EN CONGRÈS, L’ÉGÉRIE DES ANTI-IVG SE LÂCHE
Causette s’est procuré un document exclusif lors du Congrès mondial des familles, la Mecque des antiavortements, qui s’est tenu à Vérone, en Italie, en mars 2019. Leur cheffe de clan en France, Marie Philippe, fondatrice d’IVG.net, y a prononcé un discours… sans filtre. Morceaux choisis.
Le congrès mondial des familles réunit depuis douze ans toute la planète antiavortement. Antichoix chrétiens russes et américains financent ce raout qui vise à partager des « bonnes pratiques » pour mener à bien la croisade anti-IVG. En 2017, il s’était tenu à Budapest (Hongrie). Le Premier ministre ultraconservateur Viktor Orban s’était fait le plaisir de l’ouvrir en personne : « Nous avons réussi à fermer la route de l’immigration illégale dans les Balkans. Alors que nous sommes encerclés par de plus en plus de personnes en Europe, notre population décline. Maintenant, notre objectif est qu’il y ait de plus en plus de naissances. »
Le ton est donné. Et continue de monter…
« La dernière édition, qui a eu lieu en mars 2019 à Vérone, à l’invitation du maire d’extrême droite, a été boycottée pas les plus modérés »,
explique Neil Datta, secrétaire du Forum parlementaire européen sur les droits sexuels et reproductifs. Marie Philippe, elle, visiblement bien connue de l’assemblée, était ravie de monter à la tribune dans son tailleur rouge impeccable. Elle y prononce un prêche ubuesque pour inciter les anti-IVG du monde entier à copier-coller sa machine bien huilée pour « dissuader les femmes d’avorter ». Il tranche avec son discours public bien plus policé. Aux médias, elle ne dit mot de ses croyances, assure ne pas verser dans la désinformation sur l’IVG, renvoyer vers les hôpitaux et les médecins traitants en cas de demandes… Mais avec ses petits copains, dans un cadre plus privé, c’est une autre histoire. « Bonsoir, chers amis de la vie et de la famille, Je suis mariée, nous avons eu sept enfants, dont six mariés et trente-cinq petits-enfants à ce jour. […] On ne peut plus se voiler la face ni se faire d’illusions. La situation de la culture de la vie en France aujourd’hui est catastrophique. […] La défense de la vie fait l’objet d’attaques incessantes de la part des médias et du gouvernement. Nous avons eu le privilège d’avoir provoqué une loi spéciale contre nous en 2018 [2017, ndlr], le délit d’entrave numérique à l’avortement : deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Cette loi, heureusement, n’est pas facilement applicable, mais nous avons toujours ce risque de plaintes et de poursuites.
Dans ce contexte hostile à la vie, où l’avortement est considéré aujourd’hui par la moitié des Français comme un choix valable, voire louable, que faisons-nous ? Nous voulons sauver des bébés. N’oublions pas, nous avons tous été des embryons. […] Nous voulions un contact direct avec les femmes ayant le projet de recourir à l’avortement pour les en dissuader. Nous sommes donc sur le terrain et nous dialoguons très concrètement avec les femmes et nous avons mis au point des procédures pour éviter les problèmes juridiques. Par ailleurs, nous ne voulons pas nous présenter comme pro-vie ou même chrétiens, car si nous le faisions, les femmes ne nous appelleraient pas.
