Un rituel sans douleur
Au Kenya, chez les Massaï, se tiennent des cérémonies de passage à l’âge adulte pour les femmes, initiées par Nice Nailantei Leng’ete. Mais sans mutilation. Chants et danses en habit traditionnel ont remplacé l’excision.
Le ciel se couvre de nuages, quelques gouttes de pluie tombent sur la savane. Une bénédiction, dit-on, un signe de prospérité. Un vieil homme au visage éreinté, les lobes des oreilles percés de larges trous, boit un peu de lait contenu dans une calebasse, puis en asperge les jeunes filles assises devant lui.
Le long d’une piste de terre qui mène vers la Tanzanie, à environ une heure de voiture de la petite ville kényane
de Loitokitok, se tient une cérémonie « alternative » qui marque le passage à l’âge adulte d’environ six cents jeunes filles, âgées de 10 à 17 ans. Sans mutilation. Certaines de ces adolescentes ont revêtu des habits traditionnels, car elles s’apprêtent à danser et à chanter sur des rythmes familiers où elles ont posé des paroles qui portent leur message féministe. Elles participent aussi à trois jours de formation sur les questions de sexualité, de reproduction, de droits des femmes… Des étudiantes et des activistes – des « championnes » comme les appelle Nice Nailantei Leng’ete – viennent leur parler d’émancipation et d’opportunités à saisir. Avec l’approbation des anciens de la communauté. « Nous avons compris que l’excision met en danger la santé des jeunes filles. Et pour cette raison, ce n’est pas une bonne chose. Nous pensions que celles qui n’avaient pas été “coupées” ne pourraient pas avoir d’enfants, mais c’était une erreur », explique Merlin Ole Muhinga, qui dirige le rituel. Le patriarche pense avoir « environ 80 ans ». Il n’a pas compté les années, mais connaît les noms des quarante-deux enfants qu’il a eus de ses quatre épouses. Aucun n’a poursuivi son éducation au-delà de l’école primaire.
Des changements accompagnés par une ONG
Les Massaï, peuple pastoral, ont du mal à maintenir leur mode de vie traditionnel dans un pays qui se modernise, où leurs terres ancestrales sont grignotées par l’urbanisation et la mise en place de réserves naturelles protégées. Alors, quand le changement vient de l’extérieur, il est souvent perçu comme une attaque. Amref Health Africa, ONG de santé publique, tente, depuis une dizaine d’années, de mettre en place une approche différente : aider les communautés à identifier les problèmes et les solutions selon leurs propres termes. « Nous proposons des aides concrètes, notamment pour faciliter l’accès à l’eau, explique Denge Lugayo, responsable de projet pour l’ONG. Lorsque les femmes et les filles ne doivent plus consacrer plusieurs heures de leur journée à se rendre à la rivière, elles ont le temps d’aller à l’école. Et la relation que nous établissons nous permet aussi d’ouvrir d’autres discussions plus sensibles. » Chaque année, des jeunes filles meurent des suites d’infection ou d’hémorragie liées à une mutilation génitale féminine (MGF). L’excision peut aussi causer une douleur intense pendant les rapports sexuels et des complications lors de l’accouchement.
« Je suis une survivante », raconte Talaso Gababa, 24 ans, une activiste anti-MGF issue du nord-est du pays, où l’excision est aussi largement pratiquée. Elle décrit la peur
et la douleur lorsqu’elle a été « coupée » « avec une lame de rasoir, les jambes liées », et l’état de choc profond qu’elle a ressenti ensuite. « Ma petite soeur a 13 ans et je me suis promis qu’elle ne subirait pas ça, dit-elle. Plus personne ne devrait subir cela. » La mise en place de ces rituels alternatifs est une avancée. Mais ce n’est qu’un pas en avant sur un long chemin pour l’égalité des genres.
Contrairement à ses deux soeurs aînées, Penina KaKenya Keteko, 14 ans, n’a pas été excisée. « Mes parents ne m’ont pas forcée », rapporte la jeune fille, cheveux courts, silhouette élancée, dont la voix haut perchée rythme une danse, à la tombée de la nuit. Elle porte sur la tête une coiffure de perles colorées qui marque sa transition, ce jour-là, du statut d’adolescente à celui de femme. « Mais il y a d’autres problèmes, constate-t-elle. Je voudrais devenir institutrice. Ma mère m’encourage, mon père hésite. Il pense qu’il serait plus profitable de me marier. Ils se disputent parfois à ce sujet. »
En 2020, Nice Nailantei Leng’ete a pour projet d’ouvrir un centre éducatif pour filles à Loitokitok, à proximité de son village natal. « Toutes ne peuvent pas devenir médecin ou juriste, convient-elle, mais il faut qu’elles croient en elles, en leurs capacités, et apprennent les bases de l’entrepreneuriat. »
Elle insiste sur l’importance d’éduquer aussi les garçons : « Le changement passera également par eux. Il faut qu’ils respectent leurs soeurs et leurs épouses. »
La prévalence des mutilations génitales est en baisse en Afrique, particulièrement chez les enfants de moins de 14 ans. Mais si, en Afrique de l’Est, les chiffres sont encourageants, ces progrès semblent plus lents en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest. En collaboration avec Amref et d’autres activistes, Nice veut maintenant porter son combat au-delà des frontières de son pays natal. « Pour que le message passe, il faut que nous identifiions des championnes au sein de chaque communauté, déclare-t-elle. Il y a toujours des moyens de contourner les lois. Mais la discussion et des modèles positifs ouvrent la voie. »
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