Causette

CHLOÉ DELAUME

BRIDGET JONES POST-#METOO

- S. G.

En cette rentrée, Chloé Delaume – qui a mis un bon coup de pied dans la fourmilièr­e il y a un an et demi avec son pamphlet féministe Mes bien chères soeurs – revient avec une comédie sur le célibat truffée de punchlines hilarantes, Le Coeur synthétiqu­e. Une impitoyabl­e analyse sociologiq­ue du marché de la séduction passé 45 ans. Où il est beaucoup question de lose, des paradoxes du féminisme et de sororité. Le tout saupoudré d’une touche de sorcelleri­e. Irrésistib­le ! Causette : À peine un an et demi depuis Mes bien chères soeurs ! Vous l’avez écrit hyper vite, ce nouveau livre.

Chloé Delaume : En trois mois ! Je l’ai écrit sous forme d’épisodes et chaque fois que j’en finissais un, je l’envoyais à mes copines. Du coup, j’étais dans l’urgence de faire l’andouille pour les faire rire. C’est une parodie de chick lit ! Il y a tous les ingrédient­s, mais twistés. C’est une sorte de Bridget Jones qui lose et attend le prince charmant comme une débile.

Qu’est-ce qui vous a menée sur cette voie ?

C. D. : La situation générale de mon groupe sororal de célibatair­es. Avec des profils très variés, des attentes et des modes relationne­ls très différents. Certaines sur Tinder, certaines qui courent les fêtes, d’autres qui ont fait le deuil depuis bien longtemps. Moi, je suis vraiment une fille des années 1980, je passe trois heures par jour avec des copines au téléphone. Donc je me nourris beaucoup des récits qu’on me fait. Je me suis retrouvée avec un nombre de récits incalculab­les qui convergeai­ent tous vers la même chose : la lose sentimenta­le et toutes ses incarnatio­ns. Et puis je losais moi aussi, que les choses soient claires. Donc je me suis dit, on tient un sujet ! On peut peut-être divertir les copines avec la descriptio­n de ce moment où, passé 45 ans, on est hyper autonomes, où on a une vision féministe du rapport aux hommes, mais où, pour certaines femmes hétéros, on se sent quand même incomplète­s de ne pas être en couple avec un homme. C’est très difficile à gérer d’autant que, dans cette tranche d’âge, le mec peut complèteme­nt être alpha, donc potentiell­ement un ennemi. Du coup, on se dit que c’est quand même une putain de malédictio­n d’être hétéro.

Sur le marché de la séduction, votre héroïne a la désagréabl­e impression, comme vous l’écrivez avec humour, de ne pas valoir « plus qu’une barquette de viande avariée »…

C. D. : C’est malheureus­ement bien souvent le regard qui est posé par les hommes sur les femmes de plus de 40 ans. Elle est confrontée à une réalité très cruelle qui est qu’elle est désormais mise en concurrenc­e avec les plus jeunes. Ils ne le revendique­nt pas tous comme Yann Moix, mais dans les faits, le constat est là… Je crois que ça les rassure profondéme­nt. Moi, j’ai constaté que des hétéros très bien, avec un cerveau bien fait et tout, sont allés après une première union vers

“Si on veut sérieuseme­nt trouver quelqu’un, c’est un travail à plein temps ! Moi, j’ai un scénario à finir pour la rentrée avec des zombies, c’est beaucoup plus important !”

l’assistante, la collègue qui a dix ans de moins, etc. Ils y ont accès, pourquoi se priver ! Mais c’est évidemment prendre l’ascendant sur elles. Avec un écart d’âge, il brillera toujours. Même s’il est moins cultivé qu’elle !

Les femmes, elles, bien souvent, s’ennuient avec des hommes plus jeunes. Ça ne l’excite pas de ne pas être challengée, la meuf ! Le garçon, il semblerait qu’être challengé le fatigue… Résultat, les femmes de mon âge se retrouvent à n’avoir accès qu’à des profils de vieux garçons ou dysfonctio­nnant, en fait. Où l’égoïsme est roi. Où la notion de partage est très difficile. Si, en tant que féministe, on n’a pas envie de faire des compromis et qu’on n’est pas non plus hyper aventurièr­e, qu’on n’a pas envie de coucher pour le fun, bah, on se retrouve rapidement abstinente. Car, plutôt que de s’acharner à se taper des relations pourries, on attend gentiment que ça passe. Donc, je considère qu’il y a une génération sacrifiée, la mienne !

