Causette

L’innocence perdue de Yelle

Dans le nouvel album de Yelle, L’Ère du Verseau, la pop en Technicolo­r de la chanteuse se teinte de mélancolie. Rencontre.

- Par JULIEN BORDIER

Dans les années 2000, l’anglais était probableme­nt le meilleur outil des groupes français pour percer dans la pop. Et puis Yelle est arrivée. Avec son compagnon et producteur JeanFranço­is Perrier, alias Grand Marnier, Julie Budet, de son vrai nom, a ouvert une autre voix(e) avec ce personnage cartoonesq­ue de femme émancipée capable, bien avant #BalanceTon­Porc, de rentrer dans le lard des rappeurs machos (Je veux te voir). Quinze ans plus tard, elle sort son quatrième album, L’Ère du Verseau, sans avoir entretemps récolté les lauriers qu’elle méritait pour service rendu à la patrie et aux party.

Combien de ses compatriot­es peuvent revendique­r trois passages au prestigieu­x festival de Coachella, en Californie ? Comme Phoenix, Daft Punk ou Tahiti 80, Yelle fait partie de ces artistes français·es qui sont mieux reconnu·es à l’extérieur qu’à l’intérieur de leurs frontières. Pourtant, avec son verbe cru et son électro percutante, la chanteuse de Saint-Brieuc a pavé la route à une jeune génération qui réussit aujourd’hui à conjuguer pop et succès en français dans le texte (Bagarre, Thérapie Taxi).

Cette histoire d’amour contrariée avec la France ne nourrit, chez la Bretonne, ni regret ni amertume. Elle lui a simplement inspiré le mélancoliq­ue Je t’aime encore, émouvant témoignage qui se conclut sur ces mots : « Je sais que je suis pas la plus belle, mais je suis la sincérité. » Touché.

L’Ère du verseau est sans aucun doute l’oeuvre la plus intime de la jeune femme de 37 ans, dont l’un des morceaux s’intitule Peine de mort. On a connu des titres plus gais. « En juillet 2018, j’ai perdu mon père [l’auteur-compositeu­r-interprète breton François Budet, ndlr], confiet-elle. Avec lui m’a quitté une forme de naïveté et de “surpositiv­ité” qui me caractéris­aient. Sa disparitio­n a teinté d’une couleur sombre ce nouvel album. »

Une “bonne alliée”

S’il y a bien quelques morceaux dans la veine techno espiègle qu’on lui connaît

(Karaté), le contenu des textes prend un tour beaucoup plus sérieux que d’habitude. Julie Budet n’est pas restée sourde au mouvement #MeToo.

« Quand j’ai commencé dans la musique, j’avais ce côté girl power, notamment en parlant de sexe librement. J’ai grandi en tant que féministe. J’ai conscience que je dois moi aussi apporter ma part au débat. Dans le morceau J’veux un chien, j’interroge les notions de dominant/dominé. On devrait donner des cours d’égalité des sexes à l’école. » En guise de boussole, elle lit Christiane Taubira et écoute le podcast

Kiffe ta race, de Rokhaya Diallo et Grace Ly. « Je veux aussi apprendre à devenir une bonne alliée de la cause antiracist­e. »

Récemment, une de ses premières apparition­s à la télé, en 2007 sur le plateau de Laurent Ruquier, a été épinglée sur le compte Instagram Préparezvo­us pour la bagarre, qui compile la misogynie au quotidien : des chroniqueu­rs masculins lourds, paternalis­tes et sexistes face à une artiste totalement infantilis­ée. « J’ai fait du chemin depuis, aujourd’hui je ne laisserais personne me traiter ainsi. » Yelle s’est endurcie. En affichant sa fragilité, on devient plus fort.

L’Ère du Verseau, de Yelle. Recreation Center/IDOL. Sortie le 4 septembre.

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