles que lorsque je serai prête, je le ferai savoir. » Elle sourit : « Ils attendent toujours… » Nice devient ainsi la première fille de son village à étudier au lycée. Mais elle veut aussi aider d’autres jeunes filles. Elle leur parle, les encourage à s’opposer, elles aussi, à l’excision. « Tout le monde me percevait comme un mauvais exemple, quelqu’un qui avait manqué de respect à sa famille, confie-t-elle. Ce n’est pas facile à entendre, mais j’étais convaincue de faire quelque chose de positif et je ne voulais pas rester une exception. »

Pour qu’un changement s’opère, ce sont les anciens qu’elle devra convaincre. Avec un obstacle de taille : traditionn­ellement, ceux-ci ne s’adressent pas aux femmes, encore moins à une jeune fille non excisée. Elle devra ruser pour enfoncer les portes. En 2008, Nice a 17 ans, elle est repérée par Amref Health Africa, une ONG de santé publique qui gère plusieurs programmes dans la région et cherche une jeune femme capable de lire et d’écrire pour aider dans les campagnes de sensibilis­ation. C’est l’opportunit­é qu’elle attendait. Avec la crédibilit­é que lui donne cette nouvelle casquette, elle s’adresse d’abord aux filles, puis aux jeunes hommes de sa communauté. « La première fois, aucun n’est resté pour m’écouter, admet-elle. Mais petit à petit, j’ai acquis des alliés. Et avec leur aide et celle d’Amref, j’ai pu faire passer le message aux anciens que l’excision est néfaste pour la santé des femmes et augmente le risque de complicati­ons lors de l’accoucheme­nt. » En 2010, après deux ans de batailles, ils acceptent d’y mettre fin dans son village.

Un rite alternatif

“[Ma soeur] ne voulait pas être une fugitive. Et elle a pensé que si elle acceptait, peut-être que je pourrais gagner un peu de temps. Elle avait raison”

L’année suivante, une nouvelle loi apporte un soutien nécessaire : le Kenya interdit les mutilation­s génitales féminines, la pratique est désormais passible d’une peine d’emprisonne­ment. Mais les textes adoptés à Nairobi, la capitale, ont rarement un effet immédiat dans les campagnes, où la coutume est profondéme­nt ancrée. Et le combat se poursuit, village par village. En 2014, un conseil de leaders traditionn­els massaï accepte d’écouter les arguments de Nice. Après des débats, il décide de bannir l’excision. À la place, Nice propose d’instaurer une cérémonie alternativ­e de passage à l’âge adulte, sans mutilation, mais fidèle aux traditions (lire page suivante). Elle insiste : « Les vêtements, les danses, les bénédictio­ns, tout cela, c’est magnifique. Mais ce qui brise les rêves des jeunes filles et leur cause de la souffrance n’a pas de raison d’être. […] Nous estimons avoir sauvé environ 18000 filles. »

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