Maman est en haut qui fait des gâteaux, Papa est en bas qui bosse sur le sofa
EST PAPA EN BAS QUI BOSSE SUR LE SOFA
Régression ou petite révolution à l’oeuvre ? En condamnant bon nombre de femmes, mais aussi d’hommes, à rester à la maison, la crise sanitaire interroge les inégalités de genre. Entre espoirs… et désillusions !
Il y a toutes celles qui, chaque jour, prennent vaillamment leur poste – mal rémunéré – de soignante, de caissière ou d’agent de nettoyage. « Ce qui fait tenir la société, c’est d’abord une bande de femmes », pointait, mi-avril, l’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira. Et puis il y a les autres, celles qui sont retranchées depuis des semaines à la maison, pour beaucoup avec enfant(s) et/ou conjoint·es. Un huis clos domestique qui s’avère propice, on le sait, aux violences conjugales (lire page 10). Mais qui pourrait aussi constituer une occasion inédite de bouleverser les rapports de genre, en mobilisant pour la première fois des millions d’hommes au foyer. De quoi rebattre les cartes des inégalités domestiques ? C’est en tout cas l’espoir caressé par la philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie. « Voilà qu’un triste et fâcheux concours de circonstances contraint les hommes à demeurer chez eux. Ne vont-ils pas devoir affronter enfin ce à quoi ils ont si longtemps échappé, la vie domestique ? » s’interroge-t-elle dans une tribune à Libération parue fin mars.
Ainsi, Mathieu, responsable marketing dans une grande entreprise, est passé du jour au lendemain d’une vie professionnelle ultra remplie à un quotidien d’homme au foyer, ou presque. S’il ne part pas de zéro – il est très investi dans son rôle parental et a le sentiment de participer équitablement aux tâches ménagères –, il reconnaît que le confinement l’a amené à se retrousser un peu plus les manches. « En ce moment, ma compagne est en télétravail et moi en congé, donc je m’occupe majoritairement de notre fils de 3 ans. Et comme elle
“Je pensais sincèrement en faire assez. Mais en étant à la maison, je me suis rendu compte de l’ampleur de tout ce qu’il y a faire, dans un temps limité” Éric, 37 ans, en couple et père de deux enfants
est enceinte, c’est moi qui vais faire les courses pour limiter les risques. Ce qui implique de faire une liste de provisions, donc de gérer les stocks, et surtout d’anticiper les menus de la semaine. Des choses toutes bêtes que je ne faisais pas vraiment avant, ce qui avait le don d’énerver ma compagne », concède le trentenaire, qui dit aussi être davantage qu’avant à l’initiative des repas.
Une organisation quotidienne qui s’est aussi transformée chez Éric, 37 ans. « Avant le confinement, je pense que j’étais davantage un “aide aux tâches domestiques”. Je faisais un peu tout – ménage, repas, lessives… –, mais la répartition était assez fluctuante, voire inégalitaire », analyse ce père de deux enfants. À de nombreuses reprises, sa compagne avait tiré la sonnette d’alarme, sans qu’il comprenne toujours pourquoi. « Je pensais sincèrement en faire assez. Mais en passant toutes les journées avec les enfants à la maison, je me suis rendu compte de l’ampleur de tout ce qu’il y a faire, dans un temps limité », confie-t-il. Davantage de lessives, cuisine un jour sur deux, ménage plus régulier… « Mon objectif est de garder mes “bonnes habitudes” à la sortie du confinement », espère Éric.
Le changement, c’est pas maintenant…
Une révolution féministe serait-elle à l’oeuvre dans les chaumières ? « J’aimerais vraiment, mais je suis moins optimiste. Peut-être parce qu’en ce moment je reçois beaucoup la souffrance quotidienne des gens », relativise Coline Charpentier, à la tête du compte Instagram « T’as pensé à… ? » et autrice du Guide d’autodéfense sur la charge mentale (éd. Le Livre de poche,
janvier 2020). Selon elle, le confinement a peut-être permis aux couples déjà engagés dans une dynamique égalitaire d’accélérer le mouvement. Mais pour les autres, pas grandchose ne semble avoir changé. Au contraire, depuis son poste d’observation, Coline Charpentier a vu le confinement faire exploser la charge mentale des femmes – car, à de très rares exceptions, ce sont elles qui lui écrivent. « En temps normal, je reçois cinq ou six messages par jour. Les quinze premiers jours du confinement, c’est monté à quarante messages quotidiens », observe-telle. Derrière ces témoignages, une diversité de profils, mais souvent une problématique récurrente dans les couples hétéros : le télétravail. « Le sujet revient dans la moitié, voire les trois quarts des messages. Forcément, quand tu dois télétravailler tout en gardant ton enfant, et que ton mec demande un calme absolu entre 14 et 18 heures parce qu’il a des réunions, ça pose question. Il y a aussi pas mal d’enseignantes qui doivent assurer la continuité pédagogique de leurs élèves tout en assurant celle de leurs propres enfants. Il y a des femmes qui, au début, ont été obligées de travailler la nuit », détaille Coline Charpentier, elle-même enseignante d’histoire-géo.
