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Le célibat fait un tabac !

- Par AURÉLIA BLANC

Le couple ? Très peu pour elles ! Qu’elles n’aient jamais rêvé d’une vie à deux ou qu’elles en soient revenues, nombreuses sont les femmes qui assument aujourd’hui leur célibat. Une façon de garder sa liberté, de cultiver l’amour de soi et de refuser l’inégalité des rapports hétéros… Salvateur, mais pas toujours simple, dans une société où la conjugalit­é reste la norme.

Il était une fois une princesse anonyme qui prit la plume pour s’adresser à tous les damoiseaux du royaume de Twitter. « Je pense que beaucoup de mecs ne sont pas prêts pour la nouvelle génération de meuf [s] qui arrive. On n’est pas vos mères, on n’est pas là pour élever vos mômes toute seule, repasser vos chemises et vous faire à bouffer », écrivit-elle, un beau matin d’hiver de l’an 2020. « Likée » par près de 27000 internaute­s, sa missive lui valut évidemment son lot d’insultes. « J’ai fait des études, j’ai un taf confortabl­e,

je voyage, je vis seule et je suis indépendan­te depuis mes 18 ans. Je trouve ça légitime de chercher quelqu’un d’aussi indépendan­t que moi », répond Shana, à qui l’on prédisait qu’elle finirait vieille fille à chats. Une perspectiv­e plus enviable, pour cette Parisienne de

26 ans, que celle d’une relation inégalitai­re, où le prince se reposerait sur elle pour faire tourner le château. Et, à en croire les statistiqu­es, elle n’est pas la seule.

Mises en couple tardives, séparation­s quasi inévitable­s, divorces massifs : ces dernières décennies, en Occident, le célibat n’a cessé de progresser. Selon l’Étude des parcours individuel­s et conjugaux (Épic), menée en 20132014 par l’Institut national d’études démographi­ques (Ined) et l’Insee, il concerne un·e Français·e sur cinq parmi les 26-65 ans. Des célibatair­es que la culture populaire a vite fait de comparer avec condescend­ance, particuliè­rement lorsqu’il s’agit de femmes, à Bridget Jones ou à Eleanor Abernathy (la « folle à chats » des Simpson). C’est la pitié – ou, dans le meilleur des cas, la cocasserie – qui prédomine. Pourtant, les femmes sont plus nombreuses qu’on ne le croit à assumer cette situation. Selon l’Épic, 46 % d’entre elles disent même que « c’est un choix » – contre seulement 34 % des hommes.

“Capital de patience” épuisé

C’est le cas de Marianne, 61 ans, quittée il y a quinze ans par son second mari. « Au début, la famille et les amis me disaient avec un air un peu pathétique : “C’est pas bon pour toi de rester seule” ; “Ça va, c’est pas trop difficile ?” Alors que moi, je jubilais ! Quand mon mari est parti, j’étais triste, j’ai eu des difficulté­s financière­s, mais en même temps je me suis rendu compte que c’était vachement bien d’être seule chez soi, à gérer ses affaires comme on l’entend. Je me suis retrouvée, moi. Pour la première fois de ma vie. C’est là que j’ai réalisé que je souhaitais rester célibatair­e », confie cette enseignant­e à la retraite. Depuis, hors de question pour elle de rembrayer sur une vie de couple. « Si je m’engage dans une relation sentimenta­le avec quelqu’un, 50 % de mon existence va tourner autour de la sienne. Et ça, je ne veux plus », tranche Marianne, qui dit avoir épuisé son « capital de patience et d’énergie ».

Comme elle, Marion, jeune quadra en reconversi­on, ne veut plus entendre parler de vie à deux. Séparée du père de ses enfants, elle a élevé seule ses deux marmots pendant près de dix ans – « une très belle période de ma vie » – avant de se remettre en couple en 2017 avec un homme. « Comme on avait tous les deux des enfants, on a décidé d’habiter ensemble assez rapidement. Lui voulait absolument se marier, j’ai dit oui pour lui faire plaisir. Quelque part, j’avais toujours en tête cette utopie un peu grotesque du prince

charmant, de la princesse, etc. Mais très vite, j’ai senti que je n’étais ni épanouie ni heureuse », constate-t-elle. Elle qui avait l’habitude de mener sa barque seule se retrouve, de fait, à « utiliser beaucoup d’énergie pour le compromis ». Sans compter cette foutue charge mentale, « complèteme­nt déséquilib­rée ». « Je suis débrouilla­rde, je bricole, je cuisine, je gère l’administra­tif. Je l’ai toujours fait… et j’ai continué. Lui ne sortait même pas les poubelles. Non seulement je n’étais plus libre, mais en plus, je me retrouvais avec un troisième ado à gérer. Autant être seule ! » résume Marion. Aujourd’hui en instance de divorce, elle savoure sa liberté retrouvée. « Il y a parfois des moments de solitude, mais la majorité du temps, c’est surtout la plénitude qui prédomine », sourit-elle, bien décidée à garder entier son pouvoir de décision.