Depuis dix ans, nous sauvons environ 1 500 bébés par an. Nous les sauvons un par un. Nous avons créé deux moyens d’action : un site Internet et une page Facebook. […] L’objectif principal est de délivrer une information factuelle, en particulier les études scientifiques sur l’IVG, qui font état des risques de l’avortement. Et surtout d’inciter les femmes à nous contacter par téléphone grâce à un numéro vert gratuit. Souvent, l’appel est très direct : “Où puis-je avorter ? Comment cela se passe-t-il ? Avez-vous des adresses ?” Bien sûr, nous ne les orientons pas vers des “avortoirs” et nous évitons de donner des renseignements incitatifs. Nous ouvrons le dialogue, les aidons dans leur liberté à faire le choix de l’espérance et nous insistons beaucoup sur les risques psychologiques et médicaux de l’avortement. […]
Ce qui va faire pencher la balance vers la vie se résume à si peu de choses. C’est souvent une phrase qui ouvre le coeur et qui redonne l’espoir. […] Ou bien une promesse d’aide matérielle, par exemple : “Ne t’inquiète pas, on va t’aider, te trouver un logement, on va t’encourager, te soutenir, te dépanner avec un chèque, tu auras tout gratuitement pour ton bébé.” […]
Lorsqu’une femme enceinte nous contacte en message privé sur la page Facebook, une animatrice lui répond immédiatement. Nous engageons alors avec elle un dialogue personnel. L’animatrice lui fait préciser les difficultés rencontrées. Ensuite, elle lui propose de la mettre en contact avec une “écoutante” au téléphone ou de rester par écrit si la femme se sent plus à l’aise pour discuter de cette manière. Enfin, nous proposons très souvent un soutien proche et direct : une “bonne samaritaine”, c’est-à-dire une personne charitable, proche du domicile, pour lui rendre visite. On fonctionne en équipe, parfois les jeunes femmes veulent rester anonymes sans rencontre directe, mais bien souvent, l’aide est acceptée et grâce à la persévérance et à la prière de toute l’équipe, tant de bébés viennent au monde. […]
Même face à des situations dramatiques, nous faisons briller la lumière de l’espérance : nous avons des cas de viol chez des filles de 18 ans, 15 ans… Il y a des situations sordides où, suite à notre intervention, des femmes ont mené leur grossesse à terme.
Maintenant, ce que je vais vous dire, c’est pour vous. Notre action sauve des bébés et sauve donc des femmes et elle est exportable. Quelle que soit la situation des femmes, le pays, la culture, la religion, l’avortement est toujours contre nature. Ce point est fondamental pour avoir un discours audible, particulièrement dans les médias. Nous en avons la preuve tous les jours. Notre travail sur le terrain est un modèle si facile à mettre en oeuvre ailleurs qu’en France. […]
Pour dissuader une femme d’avorter, ce n’est pas compliqué. Il suffit de faire appel à son coeur avec amour, avec patience, et insister sur le fait que l’avortement est contre nature par excellence et que ce n’est pas la solution pour elle et que nous allons trouver avec elle des solutions pour qu’elle puisse garder leur petit. Et ça, c’est un discours audible. Nous voudrions mettre à votre disposition tout notre savoir-faire et notre expérience pour que, chez vous aussi, vous puissiez sauver des bébés, un par un, jour après jour. C’est notre grande espérance à nous tous. »
Pendant près d’un mois, notre journaliste s’est fait passer pour une femme enceinte souhaitant avorter, auprès d’« écoutantes » d’IVG.net aux techniques de persuasion rodées, parfois brutales. En les infiltrant, Causette les a prises en flagrant délit de désinformation.
Je like la page Facebook « IVG, vous hésitez ? Venez en parler ! », le 30 septembre. Par message privé, je m’invente une grossesse non désirée. L’administratrice est aux aguets, elle me répond dans la minute. Si je m’adresse à elle, compte tenu du titre, c’est que je cherche à me renseigner et à échanger sur l’IVG. Son but ? Capter mon attention et se poser en interlocutrice privilégiée pour canaliser mes interrogations. Et éviter ainsi que je n’aille naviguer sur d’autres sites, comme celui du gouvernement, IVG.gouv, qui, lui, délivre une information neutre. Elle me propose de me mettre en relation avec une « écoutante » qui a « une grande expérience de l’IVG ». Elle insiste pour que je lui donne mon numéro de téléphone, moi qui préférerais dialoguer par message privé. L’intérêt de récolter des 06 ? Je vais le comprendre rapidement : le marquage à la culotte par smartphone et ses multiples points d’accroche.
