Causette

Soirée dégrisée

- Par CATHY YERLE

Quand Fiston, 6 ans, m’assène de bon matin : « Maman, aujourd’hui, c’est la journée de tes droits ! Tu peux tout faire comme nous, les hommes ! », je réalise que j’ai encore du travail pour parfaire l’éducation féministe de mon futur moustachu. Je lui explique que je peux déjà « tout faire » comme eux, mais il me répond de sa voix de crécelle : « Vous, les femmes, vous ne pouvez pas faire pipi debout. »

Je ne réponds pas « gna gna gna ». Je file sous la douche où, piquée au vif, je pisse d’un jet bien dru, plantée sur mes deux jambes poilues.

Bien décidée à prouver à fiston et à la société tout entière que le genre est une constructi­on, je ne me tartine pas de crème hydratante antirides et je fais carrément l’impasse sur le maquillage. Je me retrouve dans la cuisine, désemparée devant la demi-heure que je viens de gagner. J’en profite pour engloutir deux tartines bien beurrées. Dans la voiture, vers l’école, le visage nu et le ventre bien tendu, j’essaie d’expliquer au petit gars les injonction­s faites aux filles, aux garçons. Le goujat ne lève même pas les yeux de mon smartphone, trop occupé à délivrer une princesse d’un dragon.

En arrivant au boulot, ma collègue Sybille, surprise par ma face sans assaisonne­ment, me dit, l’air inquiet : « T’as pas bien dormi, toi, t’as l’air fatiguée ! » Mais je résiste à l’appel du blush.

En fin de journée, Sybille rassemble toutes les collègues pour aller boire des coups et célébrer nos droits. Ça m’énerve, mais je ne lance aucun débat sur l’utilité de cette célébratio­n. Au bar, après la première pinte, je me sens drôlement détendue. Sybille dit que je suis moins sexy sans mon rouge à lèvres, mais beaucoup plus rigolote. Je commande une deuxième pinte. À la fermeture, je choisis de rentrer à pied, seule, dans la nuit, sans peur et la vessie bien remplie. Trop. Alors, avec une pensée agacée pour mon rejeton, je décide de faire pipi debout, derrière une voiture. C’est moins facile que sous la douche. Empêtrée dans mon pantalon, je bousille ma braguette et arrose copieuseme­nt ma culotte. Je capitule et m’accroupis.

Je ne sais pas par où elle est arrivée, elle s’est plantée devant moi en m’annonçant qu’elle ne savait pas encore si elle allait me verbaliser pour outrage à la pudeur ou pour déversemen­t de déjections insalubres sur la voie publique. J’ai eu beau lui raconter le défi de fiston, la Journée des droits des femmes, les siècles passés à déraper sur les trottoirs en zigzaguant le long de rivières d’urine mâle, elle est restée imperturba­ble. Elle m’a dit que la « Journée de la femme », c’était fini depuis une heure et qu’en attendant la prochaine vague féministe – qu’elle espérait moins ammoniaqué­e que celle que j’avais laissée sur le bitume –, je lui devais 68 euros et que si je n’obtempérai­s pas, elle m’embarquait au poste en cellule de dégrisemen­t.

Faute de poils au menton, je n’ai rien marmonné dans ma barbe, j’ai payé et je me suis enfuie la queue entre les jambes en maudissant cette journée, fiston et sa mauvaise éducation.

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