Causette

de Sophie Fontanelle

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Chaque mois, un auteur, une autrice que Causette aime nous confie l’un de ses coups de coeur littéraire­s.

C’est une libraire, il y a des années de ça, me voyant déconfite en train de chercher des livres drôles sur les rayonnages, qui a posé dans mes mains Journal d’Adam et Journal d’Ève, de Mark Twain. À l’origine, les deux journaux étaient séparés, mais les éditions les regroupant sont maintenant généralisé­es. J’ai lu ce livre en quelques heures (il est très court) et je l’ai depuis offert à plus d’une centaine de personnes. J’ai une passion pour la littératur­e humoristiq­ue, je suis fan de PG Wodehouse, des nouvelles de Saki, de Sans nouvelles de

Gurb (Eduardo Mendoza), de certains romans d’Evelyn Waugh. Et, pourtant, j’ignorais tout de la verve comique de Mark Twain.

Le Journal d’Adam, c’est la version d’Adam de la vie au paradis originel. Adam ne comprend rien à rien, et sa perception à lui, c’est que le paradis est très bien comme ça : on a à manger autant qu’on le souhaite, on a à boire, on a le bon air, et il adore l’idée de cette présence féminine autour de lui, qui lui donne de sacrées idées érotiques. Bref, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si sa compagne n’était sans cesse là à vouloir faire progresser leur sens de l’humanité. Elle a une idée par jour. Par exemple, elle décide de se mettre à nommer les choses. Elle met des pancartes devant la maison, détermine des chemins pour aller et venir et établit même (et surtout !) des règles concernant l’érotisme. Vue par Adam, Ève est une fieffée emmerdeuse qui complique ce qui pourrait être simple : forniquer. Adam, bien forcé, se plie aux règles de sa compagne, sans quoi elle refuserait ses faveurs. Il est candidemen­t heureux, les soirs où tout se passe si bien qu’il peut s’accoupler avec Ève. Évidemment, un bébé naît. Adam ne lui prête pas le moindre intérêt, déplorant juste de l’avoir tout le temps dans les pattes. Évidemment, Ève donne un nom au bébé. Puis elle se prend de passion pour cette forme gesticulan­te qu’Adam finit par jalouser.

Le Journal d’Adam, par le fait, est comme un long cahier de doléances. Il se vit comme confiné là, au paradis, avec une folle. Et la beauté de la chose est – on le comprend à demi-mot – qu’il aime.

Le Journal d’Ève donne une tout autre version des faits. Ève a tout de suite conscience d’être cent fois plus intelligen­te que son camarade. Mais elle a besoin de lui, et parce qu’il est robuste, et parce qu’il a un coeur. Elle tombe éperdument amoureuse en direct de ce nigaud. Éperdument amoureuse. La vie.

Journal d’Adam et Journal d’Ève, de Mark Twain. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Freddy Michalski. Éd. L’OEil d’or, 2015, 74 pages, 10 euros.

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