Le pouvoir du lire ensemble
Nés sous l’ère Covid-19 ou simplement contraints de se réinventer, les clubs de lecture gardent le vent en poupe. Pour le plus grand plaisir d’un public toujours fidèle.
Ce dimanche-là, chez Li(b)re, on a pu entendre les mots de Jean Hegland, de Paul B. Preciado, ou encore de Deborah Levy. Créé sur Zoom par Camille Loiseau et Taïla Onraedt, ce rendez-vous permet à des hommes et des femmes de lire ou d’écouter des passages de livres ou des textes personnels. Les deux Bruxelloises ont lancé cette initiative en mars, après quelques jours de confinement. « Je participais à un projet consistant à s’enregistrer en train de lire des extraits de livres, raconte Camille Loiseau. De son côté, Taïla faisait ses propres lectures en live sur Facebook. Comme on se connaissait un peu, on a fini par aboutir à l’idée d’un projet commun. »
Au sein de Li(b)re, il ne s’agit pas de débattre ou d’analyser, mais de partager textes marquants et sensations, le tout dans une atmosphère de confiance. « On n’est pas là pour s’introniser profs de français ou autrices. On veut que ça reste bienveillant et humble. » De bihebdomadaire, le club de lecture est devenu dominical après le premier confinement. Trois sessions ont même pu être organisées dans des lieux culturels bruxellois. Résultats mitigés. « C’était quand même une drôle d’ambiance, se souvient Taïla Onraedt. Même si on a tout fait pour que les moments soient agréables, ce n’était pas léger, avec les masques et les jauges à respecter. » À terme, les fondatrices de Li(b)re souhaitent que la majorité de leurs séances continue à se dérouler sur Zoom. « C’est moins lourd à organiser, et puis, parfois, les gens ont juste envie de passer un dimanche soir tranquille à lire des bouquins. » C’est réussi : les sessions sont cosy et émouvantes, joliment agrémentées par les dessins réalisés en direct par Taïla. « On a réuni un beau noyau d’hypersensibles, conclut Camille Loiseau. Des personnes qui débordent d’émotions et ont envie de les partager. »
Li(b)re n’est pas le seul cercle littéraire à avoir vu le jour pendant le premier confinement. Comme l’ont illustré les débats sans fin sur le caractère essentiel ou non des librairies, la lecture semble avoir joué le rôle de bouée de sauvetage dans de nombreux foyers. C’est ce qu’a pu constater Laurie Pezeron, fondatrice de Read !, club de lecture dédié à la littérature afro. « La culture est devenue incontournable, ditelle, même pour les gens qui n’avaient pas l’habitude d’en consommer. » À condition de disposer d’un budget qui le permette. Créé en 2007 entre Le Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) et Paris, Read ! est né d’un triste constat : « Sauf dans certains milieux intellectuels, il n’existait pas d’espace pour parler des auteurs afrodescendants », raconte celle qui doit son épiphanie littéraire à Aimé Césaire et Ahmadou Kourouma. En plus des sessions qu’elle organise tous les deux mois, Laurie Pezeron a créé en 2016 des ateliers parents-enfants auxquels elle fait découvrir des livres se distinguant par la diversité de leurs protagonistes. Le confinement de mars a, hélas, enrayé toute cette belle mécanique. Contrainte de repenser son offre, Laurie Pezeron a organisé des lives et des rencontres virtuelles avec des artistes, mais la saveur n’est pas la même. « Ce qui me manque le plus, ce sont les sessions avec les enfants. Ce sont des échanges si importants pour eux… »
« Les gens m’écrivent pour que je leur conseille des titres adaptés à leurs enfants. Par exemple, une mère blanche m’a récemment demandé quels livres faire découvrir à son fils métis pour qu’il ne laisse pas de côté une partie de ses origines. C’est un travail passionnant, mais sacrément chronophage ! » S’étant piquée au jeu, Laurie Pezeron publie désormais des recommandations littéraires sur le compte Instagram du club, mais « à un rythme raisonnable. Noyer les abonnés sous le poids des injonctions ne sert à rien ! » Coûte que coûte, la créatrice de Read ! est déterminée à faire perdurer ce lien social et culturel qui l’unit à ses membres. « Ce qui me réjouit, c’est qu’il y a un vrai intérêt pour la culture. C’est impératif, c’est ça qui sauve l’humain. » Une fois la crise du Covid-19 passée, le club devrait
“On a réuni un beau noyau d’hypersensibles, des personnes qui débordent d’émotions et ont envie de les partager ” Camille Loiseau, cofondatrice de Li(b)re
retrouver son fonctionnement originel, en accès gratuit avec participation libre. En attendant, Laurie Pezeron prépare l’avenir en mijotant notamment une « box littéraire ».
Ailleurs, des projets tout frais continuent de fleurir, en dépit de contraintes sanitaires qui en décourageraient plus d’un. Entre les deux confinements, Marion a créé le club de lecture
Six-cent-soixante Simones, d’abord pensé pour des rencontres physiques.
« La première session a eu lieu le 22 octobre autour de Présentes de Lauren Bastide*, raconte la Strasbourgeoise. Il y avait eu une rencontre préalable, destinée à faire connaissance. Les séances commencent par quelques minutes de méditation, puis le tour de table peut débuter. » Elle demande elle aussi une participation libre. « Cela peut même être un euro, explique-t-elle,
mais je trouve important d’être rémunérée pour mon travail. » Prévues pour huit participantes, les sessions proposées par Marion ont vite affiché complet.
« Quand c’est le cas, je propose désormais une session bis, à distance, afin qu’il n’y ait pas de déceptions. » Marion, devenue féministe grâce à la littérature, entend proposer aux femmes un espace de parole placé sous le signe de la liberté, afin que « les participantes se sentent écoutées et comprises, et non en lutte pour parler de leurs idées. » Ces rencontres, qui s’intéresseront bientôt à Maryse Condé et à Benoîte Groult, sont aussi vues par leur créatrice comme un formidable moyen d’évasion. « En période de confinement, c’est une bonne excuse pour sortir de ses propres murs. »
U* Présentes, de Lauren Bastide. Éd. Allary, 2020.
> instagram.com/li.b.re > facebook.com/groups/ 162812404997655
> instagram.com/readclub > facebook.com/READClubde lecturedesauteursafro
“Les séances commencent par quelques minutes de méditation, puis le tour de table peut débuter ” Marion, fondatrice de Six-cent-soixante Simones