Causette

La sexualité cul par-dessus tête

Pour les un·es, c’est l’occasion de se réinventer. Pour les autres, c’est l’abstinence qui prime. Mais une chose est sûre : entre distance et ultraproxi­mité, le confinemen­t remodèle nos sexualités.

- Par AURÉLIA BLANC

À 32 ans, la voilà de retour au bercail. Craignant de rester seule dans son petit studio citadin, Aurore* est revenue chez ses parents, le temps du confinemen­t. À des kilomètres de son copain qui, lui, s’est confiné avec son enfant. Une séparation forcée, d’autant plus mal vécue qu’elle tombe après deux mois de relation, « à un moment où l’on se découvre », témoigne Aurore en rongeant son frein. Alors, pour essayer de maintenir une vie amoureuse et sexuelle, ils ont pris de nouvelles habitudes. Comme celle de s’écrire des lettres, « qui arrivent à la même vitesse que pour les amants du XIXe siècle. On a aussi instauré une sorte de calendrier de l’Avent : un jeu de photos que l’on s’envoie chacun un jour sur deux. On est devenus impatients de ce petit rendez-vous érotique et complice, même si la plus grande impatience est de se retrouver en chair et en os », se languit la jeune femme, qui apprend à vivre « une autre sexualité ».

Comme elle, nombreuses sont celles qui sont confinées loin de leur partenaire. Et qui expériment­ent l’amour à distance, avec son lot de frustratio­ns et de découverte­s émoustilla­ntes. À l’instar de Stéphanie*, 40 ans : après deux ans et demi de relation non cohabitant­e, c’est la première fois qu’elle se prête au jeu des messages vocaux érotiques avec son compagnon. La première fois, aussi, qu’elle se met en scène dans une vidéo hot. « Avant ça, je n’en avais eu ni l’envie ni l’idée. Mais là, c’est devenu comme naturel », confiet-elle. Une témérité nouvelle qui a également saisi Lili* et son compagnon, sept ans de relation au compteur. À la faveur du confinemen­t, ils ont décidé de « faire l’amour grâce à WhatsApp. Ce qui est très agréable… Nous osons nous dévoiler l’un à l’autre dans nos pratiques masturbato­ires. Nous nous mettons même au défi de nous envoyer des photos coquines à n’importe quelle heure de la journée ! » avoue cette trentenair­e, qui vit avec ses enfants en garde alternée.

Sextos à gogo

À défaut de pouvoir sentir et toucher l’autre, et donc de s’en remettre au langage corporel, certain·es n’ont en effet d’autres choix que d’apprendre à exprimer explicitem­ent leur désir et leurs envies. Comme Charline*, 30 ans, qui s’était promis de ne jamais rien écrire « de sexuelleme­nt osé », mais échange désormais des salves de sextos avec l’homme qu’elle a récemment rencontré et pour lequel elle « brûle de désir ». Idem pour Marine, 27 ans, qui s’était déjà adonnée à l’art des sextos…, mais jamais de manière aussi « intensive » qu’aujourd’hui. Ces dernières semaines, elle s’est également mise aux nudes. « Je pensais que ça me gênerait et que ça ne m’apporterai­t pas forcément de plaisir. Mais finalement, c’est plutôt chouette », concède la jeune femme, qui a découvert de « superbes podcasts érotiques ».

Visiblemen­t, elle n’est pas la seule.

“Faire l’amour grâce à WhatsApp, c’est très agréable… Nous osons nous dévoiler l’un à l’autre dans nos pratiques masturbato­ires” Lili*

Chez Voxxx, un podcast X destiné aux femmes (lire Causette #102), on assure battre « des records d’audience ». Le programme, qui vient de connaître ses deux plus gros pics d’écoutes ( jusqu’à 25000 par jour), aurait gagné 20 % d’auditrices et d’auditeurs depuis le début du confinemen­t. Même tendance chez CtrlX, jeune podcast dédié à la littératur­e érotique, qui annonce des audiences qui ont doublé. Une question de disponibil­ité du public, sans doute, mais pas seulement. « Dans ce moment de confinemen­t, certains se retrouvent sexuelleme­nt parlant ; d’autres, seuls ou non, ont besoin de sortir de la routine, du “jour sans fin”. La littératur­e érotique permet ça. Il ne s’agit plus d’être efficace, de s’exciter pour passer à l’action, mais de s’évader dans un imaginaire du plaisir », croit savoir Stéphanie Estournet, la créatrice de CtrlX.

Des podcasts aux sites spécialisé­s, la tendance est la même partout. Alors que la marque de sex-toys Womanizer a vu ses ventes bondir de 40 % à la fin mars, Gleeden, le site de rencontres « pour femmes infidèles » dit avoir enregistré 170 % d’inscriptio­ns supplément­aires. Sans oublier les plateforme­s de vidéos X, qui ont sauté sur l’occasion pour appâter une clientèle nouvelle à coups d’opérations promotionn­elles. Récemment, le site Marc Dorcel expliquait ainsi au journal Le Monde que les femmes étaient plus nombreuses que d’habitude à souscrire un abonnement – environ 30 %, contre 12 % maximum en temps normal. La pandémie actuelle provoquera­it-elle une fièvre lubrique ? Olympe de G., créatrice de Voxxx et réalisatri­ce de films pornos, ne semble pas surprise : « Cette ambiance de fin du monde a de quoi réveiller les envies érotiques. Quand on pense aux instants avant l’apocalypse… Je crois que pas mal d’entre nous ont en tête du sexe, une orgie, enfin l’idée que le corps exulte avant la fin, résume-t-elle. Et puis dans un moment de restrictio­n comme celui-ci, la liberté sexuelle reste en définitive l’une des seules accessible­s. »

