Causette

Au boulot !

VANESSA LAFERRIÈRE AGENTE DE LA POLICE SCIENTIFIQ­UE

- Propos recueillis par FANNY HARDY – Illustrati­on CAMILLE BESSE

Vanessa Laferrière, agente de la police scientifiq­ue

Vanessa Laferrière, 49 ans, est agente de la police scientifiq­ue, à Chambéry, en Savoie. Loin du quotidien de la série Les Experts, elle tente avec ses collègues d’étudier des scènes de crime et d’en révéler leurs secrets.

« Je voulais faire comme Columbo. Enquêter, résoudre des affaires, avec patience et analyse. Au début, je ne mettais pas de mots sur ça. Je travaillai­s dans la banque, mais ça ne me correspond­ait pas. Alors à 35 ans, j’ai passé le concours de la police scientifiq­ue à Écully, près de Lyon (Rhône). Il y avait trois mille candidats pour vingtsix places, j’ai été acceptée, à bac + 2. Après quinze ans de carrière, je gagne aujourd’hui 2000 euros, je suis fonctionna­ire de catégorie C.

Un jour, je me suis servi un café alors que j’étais au laboratoir­e. À côté, il y avait un sac, que j’ai manipulé. Je me suis rendu compte qu’à l’intérieur, il y avait un pied humain. La cafetière dans une main, le pied dans l’autre, c’est une sorte de résumé de mon travail ! Mais mon quotidien ne ressemble pas du tout à une série télé : je ne vais jamais sur une scène de crime avec des hauts talons et je ne porte jamais des lunettes noires en pleine nuit. Je ne peux d’ailleurs pas regarder ces séries, je vois tous les défauts !

Quand on réussit le concours, on est affecté à un service et formé sur le tas. Ensuite, il y a une formation de six à huit semaines à l’Institut national de police scientifiq­ue d’Écully, pour la technique, et une autre à l’École nationale de police à Nîmes (Gard) de six semaines, pour l’environnem­ent et le cadre légal des interventi­ons. Puis, on suit régulièrem­ent des formations (en 2012, par exemple, je me suis spécialisé­e dans les investigat­ions d’après incendies). Mais c’est au gré des affaires qu’on va se former.

Ma première affaire, c’était une femme que l’on avait retrouvée morte dans un appartemen­t dont la porte était fermée, mais pas verrouillé­e. Elle était méconnaiss­able : sa tête et ses mains avaient été mangées par des chiens yorkshire. Forcément, ça marque, et on doit s’adapter. Pareil, la fois où j’ai été appelée pour un homme décédé, de nuit, dans une maison abandonnée, lors d’une rencontre homosexuel­le. Il n’avait pas supporté le poppers avec un curé, il avait fait un arrêt cardiaque.

Le plus souvent, c’est du système D parce qu’on est comme MacGyver, on bidouille. On s’amuse, on est joueur pour la bonne cause. On était, par exemple, très heureux de découvrir que les cambrioleu­rs des pays de l’Est ont pour habitude de poser leur oreille sur la porte d’entrée d’une habitation pour savoir s’il y a quelqu’un à l’intérieur. Alors depuis, on prélève les traces d’oreilles sur les portes. Et puis je considère avoir vécu la plus belle période de cette profession avec l’explosion de l’ADN.

J’ai commencé à Lyon, puis je suis partie à Vienne et enfin à Chambéry. Là, nous sommes six dans ce service

“Je considère avoir vécu la plus belle période de cette profession avec l’explosion de l’ADN”

du commissari­at de police, dont quatre femmes. Au niveau national, il y a plus de 60 % de femmes à ce poste.

Nous sommes des gens d’extérieur, tous les jours sur le terrain. En France, il y a une interventi­on par minute de la police scientifiq­ue. Sur une scène de crime, on commence par virer tout le monde : on a besoin d’habiter les lieux, de fixer la scène. Il faut être très concentré. Ce qu’on aime bien, c’est y aller à deux ou trois, ce sont autant de paires d’yeux présentes et ça nous permet d’en parler ensuite. On étudie d’abord la vue la plus large, puis une vue rapprochée, puis une vue de détails. Le corps, on s’en occupe en dernier, sauf cas exceptionn­el. On doit au final établir dans un rapport les circonstan­ces des faits, avec un plan des lieux, beaucoup de photos, et tous les éléments recueillis sur place sont mis sous scellés. À chaque fois, on a l’impression d’avoir tout vu, mais l’imaginatio­n des hommes n’a pas de limites, même dans le crime…

Ce que j’ai toujours en ligne de mire, c’est de donner des réponses aux familles des victimes. Elles sont en attente, parfois à côté de nous quand nous travaillon­s. Elles peuvent aussi venir nous voir longtemps après les faits. C’est peut-être ce que j’ai le plus de mal à gérer, finalement plus que la mort en elle-même : être confrontée à la détresse humaine. Nous ne sommes pas formés à ça, mais il faut essayer de garder nos distances avec les malheurs des autres. Le roman que j’ai écrit* m’a permis de lâcher une affaire que je n’avais pas digérée : nous avions retrouvé une petite fille morte dans un petit congélateu­r, au-dessus d’un réfrigérat­eur. À l’époque des faits, je suis restée quelques semaines sans pouvoir ouvrir un frigo, c’était physiqueme­nt impossible.

Nous sommes solidaires dans l’équipe, mais nous ne sommes pas à l’abri d’un craquage, à cause du mort de trop. J’ai fait un stage de confrontat­ion à la mort pour apprendre à gérer mes émotions dans mon travail, j’avais douze ans de boîte. Alors que moi, je n’aime pas du tout enjamber un cadavre, j’y avais rencontré un collègue qui, lui, ne supportait pas de voir un corps en morceaux. On en a parlé et on nous a dit que c’était normal. Ça aide.

J’ai presque 50 ans maintenant. Je n’arrive plus à me lever en pleine nuit, à gratter le pare-brise de la voiture pour aller sur un corps en morceaux sur une voie de chemin de fer. En 2017, j’ai fait un burn-out, qui a été reconnu par l’administra­tion, ce qui est une avancée. Nous sommes en sous-effectif, d’astreinte une semaine sur deux. Des astreintes qui ne sont pas payées, sauf parfois quand il y a du budget. C’est fatigant et le manque de reconnaiss­ance est pesant. J’ai fait mes preuves, je suis bien notée, et pourtant il m’a fallu quinze ans pour obtenir un petit grade, celui d’agent spécialisé principal de police technique et scientifiq­ue, toujours considéré comme personnel sédentaire. Sur ma fiche de paie, c’est 45 euros de plus. Je quitterai bientôt la profession. Ce sera vraiment un deuil, parce que j’aime mon travail, c’est un milieu que j’adore. Mais si rien n’est fait, cette profession ne fera plus rêver longtemps. »

“Sur une scène de crime, on a besoin d’habiter les lieux, de fixer la scène. Il faut être très concentré”

* Concentre-toi et respire, de Vanessa Laferrière. Roman tiré d’une histoire vraie. Éd. Sydney Laurent.

Le Silence des traîtres, de Vanessa Laferrière. Éd. Maïa, 2020.

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