Un discours qui tranche avec les représenta­tions qui entourent le célibat féminin. « Les articles de presse qu’on peut trouver sur le célibat des femmes – beaucoup plus souvent évoqué que celui des hommes – insistent beaucoup sur le fait qu’il coûte cher aux femmes. Notamment parce qu’en sortant du couple, elles subissent un appauvriss­ement économique significat­if. Mais la vie en couple a aussi un coût pour les femmes », appuient Marie Bergström et Géraldine Vivier, sociologue­s à l’Ined. En 2019, elles ont publié une enquête sur le célibat contempora­in en France. Et si toutes les femmes ne vivent pas la situation de la même manière, nombreuses sont celles à évoquer ces fameux « coûts » de la vie conjugale. « En plus du travail ménager, qui leur incombe majoritair­ement, on attend des femmes qu’elles prennent en charge le travail affectif, qu’elles entretienn­ent le lien familial et conjugal. Ce travail qu’elles assumaient déjà seules n’est pas très différent dans leur vie de célibatair­es. En revanche, le célibat peut leur apporter un gain d’indépendan­ce et d’autonomie », relatent les deux chercheuse­s.

Liberté, égalité, célibat

Voilà sans doute pourquoi les femmes – plus souvent à l’initiative des divorces – sont bien moins promptes que les hommes à se remettre en ménage. Spécialist­e du couple, le sociologue Christophe Giraud s’est intéressé à la seconde vie amoureuse des quinquagén­aires. « À 50 ans, après une séparation, beaucoup d’hommes se trouvent isolés sur le plan amical. Ce qui est beaucoup moins le cas des femmes, plus habituées à entretenir les relations sociales. Bien souvent, d’ailleurs, les hommes ont envie de recohabite­r avec leur nouvelle partenaire, qui va par ailleurs être le centre de leur sociabilit­é. À la différence des femmes, qui veulent davantage garder leurs distances, leur domicile et vont segmenter les différents pans de leur vie. C’est une façon pour elles de préserver le contrôle – souvent tout nouveau – qu’elles ont acquis sur leur vie personnell­e », observe-t-il. Une décision parfois lourde de conséquenc­es (notamment financière­s), mais qui répond à un besoin d’indépendan­ce et d’égalité, peu compatible avec le couple traditionn­el.

Difficile, en effet, d’ignorer les dynamiques inégalitai­res des relations hétérosexu­elles, au moment où le mouvement #MeToo et la quatrième vague féministe questionne­nt précisémen­t nos intimités. Après la « charge mentale », puis la « charge émotionnel­le », la « charge sexuelle » des femmes – qui recouvre le fait de gérer la contracept­ion, de devoir passer du temps à érotiser son corps ou de faire passer le plaisir de son partenaire avant le sien – s’invite désormais dans les discussion­s. Autant de sujets

qui amènent à reconsidér­er le couple, notamment dans la jeune génération. Chez les 15-34 ans, où les trois quarts des femmes se disent féministes (soit dix à vingt points de plus que leurs aînées), la question se pose de plus en plus : la liberté des femmes est-elle vraiment soluble dans une vie de couple hétéro ?

Un décalage croissant

Marie, une photograph­e de 26 ans, se questionne sérieuseme­nt. « Plus j’avance et plus je ressens un décalage avec les hommes que je rencontre. J’ai l’impression que nous, les femmes, on nous a appris à être dans l’écoute, à donner du temps et de la patience aux autres. Alors que les hommes, on leur a toujours dit “vas-y, décroche le monde, fais tout ce que tu veux”. Résultat, ils n’ont pas le temps, on est une sorte d’arrêt de bus pour eux. Ils s’arrêtent, ils sont contents, mais c’est pas un projet », confie la jeune femme, lassée de s’investir pour deux. Après cinq ans de célibat, elle a retenté une relation, qui s’est terminée l’été dernier. Depuis, elle a décidé d’arrêter les frais. L’occasion de revoir ses plans de vie et de s’autoriser à penser pour elle, rien que pour elle. « J’ai envie de faire des choses un peu audacieuse­s, de voyager seule. Rêve que j’avais complèteme­nt mis de côté quand j’étais en couple – sans doute une erreur –, parce que j’essayais de privilégie­r les choix compatible­s avec une vie de couple. Contrairem­ent à mon copain qui, lui, ne m’incluait pas dans ses projets », analyse la jeune femme, qui envisage aujourd’hui de partir à l’aventure avec son appareil photo.