1er commandement Tu n’orienteras pas vers des “avortoirs”
Le soir même, je reçois un premier message sur mon téléphone. S’ensuit un échange SMStolaire d’un mois, avec une « écoutante » ultra disponible, de 8 heures à près de 23 heures. Je sais seulement qu’elle est « passionnée par les fleurs !!! Et le bonheur des femmes !!!! ». Appelons-la Pia. Je reçois environ un texto par jour de sa part. Je ne réponds pas toujours. Quand je ne lui donne pas de nouvelles dans la journée, elle m’envoie de doux messages : « Je pense à toi »; « Je ne t’oublie pas »… Si j’étais isolée, que j’avais 17 ans et que je n’osais pas parler de ma grossesse à mes parents, ses messages « maternels » de « soutien » me feraient sans doute du bien.
Cinq jours après notre premier contact, une autre application de mon smartphone est prise d’assaut : je reçois un appel manqué via WhatsApp : la photo de mon interlocutrice apparaît, une souriante sexagénaire. Les premiers jours semblent cruciaux. Au bout d’une semaine, je n’ai pas donné signe de vie depuis trois jours à Pia, elle me relance via Messenger…
Pia s’arrange habilement pour retarder au maximum mon accès aux renseignements de base. J’indique être enceinte depuis six semaines et je demande d’emblée où il est possible d’avorter. Elle « ne peut pas [me] donner une adresse… C’est un centre d’écoute national ». On s’approche dangereusement du délit d’entrave à l’IVG. Elle a
“On est en France, pas en Inde, vous n’allez pas accoucher et devoir le mettre dans le caniveau, on n’est pas dans un pays sous-développé, on n’est pas en Afrique !”
Une “écoutante”
bien retenu le premier commandement officieux enseigné par sa cheftaine, Marie Philippe : ne pas orienter les femmes vers des « avortoirs ». Elle me relaie aussi des expériences de femmes qui ont « très souvent du mal à se remettre d’une IVG », des « fausses couches qui ont suivi », qui « restent traumatisées après tant d’années », car « on n’oublie jamais une IVG ».
« Certaines femmes reçoivent même des coups de téléphone quand elles sont dans la salle d’attente juste avant leur IVG », dénonce Véronique Séhier, coprésidente du Planning familial. « Et quand elles bloquent leur numéro, il arrive que l’“écoutante” passe par WhatsApp. Cela s’apparente parfois à du harcèlement », constate aussi la sociologue spécialiste de l’avortement, Marie Mathieu.
2e commandement Tu rassureras, voire tu désorienteras
Pia humanise aussi très vite par les mots mon embryon factice, certainement dans l’espoir que j’assimile aussi ses termes et que je me projette maman. Elle me demande : « Le père est vraiment hostile ? Pourtant, il voit bien combien au fond de toi tu hésites. » Et poursuit : « Votre amour prendra une force différente avec un bébé »; « L’homme est plus lent à s’habituer à l’idée d’avoir un enfant, mais c’est le premier à se réjouir quand il est là, il leur faut plus de temps, je le vois la plupart du temps pour un premier. » En tant que patriarches, « ils se sentent responsables, avant tout financièrement, il faut leur redonner confiance ». Puis Pia respecte le deuxième commandement : rassurer. Elle me signale que « des aides vont se déclencher avec la venue d’un enfant, allocations logement, la Paje
[prestation d’accueil du jeune enfant, ndlr] ».
Elle me trouve des solutions : « Tu pourras être près de l’enfant puisque tu travailles à domicile. »
Me sentant perdue, Pia me dessine même un nouveau plan de vie : « Pourquoi rester à Paris » puisqu’« on y gâche sa vie » ! Oui, tiens, pourquoi ?
