Abraham Poincheval : le presque ministre du Confinement sort de sa réserve
LE PRESQUE MINISTRE DU CONFINEMENT SORT DE SA RÉSERVE
Artiste expert de l’enfermement, il aurait été récemment approché par le gouvernement pour assumer de hautes fonctions liées à la crise du Covid-19. En exclusivité pour Causette, il livre ses conseils de confiné éclairé.
Abraham Poincheval a fait de l’enfermement volontaire un art. Ce plasticien et performeur, dont nous brossions le portrait en 2015, se cloître durant des jours, ici dans une bouteille en verre géante remontant le Rhône, là dans un ours empaillé au Musée de la chasse et de la nature, ou encore dans un rocher au Palais de Tokyo, à Paris, sous le regard éberlué de spectateurs et spectatrices avides de communiquer avec ces objets animés. En ces temps de confinement national, il nous fallait prendre des nouvelles et des avis auprès de ce poète quadragénaire, prisonnier de son plein gré. Interview loufoque, à l’image du personnage.
Causette : Il s’est murmuré, dans le Tout-Paris des visioconférences, que vous avez été appelé par le gouvernement au poste de ministre coordinateur du Confinement national. Vous auriez décliné à la suite d’un différend de calendrier, refusant la politique de « l’annonce de la durée petit à petit ». Vous auriez préféré que le gouvernement assume dès le départ de nous confiner jusqu’à la mi-mai et que l’expérience se prolonge jusqu’au solstice d’été. Vous confirmez ?
Abraham Poincheval : Tout à fait. Le solstice est le moment le plus incroyable pour sortir. Ces calendes grecques génèrent de l’angoisse, mais « en même temps » (vous voyez, j’étais pourtant prêt à rejoindre les rangs de la Macronie !), elles sont aussi une façon d’éviter le drama général qui pourrait découler d’un lapidaire « ça va durer deux mois et puis c’est tout ». J’ai bien fait de décliner ce portefeuille ministériel, car si je devais nommer un mal de notre époque, ce serait bien celui de la claustrophobie. Je ne sais pas si, dans les siècles passés, les gens étaient si claustrophobes.
L’année dernière, la prestigieuse Fiac vous intégrait à son répertoire et vous nommait « artiste claustrophile », eu égard à votre propension à vous enfermer volontairement et pendant des jours dans toutes sortes d’espaces clos et exigus. Du coup, on imagine que vous êtes actuellement en train de vivre votre meilleure vie avec ce confinement international…
A. P. : En effet, tout se passe plutôt bien, d’autant que là, grand luxe, mon confinement se fait à l’échelle d’un appartement. J’ai de la chance, car depuis mon balcon marseillais, je peux observer un jardin magnifique parce qu’en friche, avec un très grand magnolia en fleur. Ce jardin a les qualités de l’abandon, quelque chose de sauvage. Vous vous en doutez, j’ai un petit côté casanier que ravit cette période d’enfermement et l’obligation conséquente de vivre au ralenti. Les choses s’étaient un peu accélérées pour moi, ces derniers temps, et le fait que mes expositions prévues soient reportées me permet de me reconcentrer sur des projets que je n’avais plus le temps d’avancer. Et de lire, comme beaucoup d’entre nous.
Vous avez de l’avance sur nous concernant la restriction de l’espace vital. Que peut-on apprendre d’intéressant sur soi et sur son corps dans ce genre de conditions ?
A. P. : Premièrement, s’écouter, ce qu’on fait au final assez rarement. Ce retour sur soi forcé permet d’être plus à l’écoute de nos vies intérieures et
de prendre du temps pour regarder, chose qu’on ne fait pas nécessairement, parce qu’on est happé par un extérieur qui nous demande toujours plus d’attention. Là, les réseaux nous captent encore beaucoup, mais on a quand même cette possibilité. Cela réclame un lâcher-prise qui n’est pas évident au départ, parce que ça peut être angoissant, mais une fois qu’on y plonge, qu’on est à mi-mollet dedans, tout est plus simple.
La profondeur de l’expérience peut secouer. Un prof de yoga m’a dit, un jour, que notre moi intérieur est comme un lac : quand on commence à le remuer, ça fait remonter la vase du fond et des sensations un peu étranges. Remuer cette eau restée quelque peu stagnante met des choses à jour, au clair, et réoxygène des parties de soi que nous avions un peu abandonnées.
Entre nous, cela ne vous ennuie pas un peu que la moitié de l’humanité se mette à vous copier, avec ce prétexte un peu facile de pandémie mortelle ? Votre signature artistique en prend un coup, non ?
A. P. : Ah ! carrément, je suis très vénère ! Mais très heureux aussi, car on partage tous la même expérience. Certains de mes étudiants aux BeauxArts d’Aix m’ont même appelé pour quelques conseils.
Si mon travail trouve un écho dans cette société, je pense que c’est parce qu’il lui tend un miroir. En m’inscrivant dans les pas des ermites, je deviens un objet de projection pour le spectateur, qui se dit : « Moi, je ne pourrais pas rester enfermé aussi longtemps dans un endroit exigu comme lui », et peut s’imaginer ce que je vis. Mes performances créent une zone floue dans laquelle le spectateur peut se mettre à discuter avec un caillou ou un ours, chose qui lui semblait farfelue l’instant d’avant.
Tout de même, vous pouvez nous le confier, on ne dira rien à Édouard Philippe : quelle est la clé d’un confinement réussi ?
A. P. : Je pense que beaucoup pourraient en sortir heureux s’ils acceptaient le voyage que procure l’enfermement. Il permet d’arriver dans un endroit insoupçonné à force de transformations et de métamorphoses intérieures. À certains moments, on est tellement dématérialisé qu’on en doute, mais on finit par en revenir entier.
Vous êtes plutôt razzia sur les pâtes ou salutations au soleil en synchro avec un tuto YouTube ?
A. P. : J’aime beaucoup les pâtes, mais indéniablement, je suis de la team yoga. Je faisais déjà beaucoup d’exercices de respiration très précis dans l’optique de préparer mes enfermements volontaires, mais là, j’en fais au quotidien et pour moi. C’est mon arme contre la position canapé.
Quels sont vos conseils pour une sortie en beauté ?
A. P. : Reprendre pied. Il faudra un petit temps d’adaptation, mais notre chance, ici, c’est qu’on est tous sur la même longueur d’onde. Et il faudra faire la fête.
Moi, c’est ce que je fais quand je sors de mes installations. Les fêtes permettent la rencontre, la transe et la communion.
“Je pense que beaucoup pourraient en sortir heureux s’ils acceptaient le voyage que procure l’enfermement”