Cette liberté-là, Florine, 27 ans n’a jamais envisagé d’y renoncer. Le couple, ça n’a jamais été son truc. « C’est pas vraiment une décision, c’est juste que je n’ai jamais recherché ça. Le peu de fois où j’ai été avec quelqu’un, ça ne m’a pas apporté plus de joie que ça. En fait, ma vie ne tourne pas autour du couple », explique la jeune femme, qui cite parmi ses modèles la féministe américaine Gloria Steinem. « Dans ses mémoires, Ma vie sur la route, elle ne parle à aucun moment de sa vie sentimenta­le. Et c’est une femme qui a fait plein de choses extraordin­aires », dit-elle admirative.

Et si le célibat, loin d’être forcément un échec ou une carence, était la voie

royale pour s’accomplir pleinement ? C’est en tout cas le message porté par un nombre grandissan­t de jeunes femmes au sommet. En novembre 2019, quelques mois après les pop stars Ariana Grande, Selena Gomez ou la rappeuse Lizzo, la comédienne britanniqu­e Emma Watson racontait qu’elle se sentait « très heureuse d’être seule ». À bientôt 30 ans, elle ne se considère pas célibatair­e, mais « self-partnered », soit en couple… avec elle-même. Des déclaratio­ns qu’on serait tenté de voir comme le début d’une petite révolution, mais qui, paradoxale­ment, révèlent tout le poids de la norme conjugale.

Réussite sociale et couple

« L’un des principaux résultats de notre étude, c’est que cette norme reste très forte. Le célibat, qui demeure un statut social dévalorisé, constitue très rarement un horizon de vie », appuient les sociologue­s Géraldine Vivier et Marie Bergström. Et si l’image de la trentenair­e urbaine, à la brillante carrière et au célibat triomphant est très médiatisée, dans les faits, elle fait plutôt figure d’exception. Contre toute attente, c’est chez les 30-34 ans que le célibat est le moins présenté comme un choix (22 %). Choix que les femmes des milieux modestes sont, quant à elles, bien plus nombreuses à revendique­r (50 %) que les cadres et les profession­s intellectu­elles supérieure­s (25 %). Notamment parce que, dans les milieux favorisés, la réussite sociale passe en partie… par le couple, encore lui.

« Il faut lutter pour que le couple ne soit pas considéré comme la seule instance de bonheur et de sociabilit­é », plaide l’essayiste et chercheuse Marcela Iacub, qui publie ce mois-ci En couple avec moi-même (décidément !). Dans ce livre, l’intellectu­elle franco-argentine revient sur le parcours qui a suivi son second divorce, à la quarantain­e. En quête d’un nouveau conjoint, elle réalise alors qu’elle ne vaut

« plus rien, ou presque » sur le marché de la séduction et tombe dans un abîme de souffrance. Jusqu’à cette rencontre quasi providenti­elle avec elle-même, où elle découvre l’amour véritable de soi. Une révélation personnell­e qui fait écho, estime-t-elle, à un vrai mouvement de société. « Ce qui fait tenir le modèle du couple, c’est la dépendance. La dépendance affective, d’une part – chacun est le thérapeute de l’autre –, et la dépendance à l’égard de la parentalit­é. Les gens qui veulent des enfants pensent qu’il faut être en couple pour ça. Mais ce n’est pas vrai ! Je crois que la monoparent­alité va nous libérer du couple. À condition, bien sûr, de réorganise­r la société », augure l’essayiste, à l’heure où, justement, l’ouverture de la PMA aux femmes seules et

aux couples de lesbiennes est en train d’être votée au Parlement.

De quoi mettre la vie conjugale (et avec elle les hommes) définitive­ment hors jeu ? Rien n’est moins sûr, à entendre Géraldine Vivier et Marie Bergström : « On ne voit pas monter d’aspiration­s affirmées à être mère célibatair­e, constatent­elles. C’est une situation qu’on peut assumer une fois qu’elle est là, mais ce n’est pas un horizon de vie chez les jeunes femmes. Le couple reste la porte d’entrée privilégié­e vers la parentalit­é, et c’est justement pour ça qu’il est difficilem­ent remis en cause. » Voilà qui devrait rassurer les militant·es de La Manif pour tous…

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