Causette

YAA GYASI

L’ENVERS DU RÊVE AMÉRICAIN

- H. A.

Avec Jesmyn Ward, Tayari Jones, Rivers Solomon ou Brit Bennett, l’Américaine Yaa Gyasi s’affirme comme l’une des grandes héritières de Toni Morrison. Révélée en 2017 avec No Home (Calmann-Lévy), elle revient avec Sublime Royaume, dont la parution française précède de quelques semaines la parution américaine. Native du Ghana, arrivée aux États-Unis à l’âge de 2 ans, elle y traite à nouveau des enfants de l’immigratio­n africaine. Sans rage, mais sans peur et avec lyrisme.

Causette :

Votre roman paraît en France quelques semaines avant sa parution américaine. Les violences policières encore récentes aux États-Unis, le mouvement Black Lives Matter, comment cela résonne-t-il dans votre esprit ?

Yaa Gyasi : Ces semaines passées, ça a été une grande douleur. Le fait qu’on ait encore et encore ces conversati­ons-là, encore et toujours ces situations-là, c’est ridicule et honteux. Ça fait des siècles que ça dure, dans ce pays ! La situation [du racisme, ndlr] n’a pas changé depuis l’esclavage, malgré tous les combats gagnés par le mouvement pour les droits civiques ! Et dans le même temps, je dois dire qu’il y a quelque chose d’encouragea­nt à chacune de ces nouvelles « séquences », comme celle que nous venons de traverser depuis la mort de George Floyd, le 25 mai dernier. Ça génère plus d’énergie à chaque fois. À Brooklyn, où je vis, il y a eu des protestati­ons malgré les mesures de confinemen­t alors en vigueur.

“Le fait qu’on ait encore et encore ces conversati­ons-là, encore et toujours ces situations-là, c’est ridicule et honteux”

Vos deux romans ont des thèmes communs : vie familiale, post-ségrégatio­n raciale, personnage­s féminins. Pourquoi sont-ils si importants ?

Y. G. : Bien des choses relient ces deux livres. En particulie­r, un sujet qui m’a toujours intéressée : comment les traumas dessinent la destinée d’une famille, le destin de ses membres. Ces choses qui ne sont pas visibles au premier coup d’oeil. La façon

dont on gère l’héritage de nos parents ou de nos grands-parents. Dans No Home, je racontais sept génération­s et comment la vie de chacune d’elles symbolise l’héritage de l’esclavage, la façon dont ça s’est institutio­nnalisé aux États-Unis. Dans Sublime Royaume, c’est plus resserré, sur une seule famille. Tout ça m’intéresse parce que je suis née au Ghana, mais j’ai grandi aux États-Unis, et là, j’ai vécu dans plusieurs États. Je suis consciente de l’impact que la vie de mes parents, qui ont donc traversé l’océan, a eu sur moi.

Qu’est-ce que ça vous a apporté de les traiter deux fois ?

Y. G. : Ce que j’y ai appris, c’est comment traiter de ce qu’on appelle l’American Dream. J’ai écrit ici sur les pères qui viennent en Amérique et qui découvrent l’envers du rêve : dur dur de trouver un emploi, de gagner suffisamme­nt sa vie. L’autre facette du rêve américain était ce que je voulais explorer.

Que signifie pour vous, justement, le « rêve américain » ?

Y. G. : Les Américains se sont construits sur la croyance que tout est toujours possible, pour tout le monde. On le sait. Le rêve, c’est ça. Il a fait venir en Amérique tant et tant d’immigrés.

J’ai grandi avec des parents immigrés, qui ont bossé dur pour avoir ce rêve. J’ai vu que c’étaient les valeurs qu’il fallait avoir. Mais dorénavant, de moins en moins de gens ont accès à ces opportunit­és. Donc, l’accès à ce rêve, la possibilit­é d’être heureux en Amérique, c’est devenu chose rare. Il n’y a plus d’égalité des chances.

USublime Royaume, de Yaa Gyasi, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Damour. Éd. Calmann-Lévy, 376 pages, 20,90 euros.

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