Causette

Ceci est mon corps

Stérilise-toi… si tu peux

- Par LOLA FOURMY – Illustrati­on MARIE BOISEAU pour Causette

4,5 % des Françaises entre 18 et 49 ans ont eu recours à une opération de stérilisat­ion à visée contracept­ive, en 2016, d’après Santé publique France. Le nombre d’opérations a fortement augmenté l’an dernier à près de 24000 contre 13000 en 2007. Un processus qui ne se fait pas sans encombre et, aujourd’hui encore, les femmes ont intérêt à s’armer de patience. Pourtant, la loi de juillet 2001 est claire : elle impose d’être majeure, capable de faire un choix éclairé, bien informée et de respecter un délai obligatoir­e de quatre mois de réflexion. Néanmoins, des centaines de femmes témoignent de refus médicaux sous des motifs fantaisist­es. Plusieurs groupes Facebook sur la question rassemblen­t des milliers de membres et autant de récits de galères. L’un d’eux, Stérilisat­ion volontaire (plus de 10000 membres), voit son nombre d’inscriptio­ns augmenter chaque semaine. Vanessa, Normande de 31 ans et mère de trois enfants, n’a pas fait appel à ces espaces d’échanges et, pourtant, elle aussi a beaucoup à raconter sur son parcours. Allergique à de nombreux contracept­ifs, la trentenair­e se décide, après la naissance de sa dernière fille, à demander une ligature des trompes. Elle en est certaine, elle ne veut pas d’autres enfants : « J’ai fait mon boulot pour le repeupleme­nt de la France », plaisante-t-elle. Mais ce n’est pas exactement le point de vue de la sage-femme qui la reçoit. « Elle m’a mise en garde et m’a même dit : “Mais si vous perdez un enfant, vous voudrez peut-être le remplacer.” » À ces mots, choquée, Vanessa écourte la consultati­on. Il lui faudra des mois avant d’aller consulter à nouveau.

La pratique de la stérilisat­ion fait partie des trois cas (avec l’IVG et la recherche sur l’embryon) pour lesquels les praticiens peuvent appliquer une clause de conscience

spécifique. Inutile donc d’invoquer des arguments fallacieux, autant jouer franc jeu avec les patientes. Pourtant, à en croire les femmes, de nombreux médecins ne se privent pas pour tenter de contrôler leur corps et leur choix. Teddy Linet, gynécologu­e, lui, a cheminé sur la question. En début de carrière, il était parfois réticent à opérer certaines patientes : « Je n’étais ni pour ni contre, mais disons que j’étais imprégné par mes sentiments personnels », détaille le praticien. Le récit d’une patiente le fait réfléchir. Cette femme, qui vivait dans des conditions précaires, élevait six enfants quand elle est à nouveau tombée enceinte après un énième refus de stérilisat­ion. « À ce moment-là, je me suis demandé de quel droit on lui avait refusé l’opération. Et si ça n’aurait pas pu changer le cours de sa vie », s’interroge Teddy Linet. Y a-t-il alors un formatage des médecins ? Peut-être. Le gynécologu­e raconte ce fameux tableau présenté pendant ses études : « Il y avait un genre de score, si la femme avait plus de 35 ans, plus de trois enfants, alors elle avait le bon score pour être opérée. » C’était avant la légalisati­on de la stérilisat­ion, mais ces critères arbitraire­s semblent toujours ancrés dans l’esprit de certains profession­nels.

Sachant contre patient

Les refus sont particuliè­rement fréquents pour les jeunes femmes et les nullipares (qui n’ont jamais eu d’enfants). Âgée de 26 ans, Ransa, Parisienne d’origine marocaine, raconte son parcours chaotique : cinq médecins consultés, des fausses informatio­ns communiqué­es (« cette procédure est interdite »), elle subit les remarques sexistes : « Pensez donc à votre futur mari. » Et même raciste : « Les gens comme vous aiment les enfants, vous ne devriez pas faire ça. » « J’avais l’impression que mon corps ne m’appartenai­t plus ! », déplore cette ingénieure. Plutôt qu’un problème de paternalis­me, c’est la relation patient-médecin qui est mise en cause pour Michel Briex, gynécologu­e-obstétrici­en au CHU de Libourne (Gironde) : « Certains sont dans une position de sachant contre patient, plutôt que d’égal à égal. » Et de souligner la place si particuliè­re accordée aux trompes de Fallope : « Pourquoi attendre quatre mois pour cette chirurgie et pas pour une chirurgie esthétique dont les résultats peuvent être eux aussi irréversib­les ? Pourquoi pourrait-on disposer plus librement d’un excédent de la peau de son ventre, de ses seins, et pas de ses trompes et de son souhait de ne plus vouloir avoir d’enfants ? » s’étonnait le docteur Briex dans la revue Spirale (no 68), spécialisé­e dans les questions d’éducation.

Pour répondre à la détresse de ces femmes, certaines profession­nelles travaillen­t à changer les mentalités. À l’hôpital de Montreuil (Seine-Saint-Denis), les gynécologu­es Sarah Abramowicz et Stéphanie Sanyan ont mis en place un nouveau protocole de prise en charge des femmes de moins de 35 ans ou sans enfants, qui souhaitent opter pour la contracept­ion permanente. Elles suivent un parcours dédié, sont reçues par une conseillèr­e conjugale du Planning familial, qui prend le temps d’écouter leurs motivation­s et de leur présenter les risques de l’opération. C’est seulement ensuite qu’elles sont présentées à un médecin. L’idée, ici, est de rassurer les deux parties, la femme qui dispose d’une écoute attentive et d’informatio­ns précises et les médecins qui, pour certains, affirment manquer de temps pour creuser les raisons de cette volonté de stérilisat­ion. « Le deal, c’est qu’après, n’importe quel praticien accepte l’opération », précise le docteur Sanyan. Dans les faits, sur la quinzaine de femmes reçues depuis la création du protocole, une seule a choisi de poursuivre la démarche. « Je crois que c’est à partir du moment où on dit oui aux femmes que le vrai délai de réflexion commence. Le fait de leur demander leur avis, ça change tout », conclut Stéphanie Sanyan. Quant au risque de regrets brandis par certains praticiens, il serait minime. Pour Michel Briex, moins de 2 % des femmes ayant choisi l’opération demandent une reperméabi­lisation des trompes. La stérilisat­ion n’est que l’arbre qui cache la forêt. Car c’est cette vision de la femme forcément procréatri­ce que la société doit totalement reconsidér­er.

“Je crois que c’est à partir du moment où on dit oui aux femmes que le vrai délai de réflexion commence” Stéphanie Sanyan, gynécologu­e

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