Faut-il s’en étonner ? Dans une étude publiée en mars 2019 pour la Fondation Hans Böckler, la chercheuse allemande spécialiste du travail Yvonne Lott a étudié l’impact du home office sur la vie de famille outre-Rhin. Résultat : lorsqu’elles sont en télétravail, les femmes passent en moyenne trois heures de plus à s’occuper de leur marmaille. Dans la même situation, les pères consacrent six heures supplémentaires à leur boulot… mais pas une de plus à leurs enfants. Et à en croire le sondage Harris Interactive réalisé début avril, à la demande du secrétariat d’État chargé de l’Égalité femmeshommes, la situation ne semble pas très différente à l’heure du confinement. Alors que les hommes actifs sont désormais 34 % à télétravailler et 23 % à être en chômage partiel (contre respectivement 28 % et 23 % des actives), les femmes ont le sentiment d’assurer davantage de travail domestique. En moyenne, 54 % des femmes disent consacrer aujourd’hui plus de deux heures quotidiennes aux tâches ménagères, contre 35 % des hommes. Et il n’est pas rare que certaines se retrouvent contraintes de gérer l’organisation du foyer et les journées des enfants, alors même qu’elles travaillent à l’extérieur… et que leur conjoint, lui, ne travaille plus. En guise de révolution, c’est plutôt la douche froide.
Daronnes au bord de la crise de nerfs
« Certaines pensaient que le confinement serait différent, que leur conjoint s’investirait davantage puisqu’il est à la maison toute la journée », témoigne Nadège Dazy, membre de Parents et féministes. Créée l’an dernier, l’association a mis en place SOS Parents confinés, un groupe de parole à distance avec, chaque semaine, un créneau mixte et deux autres réservés aux mères. Sans surprise, charge mentale et travail domestique
figurent parmi les premières préoccupations des appelantes. « On leur propose un espace d’échange bienveillant, sans injonction, mais on n’est pas là pour leur dire quoi faire. Les femmes peuvent avoir envie que les choses changent, mais ne pas vouloir aller au clash, surtout dans un moment où on n’a pas l’énergie pour ça, ni la possibilité de s’échapper à l’extérieur », résume Nadège Dazy. Alors, en attendant, elles font avec. Non pas que le débat soit clos, loin de là. Début avril, un sondage Ifop/ Consolab révélait que, en contexte de confinement, 49 % des couples se disputent au sujet des tâches ménagères (contre 44 % auparavant). Aussi pour la paix des ménages, certaines finissent par lâcher l’affaire.
Et toujours cette “inégalité acceptable” !
« J’ai l’impression que le confinement renforce ce que Titiou Lecoq [ journaliste et autrice de Libérées. Le combat se gagne devant le panier de linge sale (éd. Fayard, 2017), ndlr] appelle “l’inégalité acceptable” : les femmes demandent deux ou trois choses à leur conjoint et font le reste elles-mêmes pour être tranquilles », complète Coline Charpentier, qui dit s’inquiéter pour la santé psychique des femmes. Car ce sont elles qui, traditionnellement, portent aussi la charge émotionnelle de la famille, celle qui implique de concilier, comprendre, favoriser la communication et s’assurer du bien-être de chacun·e. Au risque de péter les plombs à la sortie. Et peut-être même avant : selon une étude de l’institut YouGov pour le magazine Society, 46 % des femmes interrogées disaient déjà se sentir « moins bien » psychologiquement après deux semaines de confinement (contre 33 % des hommes).
Parmi elles, nul doute que les mères célibataires sont particulièrement exposées. À la tête de 85 % des 1,7 million de familles monoparentales, elles ont vu leur quotidien se compliquer encore un peu plus. « Le confinement a exacerbé beaucoup de peurs et de difficultés au sein de ces familles particulièrement isolées. Des mères nous ont contactés parce qu’elles s’inquiétaient de savoir qui s’occuperait de leurs enfants si elles tombaient malades, par exemple. D’autres travaillent la nuit et n’ont pas de solution de garde. Beaucoup rencontrent des difficultés pour faire leurs courses, c’est un vrai problème », énumère Cathy Ngangué, secrétaire générale de la Fédération syndicale des familles monoparentales. Contrairement aux professionnel·les de santé, qui peuvent bénéficier en priorité des services de livraison de certaines enseignes, les parents solos doivent se déplacer en magasin. Problème : nombreux se sont vu refuser l’entrée, sous prétexte qu’ils étaient accompagnés de leur(s) jeune(s) enfant(s)… Un phénomène tel que le Défenseur des droits a dû rappeler l’obligation des enseignes d’accueillir les enfants et que le secrétariat d’État à l’égalité femmes-hommes a mis en place une adresse mail destinée à signaler les établissements réfractaires.
Mais les mères solos ne sont pas au bout de leur peine. Contraintes de demander un arrêt de travail pour pouvoir s’occuper de leur progéniture, certaines ont eu la mauvaise surprise de découvrir, fin mars, qu’elles ne toucheraient pas 90 % de leur salaire, comme promis par le gouvernement. Motif : la loi, qui a été modifiée le 26 mars, ne concernait au départ que les salarié·es ayant un an d’ancienneté… Un manque à gagner de plusieurs centaines d’euros pour des femmes déjà largement touchées par la précarité. Mais à défaut de mettre fin aux inégalités de genre, cette crise sanitaire aura au moins eu un mérite, comme l’a soulevé mi-avril le Haut Conseil à l’égalité femmes-hommes : celui de mettre « en lumière, avec une acuité inégalée, la place, les rôles et le traitement des femmes dans notre société
“Des mères [célibataires] travaillent la nuit et n’ont pas de solution de garde. Beaucoup rencontrent des difficultés pour faire leurs courses” Cathy Ngangué, secrétaire générale de la Fédération syndicale des familles monoparentales