Des vertes et des pas mûres
Activisme écolo : stop à l’entre-soi occidental !
Deux semaines après sa participation au Forum économique mondial de Davos (Suisse), Google ne reconnaissait toujours pas son nom. Lorsque l’on tapait « Vanessa Nakate », le moteur de recherche nous enjoignait à essayer « avec cette orthographe » et proposait, à la place d’informations sur cette écologiste ougandaise proche de Greta Thunberg, une quasi-homonyme, avocate parisienne, spécialiste du divorce. Amer rappel… Celui de l’invisibilisation des activistes écolos des pays du Sud, en particulier d’Afrique, dans les débats sur la planète. Vanessa Nakate venait pourtant – ironique paradoxe – d’en devenir le symbole. La faute à une photo d’Associated Press, où elle figurait aux côtés de quatre autres militantes, qui a été rognée. Seule différence avec ses consoeurs : elle est noire.
La pratique a été dénoncée en masse sur les réseaux sociaux. Avec elle, une ribambelle de messages appelant à réhabiliter le rôle, la voix de cette jeune femme et celles des écolos non blancs et non occidentaux. Comme Elizabeth Wathuti, militante écologiste kényane. Face à cette invisibilisation, la jeune femme a des éléments d’explication. « L’enjeu du changement climatique a été “occidentalisé”, nous expose-t-elle. Lorsqu’il est débattu au Nord, c’est sous l’angle du risque de crise économique pour les pays riches. Ils ne réalisent pas que, pour nous, c’est un drame tangible en ce moment même. »
Insécurité alimentaire
Sept des dix pays les plus vulnérables au changement climatique sont en Afrique, selon la Banque africaine de développement. « Au Kenya, illustre l’activiste, janvier est censé être le mois le plus sec. Mais cette année, de terribles inondations ont tout ravagé. » Il y aurait eu, depuis le début des tempêtes en octobre 2019, au moins 130 morts et 20000 déplacé·es, recense Al Jazeera. À l’échelle continentale, le climat est tellement affecté, poursuit Elizabeth Wathuti, que « les agriculteurs ne savent plus quand lancer les plantations, ce qui accroît l’insécurité alimentaire ». Lourd tribut pour un continent responsable de seulement 5 % des émissions de gaz à effet de serre, d’après les estimations.
Docteur en philosophie politique, Malcom Ferdinand a reçu, en février, le prix du Livre de l’écologie politique pour son essai Une écologie décoloniale
(éd. du Seuil). Cette invisibilisation « commence à être reconnue, mais elle n’est pas problématisée, soutient-il. Lorsque l’on prend en compte la voix des autres peuples, c’est souvent de manière dépolitisée, pour célébrer leur culture, mais jamais pour dire que la domination de ces peuples – celle qui a été menée dans le cadre des empires coloniaux européens, dont la France – et qui passe aujourd’hui par la globalisation, est constitutive de la crise environnementale ».
C’est là le coeur de l’écologie décoloniale : montrer que les dégâts faits à la planète sont indissociables de ceux faits aux victimes par les pays dominants.
Pour partager la lumière des projecteurs, Greta Thunberg a organisé une conférence de presse avec quatre écolos africaines, dans la foulée de Davos, à Stockholm (Suède). Ndoni Mcunu, doctorante sud-africaine en sciences environnementales, est l’une d’entre elles. Contactée par Causette,
elle renchérit : « Quand vous êtes vulnérables, on part du principe que vous n’avez pas les connaissances pour vous gérer. »
Les pouvoirs internationaux « partent donc du principe qu’en Afrique on ne sait pas. Et ils ne nous écoutent pas ». Raison pour laquelle elle a lancé l’ONG Black Women in Science (dont le but est de promouvoir les femmes noires dans les sciences). « Il faut forger un récit écologiste africain, argumente la scientifique. Pour montrer que nous avons des solutions. Et pour que les premières personnes que l’on a en tête lorsqu’il s’agit de changement climatique soient celles qui le subissent vraiment, c’est-à-dire nos communautés. » En particulier, les femmes.
Lorsque l’on demande qui sont les noms incontournables en la matière, Elizabeth Wathuti et Malcom Ferdinand citent directement le même : Wangari Maathai, biologiste kényane décédée en 2011. Elle est la première femme d’Afrique de l’Est à avoir obtenu un doctorat, elle a reçu le prix Nobel de la paix en 2004 et a fondé une ONG de femmes contre la déforestation. Elle incitait l’Afrique à « ignorer le modèle » des pays occidentaux pour trouver des voies vertes de développement. Ndoni Mcunu, elle, cite les Resilient 40, un groupe de quarante personnalités africaines unies pour le climat.
Renverser la perspective
« Beaucoup de penseurs, reprend Malcom Ferdinand, sans être spécialistes de l’écologie, invitent à renverser la perspective. » Et de citer Vandana Shiva, écoféministe indienne, héroïne des luttes anti-OGM, le révolutionnaire burkinabé Thomas Sankara, ou même le poète ultramarin Aimé Césaire.
Pour poursuivre l’entreprise, Causette a dressé une petite liste, non exhaustive, allongeable à l’envi. On vous invite donc à checker Leah Namugerwa, 15 ans à peine et l’une des vingt-deux personnalités à suivre sur Twitter, d’après Amnesty International, pour ses actions pédagogiques en Ouganda. Ayakha Melithafa, militante sud-africaine, elle aussi invitée à Davos, outrée par la sécheresse et les problèmes d’accès à l’eau. Ou encore Francia Márquez, militante afro-colombienne, visage de la lutte contre les mines d’or illégales, lauréate du prix Goldman pour l’environnement en 2018 – qui n’a toujours pas de fiche Wikipédia en français… Mais aussi Alfred Brownell, opposant libérien aux plantations pour la production d’huile de palme, responsable de la déforestation dans son pays. Tewolde Berhan Gebre Egziabher, chercheur éthiopien dont les travaux sur les savoirs autochtones dans la préservation de la biodiversité lui ont valu le Prix Nobel alternatif. Ou enfin, Nina Gualinga, écoféministe suédo-équatorienne et fière de ses origines autochtones, ennemie de l’industrie pétrolière en Amazonie… Désormais, plus d’excuses.