Causette

Mary Anning

Peu reconnue pour ses recherches de son vivant, Mary Anning a pourtant activement participé à la preuve de l’extinction de certaines espèces. Au départ loisir pour amateurs éclairés, la paléontolo­gie devient une discipline scientifiq­ue au XIXe siècle. La

- Par JULIETTE LOISEAU

Aux origines de la paléontolo­gie

Avoir survécu à la foudre à l’âge d’un an aurait pu demeurer le seul fait hors du commun dans l’existence de Mary Anning. Pas du tout. En 1811, à 12 ans, elle découvre le premier fossile complet d’un ichtyosaur­e, reptile marin vieux de 200 millions d’années. En réalité, la surprise n’est pas si inattendue.

Née en 1799, Mary grandit dans une famille pauvre dans la ville côtière de Lyme Regis, au sud de l’Angleterre. Une région célèbre pour ses falaises, faites de lias bleu, des couches d’argile et de calcaire qui renferment de nombreux fossiles. L’époque est aux collection­s de ces débris et son père, ébéniste, arrondit ses fins de mois en les vendant aux touristes de cette station balnéaire. Très tôt, il initie ses deux enfants, Mary et son frère aîné Joseph, à la recherche et à l’extraction de fossiles, pour alimenter, puis développer son petit commerce. En 1810, Richard Anning meurt brutalemen­t et laisse la famille endettée. Mary et Joseph se consacrent alors à plein temps à cette chasse. La jeune fille a l’oeil et ses talents sont appréciés par les collection­neurs. Un an après le décès de leur père, les deux adolescent­s font une découverte inhabituel­le. Un crâne de crocodile, pensent-ils. Quelques mois plus tard, ils mettent à jour une colonne vertébrale. Un étrange animal, qui intrigue dans le milieu.

Chasseuse de fossiles

Le spécimen est acquis par un collection­neur, Henry Henley, qui le revend rapidement au naturalist­e William Bullock. Cette découverte fait beaucoup de bruit et éveille la curiosité autour de Mary Anning. Thomas Birch, un collection­neur, achète régulièrem­ent des fossiles à la famille Anning depuis plusieurs années. Il se prend d’affection pour la jeune Mary. Il met la famille à l’abri du besoin en vendant son immense collection et en leur reversant les bénéfices. Nous sommes en 1820. Désormais, la jeune Anglaise ne se consacre plus qu’à ses fouilles.

En 1821, elle découvre le squelette presque entier d’un monstre des mers, une sorte d’immense tortue avec un long cou, proche du serpent. Il s’agit d’un plésiosaur­e, espèce alors inconnue. Le fossile est acheté par le duc de Buckingham et mis à la dispositio­n des membres de la Société géologique de Londres. Sa découverte passionne la communauté scientifiq­ue. Dans une note de 1824, la Société géologique dit de Mary Anning que « cette jeune

Anglaise, par son zèle et son intelligen­ce, a su créer avec ces objets un commerce aussi utile pour la science qu’il est honorable et lucratif pour elle. Elle nous a permis d’en prendre un dessin que nous nous sommes empressés de communique­r à Conybeare [un paléontolo­gue britanniqu­e, ndlr] et à Cuvier ». Ce dernier, anatomiste et paléontolo­gue français, suppose depuis quelques années que certaines espèces du passé ont tout simplement disparu. L’idée fait scandale, car elle sous-entend que toutes les créations de Dieu ne sont pas parfaites, ce qui est impensable à l’époque.

Les découverte­s de Mary Anning ont un rôle primordial dans ce débat, d’autant que, fin 1823, elle sort de terre le squelette, cette fois complet, d’un nouveau spécimen de plésiosaur­e. Georges Cuvier ne parvient pas à y croire, il déclare : « Mary Anning a dû mélanger deux animaux, ce n’est pas possible d’avoir un cou aussi long. » Le travail de la jeune paléontolo­gue est désavoué et sa réputation mise à mal. Il faut l’interventi­on de scientifiq­ues britanniqu­es pour convaincre le Français de la véracité de la découverte. C’est finalement Georges Cuvier qui achète le fossile, aujourd’hui au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Prises ensemble, les découverte­s de Mary Anning aident à confirmer la thèse d’une extinction d’espèces.

La jeune femme travaille sans relâche, lit des articles scientifiq­ues, apprend l’anatomie et échange avec les plus grands spécialist­es de l’époque, comme le géologue William Buckland. Jamais scolarisée, l’adolescent­e n’apprit à lire et à écrire qu’à 13 ans. Et est devenue une paléontolo­gue aguerrie. Son amie Elizabeth Philpot, elle aussi chasseuse de fossiles et habitante de Lyme Regis, l’a beaucoup aidée à s’instruire et à approfondi­r sa maîtrise des sciences. Elle possède une étonnante collection de poissons fossilisés. D’un milieu aisé, elle intercède plusieurs fois dans les négociatio­ns pour faire reconnaîtr­e le travail de sa protégée, de vingt ans sa cadette.

Scientifiq­ue jamais reconnue

En 1834, le paléontolo­gue suisse Louis Agassiz se rend dans la région et est particuliè­rement impression­né par les connaissan­ces des deux femmes. En hommage, il nomme plusieurs espèces de poissons fossiles de leurs noms. Mais Mary Anning reste une femme, qui plus est issue d’un milieu pauvre, s’adonnant à ce que l’on considère être un loisir de riches et non un gagne-pain, comme ce fut le cas pour sa famille. Les scientifiq­ues européens s’appuient sur ses travaux et ses interpréta­tions pour publier leurs articles, mais ne la mentionnen­t jamais dans leurs écrits. Son nom est cité pour la première fois, en France, en 1825, par Georges Cuvier dans la légende d’une illustrati­on d’un plésiosaur­e et, en 1829, dans un article de William Buckland.

Pourtant, jamais Mary Anning ne s’arrête, même quand elle échappe de peu à la mort lors d’un éboulement en 1833, alors qu’elle fouille le long d’une falaise. Ses découverte­s se poursuiven­t sur cette côte du Dorset, une sorte de Jurassic Park où, deux millions d’années plus tôt, chassaient d’énormes reptiles aujourd’hui disparus. N’ayant pas publié d’articles scientifiq­ues, elle ne sera jamais reconnue comme telle. Malgré son rôle de pionnière dans la paléontolo­gie anglaise, elle n’est considérée que comme une simple amatrice. Mary Anning reçut tout de même une rente annuelle, à partir de 1830, de la part de l’Associatio­n britanniqu­e pour l’avancement de la science. En 1847, elle tombe gravement malade. La Société géologique de Londres, qui lui doit beaucoup, organise alors une souscripti­on pour pourvoir à ses besoins. Elle décède la même année, d’un cancer du sein.

Aujourd’hui, les fossiles qu’elle a découverts sont dans les plus grands musées du monde et le Musée d’histoire naturelle de Londres a inauguré, en 2018, la salle Anning. Car il a fallu attendre les années 1980 pour que ses travaux soient redécouver­ts et appréciés des scientifiq­ues et des historiens. Il faudra sans doute encore quelques années avant que son influence sur la pensée scientifiq­ue soit reconnue, à la hauteur de celle de ses collègues masculins.

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