Mignonnes : mini-Kardashian sur grand écran
Prix de la meilleure réalisation au Festival du film de Sundance, mention spéciale du jury à la Berlinale, Mignonnes, le premier long-métrage de Maïmouna Doucouré, réalisatrice déjà multiprimée avec son court-métrage Maman(s), sortira sur les écrans le 3
Mars 2018, les auditions
Maïmouna a accouché il y a trois semaines et la voilà déjà sur le pont ! Aujourd’hui, elle auditionne trois jeunes filles sélectionnées par Tania, sa directrice de casting. Entre les repérages dans les centres de danse, les castings sauvages à la sortie des écoles et les petites annonces sur les réseaux sociaux, Tania et son équipe ont fait passer plus de sept cents auditions à des jeunes filles âgées de 10 à 13 ans. Entre deux impros, Maïmouna donne le sein. « Je cherche cinq jeunes filles.
Le personnage principal, c’est Amy, elle a 11 ans, elle est d’origine sénégalaise. Elle vit un bouleversement familial, car, hors champ, on apprend que son père a épousé une seconde femme au Sénégal et que sa mère le vit très mal. C’est un clin d’oeil à mon court-métrage Maman(s),
qui traitait déjà de ce thème et qui est en partie autobiographique, car j’ai grandi dans une famille polygame. Pour échapper à cette réalité, Amy va chercher à exister à travers un groupe de jeunes filles, Les Mignonnes, qui sont des danseuses hyper sexualisées et fans de twerk. »
Parmi les jeunes filles auditionnées ce jour-là, il y a Ilanah, petite blonde de 12 ans. Guidée avec bienveillance par Maïmouna, elle va devoir jouer plusieurs situations : se mettre en colère parce qu’on l’accuse d’avoir volé de l’argent, être triste, car ses parents ne s’occupent pas d’elle, improviser une chorégraphie de hip-hop et de modern jazz. Le tout devant une petite caméra. Maïmouna et Tania semblent convaincues… Ilanah sera finalement choisie pour incarner Jessica, l’une des filles de la bande. Maïmouna les informe, avec pudeur et franchise, du sujet un peu délicat qu’elle va traiter : l’hypersexualisation des jeunes filles. C’est lors d’une fête de quartier, dans le XIXe arrondissement de Paris, que Maïmouna Doucouré a trouvé l’inspiration : « J’ai été fascinée et à la fois un peu choquée par un groupe de jeunes filles de 10 ans qui dansaient sur scène de manière très lascive pour leur âge. Elles étaient très aguicheuses sans en être vraiment conscientes, elles dansaient ainsi par simple mimétisme, je pense. Cela m’a donné envie d’en faire un film », se souvient-elle. Et puis les préados sont peu représenté·es au cinéma.
Pour qu’elles ne soient pas trop déstabilisées, les petites actrices suivront des séances avec une psychologue afin de travailler en confiance, les préserver et les préparer à une future médiatisation quand le film sortira en salles.
À quoi rêvent les très jeunes filles ? Pour le savoir et nourrir son scénario (récompensé à la Berlinale et par le Global Filmmaking Award au Festival de Sundance et auquel a collaboré Alice Winocour, qui a remporté le césar du meilleur scénario pour Mustang en 2016), Maïmouna est allée à leur rencontre, sur le terrain : « J’allais leur parler au Parc de la Villette, aux ButtesChaumont, à la sortie des écoles… Beaucoup de témoignages sont très forts. Certaines postent des vidéos sur la Toile en se mettant des mouchoirs dans leurs soutiens-gorge pour se gonfler la poitrine, en se maquillant outrageusement pour se vieillir. Elles se prennent en photo ou se filment avec leur portable dans des positions provocantes pour avoir un maximum de like… Elles ne voient pas le danger que cela peut représenter. En fait, elles sont en manque d’amour. » Leurs idoles ? Miley Cyrus, Yemi Alade ou Nicki Minaj. Des stars qui véhiculent l’image d’une sexualité supposément libérée, une vision ultra sexe du girl power. Les gamines, elles, sont influencées par les clips, les médias et par Instagram, Facebook, Snapchat, Musical.ly, appli qui cartonne chez les ados et sur laquelle elles se filment en train de danser ou de faire du play-back… « Ces jeunes filles grandissent avec l’idée que pour être une femme et avoir du succès, que ce soit sur Internet ou dans la vie, il faut être un objet, être sexy comme Kim Kardashian avec ses cent millions de followers et qui ne s’exprime plus qu’à travers la mise en scène de son corps. Comment ces jeunes filles de 10-13 ans se construisent-elles avec ce modèle-là ? Je souhaite créer un électrochoc et susciter un vrai débat avec ce film », espère Maïmouna Doucouré.