Selon mon cycle de grossesse imaginaire, je n’ai pas eu mes règles depuis près de neuf semaines. Elle a fait le calcul elle-même : elle sait très bien que ce moment est charnière. En effet, la Haute Autorité de santé du pays, la HAS, recommande de ne pas réaliser d’IVG par cachet abortif après neuf semaines d’aménorrhées. Même si, en réalité, le Planning familial a recensé au moins vingt-cinq établissements dans l’Hexagone qui proposent cette option une fois passé ce délai.
“Si tu avortes, tu n’auras plus aucune confiance en toi, tu n’arriveras plus à accomplir aucun projet”
Une “écoutante”
Dans l’esprit des femmes, prendre des médicaments abortifs semble moins lourd, moins douloureux qu’une intervention chirurgicale. Pia le sait. Dès lors, elle m’incite à « prendre mon temps », me disant que j’ai de toute façon « dépassé le délai de l’IVG médicamenteuse ». Pia joue clairement la montre : elle cherche à retarder mon passage à l’acte dans l’espoir que j’atteigne le seuil fatidique de 14 semaines, le délai légal d’avortement en France, et que je finisse par poursuivre ma grossesse. L’influence est insidieuse. Pour se prémunir du risque d’être attaquée après coup, elle prend souvent des précautions : « La décision t’appartient, je la respecte… »
3e commandement Tu culpabiliseras et tu effraieras
Je demande si des femmes ayant avorté seraient d’accord pour m’expliquer comment cela se passe. Le 23 octobre, je reçois l’appel d’une jeune mère la morale en pleine face. J’en suis presque à ma onzième semaine sans règles : l’agressivité monte d’un cran. Elle me demande d’emblée si c’est mon « premier enfant » ? Je ne peux pas m’empêcher de lui répondre qu’à ce stade, ça n’en est pas encore un. « Bien sûr que si », rétorque-t-elle. Et d’ajouter : « Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un enfant, d’autres réussissent et le balancent », un brin culpabilisant. J’imagine l’écho de tels mots pour une trentenaire ayant dans son entourage un couple stérile en mal d’enfant… « Si c’est seulement une question financière, c’est ridicule. On est en France, pas en Inde, vous n’allez pas accoucher et devoir le mettre dans le caniveau, on n’est pas dans un pays sous-développé, on n’est pas en Afrique ! »
conclut-elle. Je reste sans voix.
Le tout ponctué de réguliers « je ne juge pas, mais… ». « Comment ça, vous ne voulez pas d’enfant. Mais de toute votre vie ? Une vie sans enfants ? »
Puis : « Vous n’êtes plus toute jeune, à 33 ans, ce n’est pas comme avorter à 16 ans. Là, le temps que ça se remette, vous auriez 40 ans, vous ne pourriez plus en avoir ! »
Elle opte pour le tutoiement : « Si tu avortes, tu n’auras plus aucune confiance en toi, tu n’arriveras plus à accomplir aucun projet. Je ne sais pas si tu as déjà vécu le décès d’un proche… C’est pareil, tu seras comme dans une phase de deuil. » Bam. Les mots sont forts et effraient.
Mon cas lui semble désespéré, elle passe à l’ultime étape de son argumentaire de vente « pro-vie » : « Ce n’est même pas sûr qu’il vienne au monde, si ça se trouve, tu vas le perdre dans quelques semaines ou bien trois mois après avoir accouché ! »
À croire qu’elle touche une prime à chaque fois qu’elle évite un avortement. « Ce n’est pas nous qui décidons de la vie et de la mort. Et puis on n’est pas là pour parler de la mort, mais de la vie ! » tentet-elle une dernière fois. Je coupe court, sidérée. Sans doute fichée « irrécupérable », je ne reçois plus qu’un prudent SMS de Pia, le 24 octobre : « Je pense que tu connais tout sur l’IVG et ses conséquences, tu es donc bien libre… Je respecte ton choix. »
Puis silence radio.