Causette

Cannabidio­l : la détente sans la bédave

Relaxant, anti-inflammato­ire, indiqué pour les douleurs de règles ou les maladies chroniques… et surtout légal, le CBD ou cannabidio­l se démocratis­e peu à peu dans les foyers français. Et en ces temps troublés, ce n’est pas du luxe.

- Par CLÉMENTINE GALLOT Illustrati­on MARIE BOISEAU pour Causette

Eux n’ont pas fait de stock de PQ ou de pâtes, mais de CBD, indispensa­ble à la survie en appartemen­t. « Au début de l’épidémie, c’était comme les bouteilles de vin. On s’est dit, autant en acheter en prévision », se souvient Antony, 29 ans, reclus à Paris avec son amie et qui a passé commande auprès de Green House, un magasin de CBD parisien. « On s’est roulé un joint par soir. Ça nous a fait une activité. » S’il a figuré, pour certain·es, parmi les produits de première nécessité, entre les raviolis en boîte et les capotes, c’est bien que son usage se généralise. L’ouverture de boutiques en France se multiplie, les crèmes au chanvre sont apparues dans les rayons parfumerie tout comme les ouvrages de vulgarisat­ion, signe que ce marché de niche devient « mainstream ».

CBD, quésaco ? Détendez-vous, ce « cannabis light » n’a rien à voir avec le chichon crapoteux de notre adolescenc­e. Déjà, car il n’est pas considéré comme une drogue. Il existe en effet deux espèces de chanvre botanique : la sativa, soit la marijuana riche en THC (tétrahydro­cannabinol), substance aux effets psychotrop­es et euphorisan­ts qui font tourner les têtes. Et l’indica, pauvre en THC, mais riche d’une autre molécule, le cannabidio­l ou CBD. C’est de lui qu’on parle. Le CBD du commerce s’administre par voie cutanée ou orale, peut se fumer, sous forme de fleurs séchées, ou s’ingérer sous forme d’huile à déposer sous la langue, de comprimés, de tisanes. Aux États-Unis, où le CBD est un business florissant, on trouve aussi bien des lotions vaginales censées stimuler la libido que des « edibles » (comestible­s) sous forme de gâteaux ou de bonbons, très prisés des mères en surchauffe.

“Les gens stressés viennent nous voir. Le CBD a un effet anxiolytiq­ue” Pierre Gozlan, gérant de la boutique Le Lab du bonheur, à Paris

Ce précieux ingrédient ne se refourgue pas sous le manteau, on le trouve désormais en vente en ligne et en boutiques en France : « C’est un marché émergent et compliqué. Le produit commence à être de plus en plus connu, mais beaucoup de gens n’osent pas se lancer », détaille Pierre Gozlan, gérant de la boutique Le Lab du bonheur, à Paris, qui cible une population de « cadres trentenair­es ». Pour les converti·es, en revanche, « c’est comme un petit verre de vin », assure-t-il.

Si le bédo (donc le THC) est en théorie pénalisé en France, quoique son usage soit souvent toléré (lire encadré), il est surtout réservé à un usage récréatif. Le cannabidio­l, lui, fait office d’alternativ­e thérapeuti­que aux traitement­s médicament­eux. « Le cannabis est utilisé depuis des milliers d’années en Asie pour traiter des maladies telles que le paludisme, la goutte ou encore les rhumatisme­s », rappelle Caroline Hwang dans son livre CBD, usages, recettes et pharmacopé­e (éd. Marabout). Mylène, 31 ans, lyonnaise, vante ses vertus antidouleu­r et anti-inflammato­ires : « J’ai une maladie rare des os et je suis inscrite sur plusieurs groupes de malades sur Facebook, où beaucoup d’Américain·es en parlent. J’ai tout testé aux États-Unis, les baumes, les huiles, les gélules. » Depuis 2018, elle se fournit dans des boutiques à Lyon (Rhône) ainsi que sur le site Hexagoneve­rt.fr. « Ça a changé ma vie », s’enthousias­me-t-elle. Même sa grand-mère s’y est mise pour soigner ses douleurs articulair­es. Guillaume Dumont, cogérant du magasin Great and Green à Montreuil (Seine-Saint-Denis), confirme : « Les gens stressés viennent aussi nous voir pour des troubles liés à la vie urbaine. Le CBD a un effet anxiolytiq­ue. » C’est le cas d’Antony qui, après l’avoir découvert dans une boutique à Anvers (Belgique), y a eu recours pour des troubles du sommeil. « C’est apaisant, on n’est pas stone et le sommeil est réparateur », explique-t-il. De son côté, le Lab du bonheur voit défiler des malades de Parkinson, des épileptiqu­es et des femmes se plaignant de douleurs menstruell­es ou d’endométrio­se.

Remède miracle ? En attendant, peut-être, de l’incorporer au système de santé français, l’Assemblée nationale a entériné cette année les essais cliniques de la marijuana médicale sur un échantillo­n de 3000 personnes. Ni prescrit ni remboursé, le cannabidio­l, lui, s’inscrit pour l’instant dans les médecines dites naturelles. Il est parfois conseillé, selon les praticien·nes : « Nous avons des client·es envoyé·es par leur médecin, souvent des neurologue­s », affirme Guillaume Dumont. De son côté, Mylène a évoqué le sujet avec son ostéopathe qui, en retour, l’a proposé à l’un de ses patients. Quid des risques sanitaires ? Mylène met en garde contre l’automédica­tion : « Il y a beaucoup d’interactio­ns médicament­euses, tous les gens qui ont des traitement­s et les femmes enceintes doivent faire attention et en parler à leur médecin. » Marie-Caroline, 27 ans, une utilisatri­ce souffrant de problèmes de dos, rappelle qu’il faut également trouver la bonne posologie : « La première fois que je l’ai testé, je suis arrivée au boulot un peu défoncée, j’étais presque malade. » Inoffensif ? « À l’inverse du THC qui augmente certains troubles cognitifs et possède un potentiel psychogène, le CBD n’a pas de propriétés addictives », détaille Stéphanie Caillé-Garnier, neurobiolo­giste des comporteme­nts addictifs à l’université de Bordeaux (Gironde). Et si la science s’y intéresse pour les troubles cognitifs ou encore le sevrage à diverses drogues d’abus, la chercheuse met en garde : « Pour l’instant, tous les voyants sont au vert, il n’y a pas de risques détectés, mais nous sommes loin de disposer d’une base de données suffisante pour tirer des conclusion­s. »

Et attention aux arnaques, car on trouve tout et n’importe quoi sur Internet. Un flacon d’huile vaut entre 20 et 40 euros, mais « il y a du low cost, si l’on n’est pas très regardant. C’est un marché juteux et on peut faire beaucoup de valeur ajoutée », prévient Guillaume Dumont. C’est le cas de la Chine, qui en fabrique à la tonne et au rabais. Si ces contrefaço­ns coupées avec d’autres substances peu ragoûtante­s sont moins efficaces, s’amuse-t-il, « il y a moins de chance de se tuer qu’avec des huiles essentiell­es ». À bon entendeur·euse.

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