Juin 2018, les répétitions
La réalisatrice a enfin trouvé sa perle rare. Elle a 12 ans, elle est française d’origine afro-guadeloupéenne et s’appelle Fathia dans la vraie vie. Elle a décroché le rôle principal – celui d’Amy – en répondant à l’annonce sur Facebook. Espiègle, nature, elle est très spontanée pendant les impros et réagit très vite. Maïmouna a presque bouclé son casting, mais elle hésite encore sur le choix de la cinquième fille de la bande : Yasmine. Pour voir la cohésion du groupe, elle va faire répéter deux nouvelles jeunes filles avec les quatre autres comédiennes déjà
“Ces jeunes filles grandissent avec l’idée que pour être une femme et avoir du succès, il faut être un objet, être sexy comme Kim Kardashian”
choisies. Toutes sont d’origines différentes, dans la vie comme dans le film. Il y a la timide Amy, la speed Jessica, la cheffe de bande Angelica, Yasmine, la suiveuse, et Coumba, la révoltée. Maïmouna veut représenter la jeunesse dans toute sa diversité et montrer que ce phénomène d’hypersexualisation peut toucher toutes les classes sociales. Le thème de l’impro du jour, qui s’inspire de l’une des scènes du scénario, est donné par Maïmouna. Elles sont dans une fête foraine et l’une d’entre elles trouve un préservatif : « C’est pas un ballon ! C’est pour faire l’amour, pour se protéger du sida », s’esclaffe Coumba, bravache. Cris de stupeur des copines ! Les répétitions sont sportives, car il faut canaliser cinq gamines plutôt agitées et éviter qu’elles surjouent.
À la fin de cette journée-là, Maïmouna est heureuse. Elle a enfin trouvé sa Yasmine ! L’enthousiasme et la bonne volonté de ces petites comédiennes émeuvent la réalisatrice. Elle qui, lors de la remise de son césar pour son court-métrage Maman(s), avait déclaré : « Quand j’ai dit à ma mère que je voulais faire du cinéma, elle m’a répondu : “Ce n’est pas pour nous, est-ce que tu vois des gens qui te ressemblent ?” Aujourd’hui, Maman, j’espère que j’ai réussi à prouver le contraire ! » Maïmouna Doucouré est française d’origine sénégalaise. Son père est éboueur, sa mère femme de ménage et commerçante. Maïmouna s’est passionnée pour le cinéma grâce au concours Hlm sur court, organisé par l’Union sociale pour l’habitat. Pour l’occasion, elle a réalisé son premier court-métrage, Cache-cache, filmé à l’arrache en 2013 et pour lequel elle recevra le troisième prix. De quoi nourrir l’espoir. En parallèle de ses études – une licence en biologie –, elle prend donc quelques cours de théâtre. Puis passe au cinéma. Maïmouna s’est accrochée et, quelques années plus tard, le résultat est là : « Je suis une femme, noire, issue des quartiers populaires, autodidacte. Ce que je représente, c’est déjà du cinéma engagé. »
D’août à octobre 2018, le tournage
Une grande partie des extérieurs a été tournée sur les quais de l’Oise, dans le XIXe arrondissement de Paris. Là où Maïmouna a grandi. C’est là aussi que la bande de filles se filme en dansant le twerk. Grâce aux nombreuses répétitions avec deux chorégraphes, les comédiennes ont appris à bouger de façon lascive sur la musique de Yemi Alade, dans l’esprit de son clip Bum
Bum. « Amy fait les quatre cents coups. Elle cache ses vêtements sexy quand elle rentre chez elle, elle a une double vie. Le lionceau va devenir une panthère noire,
dit en souriant la réalisatrice. Il y a eu beaucoup de répétitions en amont avec les filles. Pour que cela soit le plus réaliste possible, elles n’apprennent pas de texte, je leur raconte ce qu’il faut dire et elles improvisent autour. Elles gardent ainsi leur spontanéité. »
Finalement, le tournage aura duré cinquante-deux jours, intenses, avec une équipe réduite, dont une grande partie travaillait déjà sur Maman(s). Maïmouna se reposera juste une semaine avant d’enchaîner avec le montage. Depuis, la réalisatrice est restée très attachée à ses petites actrices. « Elles m’envoient des messages tous les jours ! Là où je me dis que j’ai réussi quelque chose, c’est qu’elles sont aujourd’hui mes plus grandes ambassadrices face aux dangers de l’hypersexualisation. Elles ont développé leur esprit critique et elles sont devenues très vigilantes. »
Quand le cinéma devient politique…