Causette

Les mains dans la vulve

- Dr Kpote kpote@causette.fr et sur Facebook/Twitter

Forcément, quand j’ai reçu l’invitation de la médiathèqu­e de Neuville-surSaône, dans le Rhône, pour une soirée d’échanges sur la sexualité et les ados, en pleine semaine de promo du beaujolais nouveau, j’ai présumé que ma petite virée au pays de Guignol aurait peut-être un goût de banane. D’ailleurs, j’ai eu une pensée pour cette scène de la série Sex Education dans laquelle Eric se mue en prof de fellation pour donner un cours collectif aux filles du lycée en les invitant à sucer goulûment ce fruit, le plus phallique du verger. J’ai évoqué, en aparté, cet épisode auprès de parents d’ados venus assister à cet échange : ce cours-là, dispensé par Netflix, leur progénitur­e ne l’avait pas séché et il s’est avéré bien plus assimilé que celui sur les probabilit­és !

Le lendemain de cette soirée, qui s’était terminée sur des échanges de pratiques entre profession­nel·les de la prévention, souvent isolé·es sur leur territoire respectif, il était prévu que j’anime une séance d’informatio­n non mixte avec les jeunes de l’Espace Jeunesse. Le rendez-vous était fixé dans un appartemen­t municipal, parfaiteme­nt aménagé pour recevoir des groupes. À l’heure dite, un animateur est arrivé avec huit garçons de 14 ans.

Installés autour d’une table ronde, on pouvait tous se regarder les yeux dans les yeux, sans tricher. L’éducateur et l’animateur sont restés en retrait pour libérer la parole tout en gardant un oeil bienveilla­nt sur le groupe. La présence d’adultes référents – surtout celles et ceux qui côtoient les jeunes toute l’année – lors de mes animations est plus que souhaitabl­e. Ce qui est échangé sur un sujet aussi intime que la sexualité réclame un temps d’assimilati­on afin d’être repris par la suite et déconstrui­t. Faire émerger la parole juste pour « faire parler » des gamins qui n’ont rien demandé, ça ne m’intéresse pas. On ne va tout de même pas sortir la gégène et les injections de Pentothal pour justifier nos actions auprès de l’ARS (Agence régionale de santé). Pour être efficace, la prévention doit se faire sur la durée et se répéter à l’envi.

Comme souvent, le débat sur le consenteme­nt a été vif, les jeunes n’étant pas tous d’accord sur le niveau de pression acceptable pour obtenir l’accord de son ou de sa partenaire. La science du forceur à faire céder l’autre n’étant pas exacte, chacun y est allé de sa capacité à jouer les commerciau­x de l’ego, étalant ses techniques de vente du rapport sexuel, le pied dans la porte, à l’ancienne. Là où, fut un temps, on marivaudai­t, puis baratinait, aujourd’hui, on fait plutôt le « charo* ». Comme je les questionna­is pour savoir s’il pouvait y avoir du plaisir sous la pression et le chantage, ils n’étaient plus aussi certains de leur fait. Mais que connaissai­ent-ils réellement du plaisir féminin hors pénétratio­n ? Visiblemen­t, ils butaient un peu sur l’anatomie, confondant vagin et vulve. J’ai alors extrait de mon sac une vulve moulée dans du silicone avec un clitoris escamotabl­e, gland et bulbes vestibulai­res compris. La bande a hurlé comme un seul homme, aussi excitée qu’une tribune d’ultras au coup de sifflet final de la Coupe du monde de 2018. Intelligem­ment, l’éduc a laissé faire, parce qu’on savait

J’ai invité les jeunes à partager ce qu’ils retenaient de cette séance. À ma grande surprise, ils n’ont pas évoqué la vulve siliconée, mais le consenteme­nt

tous qu’il fallait en passer par là. Ils ont voulu la palper et avaient bien du mal à comprendre comment était fichu le clitoris, visible grâce à la transparen­ce du silicone. La vulve est passée de main en main et tous ont branlé les lèvres, jaugeant au passage leurs connaissan­ces en la matière. C’était la première fois que, en petit comité, je testais l’outil en le faisant circuler. Les gestes étaient gauches, un peu brutaux, mais cet acte cathartiqu­e a eu le mérite de les calmer.

Comme ils se demandaien­t comment j’avais obtenu cet obscur objet du désir, je leur ai expliqué qu’une associatio­n de prévention canadienne, Sex-Ed+, me l’avait gracieusem­ent envoyé.

Biberonnés au porno sur Brazzers, la nouvelle plateforme en vogue qui squatte les sites de streaming, ils doutaient de la forme des lèvres de ma vulve en silicone, loin des stéréotype­s filmés. Je leur ai assuré que le moulage avait été fait sur une vraie vulve.

« Quoi ? La meuf vous envoie un moule de sa teucha ? Et votre femme n’a rien dit ?! » Celui qui avait décrété que j’étais donc hétéro et marié s’est mis à renifler le moule à la recherche d’un reste de fragrance de cyprine, provoquant l’hilarité de ses potes. Forcément, il a aussi fait semblant de le lécher, tout en y fourrant son nez. Il y avait un petit côté bulldog anglais dans sa façon de cunnilingu­er qui ne faisait pas vraiment rêver. Comme il se plaignait que « ça ne sentait pas la chatte », j’ai embrayé sur les odeurs corporelle­s et l’hygiène personnell­e. Excitantes ou incommodan­tes, les odeurs jouent un rôle essentiel dans la relation à l’autre. Malheureus­ement, dans notre société très aseptisée, on tend à les masquer tout en codifiant le corps et la beauté. L’un d’eux m’a cité l’exemple des poils qu’il convenait de raser. En deux heures, les jeunes avaient tout donné, et comme les odeurs ne les faisaient pas trop kiffer, je les ai invités à partager ce qu’ils avaient envie de retenir de cette séance. À ma grande surprise, ils n’ont pas évoqué la vulve siliconée, mais le consenteme­nt. Même le plus charo d’entre eux, forçant jusqu’à sa posture, a tenu à ajouter qu’on ne devrait pas obtenir une relation en insistant. Cette belle conclusion m’a redonné la banane, jusqu’au moment où je les ai vus, dehors, se faire questionne­r par des policiers en voiture, qui devaient les trouver trop excités, préservati­fs à la main. J’ai salué le travail de l’équipe éducative qui avait réussi à motiver huit jeunes à venir échanger autour d’une table plutôt que de taper un foot. Le geek qui me maintient que c’est l’intelligen­ce artificiel­le qui va sauver l’humanité, je lui glisse une peau de banane sous le pied. * Charo : diminutif de charognard. Coureur de jupons et baratineur invétéré.

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