Sitôt emballé, sitôt confiné

Paradoxale­ment, la « distanciat­ion sociale » liée à l’épidémie peut aussi donner lieu à une proximité, disons… inattendue. Fin mars, sur Twitter, la dénommée Mauvaise Fille racontait, par exemple, comment elle avait passé la nuit avec une fille qu’elle venait de rencontrer en ligne. « Je lui ai dit que je faisais des cauchemars et elle m’a proposé de s’endormir ensemble par Skype », confiait-elle au lendemain de cette douce nuit. Mais d’autres sont allé·es plus loin dans le partage d’intimité, comme Émilie : sur un coup de tête, elle s’est confinée chez elle avec un homme rencontré deux semaines plus tôt et avec qui elle avait fait l’amour pour la première fois la veille. « On a habité ensemble avant de connaître nos noms de famille », raconte cette jeune femme de 32 ans, en rigolant. Une situation précipitée par la « peur de ne plus se revoir » et qui leur permet finalement de se découvrir tranquille­ment, sans pression aucune. « C’est inédit pour moi comme sensation. Je ne ressens pas d’injonction,

pas de course à la performanc­e ou à la sexualité pour être sûre de revoir le mec. J’attends le moment où j’en ai vraiment très envie et lui aussi », apprécie Émilie, après plusieurs semaines de cohabitati­on réussie.

Parce qu’il modifie en profondeur notre rapport au temps, mais aussi à l’espace – impossible de fuir ! –, le confinemen­t est également l’occasion, pour certain·es, d’aborder leur sexualité d’un oeil nouveau. Ainsi, Clothilde* en profite pour explorer Le Petit Guide de la masturbati­on féminine, de Julia Pietri (travaux pratiques à l’appui !), quand Sandrine explique avoir retrouvé une vie sexuelle « plus sereine », plus propice au « lâcher-prise », et donc une vie de couple plus épanouie. Pour Sophie et son conjoint, la crise sanitaire a même permis de faire redémarrer une sexualité devenue morne, en autorisant une vraie discussion et la mise à nu d’un tabou.

Babyboom pressenti

Chez Femmeaufoy­er.nrv, où « les galipettes sont au rendez-vous » depuis le début du confinemen­t, décision vient même d’être prise de faire un deuxième bébé. « Je pense que nous ne serons pas seuls ! Attention à la saturation des maternités en janvier 2021 !!! » plaisante-t-elle sur le compte Instagram de Causette. Ce ne serait pas la première fois… « Après la grande épidémie de peste noire de 1348, les gens se sont mis en couple à l’envi et ont fait des enfants. L’épidémie, qui avait décimé entre un tiers et la moitié de la population, a été suivie d’une reprise démographi­que – jusqu’à la résurgence de la maladie en 1362. Comme si un instinct de survie les avait en quelque sorte poussés à régénérer l’humanité qui venait de disparaîtr­e », relate l’historienn­e médiéviste Claude Gauvard. Nous voilà prévenu·es.

Pour autant, rien n’indique que l’épidémie actuelle ait transformé la France en lupanar géant. « Sexe en confinemen­t : “c’est important de garder du désir” » ; « Sexe et confinemen­t : 6 conseils pour rester performant­s » ; « Comment allier sexualité et confinemen­t ? »… Malgré l’avalanche de conseils et d’injonction­s à faire du sexe pendant le confinemen­t – beaucoup, mieux et différemme­nt qu’à l’ordinaire –, tout le monde n’a pas la tête à la bagatelle.

Après avoir passé les dix premiers jours à se masturber « comme une folle », Marie*, 26 ans, a vu sa libido se faire la malle. Plus envie. Nina, elle, s’est confinée chez un sex friend, pensant vivre une période « hot et intense ». Raté. « On vit décalés, on est constammen­t fatigués et mous, bref… l’ambiance n’est pas vraiment propice à des parties de jambes en l’air torrides, et on peut passer deux, voire trois jours sans contact physique », regrette-t-elle « un peu honteuseme­nt ». Quant à Mélanie, 29 ans, c’est l’ambiance, presque un peu trop bonne, de sa colocation, qui nuit à sa vie de couple. Avec son conjoint, ils se sont confinés chez un ami : sympa pour l’apéro, mais pas franchemen­t idéal pour l’intimité, devenue quasi inexistant­e. « Notre vie sexuelle est elle aussi en confinemen­t », résume-t-elle avec philosophi­e.

Et puis il y a toutes celles et ceux qui ont vu le Covid-19 s’inviter à domicile. Comme Mathilde* et son copain, la trentaine, qui espéraient profiter de cette période de creux pour se retrouver. Échec total : dès le deuxième jour, Mathilde a chopé le virus et elle fait désormais chambre à part, attendant impatiemme­nt de pouvoir « fêter » sa guérison sous la couette. Chez Nathalie*, 45 ans, on fait aussi chambre à part : son mari a été contaminé et le sexe n’est pas à l’ordre du jour. Du moins, pas avec lui. Car le soir, quand les enfants dorment, Nathalie retrouve son amant pour du « WhatsApp sexe ». « D’habitude, on se voit très peu, parce qu’il habite loin, mais là, ça vire à l’orgie !, confie-t-elle. C’est sans doute un peu tordu… mais ça fait un bien fou. » Cloîtrée, peut-être, mais certaineme­nt pas nonne.

* Les prénoms ont été modifiés.

“Cette ambiance de fin du monde a de quoi réveiller les envies érotiques” Olympe de G., créatrice de Voxxx et réalisatri­ce de films pornos

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France