FAÏZA GUÉNE
KIFFE KIFFE MAMAN
Yamina n’aime pas déranger. Et elle n’aime pas non plus qu’on se dérange pour elle. Yamina vit dans la discrétion. Et refuse de s’offusquer quand un agent de l’État l’infantilise à la préfecture ou que son médecin de famille fait preuve de paternalisme à son égard. Mais pour cette femme de 70 ans, « refuser de se laisser envahir par le ressentiment est une façon de résister ». Ses enfants, en revanche, ils n’aiment pas ça. « Ils savent ce qu’elle a traversé et ils exigent que le monde entier le sache aussi. » Eux sont bien plus en colère. Comme si la colère se transmettait, malgré soi, l’air de rien. C’est cette mère, Yamina – « née dans un cri », mais que son histoire, ou peut-être l’Histoire, a peu à peu amenée à se taire – que raconte Faïza Guène (Kiffe kiffe demain, Millénium Blues) dans La Discrétion.
Celle d’une petite fille née dans un village de l’ouest de l’Algérie, sans cesse déracinée. Il y aura l’exil au Maroc voisin, d’abord, pendant la guerre, puis, bien plus tard, vers la France. Ou plutôt Aubervilliers. Faïza Guène croise les portraits de tous les membres de la famille composée par Yamina. Brahim, son mari, et ses quatre enfants. Il y a le sensible Omar, qui perd ses cheveux et s’émeut quand il pense « aux yeux tristes de sa mère » ; Hannah, l’indignée toujours vénère ; Imane, qui imagine chacun des mecs qu’elle rencontre installés sur la banquette du salon marocain de ses parents sans qu’aucun ne semble jamais s’y intégrer naturellement ; il y a aussi Malika, l’aînée mariée et divorcée trop tôt, éternelle enfant de ses parents.
Dans ce roman d’une tendresse infinie, Faïza Guène met en scène la question de la transmission, du poids de l’Histoire et des crispations culturelles et générationnelles. Le portrait d’une famille liée par un amour fou, mais aussi par la névrose, la colère, les non-dits, les tabous et les incompréhensions. Une famille française en somme.
La Discrétion, de Faïza Guène. Éd. Plon, 256 pages, 19 euros. Sortie le 27 août.