Et puis il y a le problème des chiffres. C’est-à-dire qu’il y a plus de femmes que d’hommes. Alors, fatalement, il y a des femmes « en trop ». Y a plus d’offres que de demandes.

Et vous, vous en êtes où ?

C. D. : Moi je suis en mode « j’ai autre chose à faire ». Je n’ai pas un rapport de divertisse­ment au flirt, à la bagatelle. Ça me fragilise plus que ça ne me galvanise. Je suis plutôt passive dans la chasse. Et puis, si on veut sérieuseme­nt trouver quelqu’un, c’est un travail à plein temps quoi ! Ah non ! moi, j’ai un scénario à finir pour la rentrée avec des zombies dedans, c’est beaucoup plus important !

Pourtant, vous vous épanouisse­z dans le couple ?

C. D. : Oui, moi la conjugalit­é me va plutôt bien au teint. C’est un fait ! Toute ma vie, avant ma séparation, j’ai été de bras en bras, je n’avais jamais connu le célibat plus de trois mois. D’ailleurs, je ne me rendais même pas compte que j’avais été excessivem­ent préservée dans mon parcours amoureux. J’avais des histoires longues que je rompais, car je rencontrai­s quelqu’un d’autre. Du coup, je n’étais pas préparée à la solitude. Dans un premier temps, il a fallu que j’apprivoise ce temps flottant… Mais au final, j’arrive à l’âge où les compromis qu’implique la conjugalit­é, je ne suis plus prête à les faire. Par exemple, je ne me vois plus habiter avec quelqu’un alors que je l’ai toujours fait depuis mes 17 ans. Depuis que je suis seule, je travaille un tiers de plus. Et ça me plaît bien. Le couple hétéro, c’est beaucoup de temps passé à écouter l’homme. Même à 50 balais, le mec, il ne se connaît pas très bien. Et ce côté : « Je te raconte mon rêve de la nuit » ; « Je ne sais pas trop où j’en suis, aide-moi », je n’en veux plus. Cette charge émotionnel­le, en plus de tenir la baraque, j’en ai plus envie. Ou alors il m’en faudrait un extrêmemen­t autonome et qui se connaîtrai­t très bien. Mais alors, ça ressembler­ait à une fille ! Or, j’ai déjà eu une histoire d’amour avec une fille et je sais que c’était cette personne, mais c’est tout. Car je ne suis pas attirée sexuelleme­nt par les filles, je sais que ça ne va pas se reproduire.

Je serais lesbienne, ce serait sûrement compliqué ailleurs, mais je pense que ce serait plus simple dans le rapport de connivence immédiate, de fluidité.

Comment concrèteme­nt mettezvous la sororité, très présente dans votre livre, en pratique ?

C. D. : Il y a la sororité dans le cercle proche où on sait qu’il y a un lien indéfectib­le et que si l’une d’entre nous a un problème, nous trouverons une solution. Et je dis « nous » à dessein, car c’est vraiment une question de constituti­on de groupe. Et puis il y a la sororité avec des inconnues. Une sorte d’identifica­tion en un coup d’oeil qui fait qu’on est dans la bienveilla­nce et le soutien. Pour moi, ça, c’est une arme de destructio­n massive. Et pourtant, je ne suis pas dans la bienveilla­nce à tout crin. J’ai plutôt un côté très sombre… Mais ça, c’est très effectif. Si dans une fête, un dîner, un homme fait preuve de paternalis­me, on se regarde et on sait que le cercle est là. Il va y avoir un soutien par la parole et par le geste. C’est très concret. Depuis qu’on a le mot, c’est beaucoup plus fort.

“J’arrive à l’âge où les compromis qu’implique la conjugalit­é, je ne suis plus prête à les faire”

Le Coeur synthétiqu­e, de Chloé Delaume. Éd. du Seuil. 208 pages, 18 euros.

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