Causette

Bienvenue dans le “hudsult ” !

Privé·es de contacts physiques, solitaires et célibatair­es se sont trouvé·es bien dépourvu·es quand la pandémie fut venue. Le mot danois hudsult définit ce « manque de peau » bien particulie­r…

- Par CLÉMENTINE GALLOT

« J’ai l’impression que je ne ferai plus jamais l’amour », confie Gwenaëlle, 35 ans. « C’est ma plus longue période sans sexe », confirme Sélyne, 36 ans. Si les abstinent·es, asexuel·les ou aromantiqu­es ont pu s’épanouir grâce à cette vie dans les marges, le commun des mortels s’est vu privé d’étreintes depuis mars 2020. Parmi les 18 millions de célibatair­es que compte la France, certain·es ont subi de plein fouet l’hibernatio­n ingrate imposée par la distanciat­ion physique.

La Covid a contribué à exclure les personnes dites « à risque » du « game » de la séduction. C’est le cas d’Aurélie, 34 ans, atteinte d’une maladie cardiaque congénital­e. « Ce n’est vraiment pas simple à gérer, mais la peur d’attraper ce virus m’empêche totalement de flirter avec qui que ce soit », regrette-t-elle. Dans le sillage des politiques hygiéniste­s, les phobiques des fluides en tout genre se sont également tenu·es à bonne distance de tout·e éventuel·le prétendant·e postillonn­ant·e.

Famine cutanée

car je n’avais plus accès à d’autres gens, sans parler de l’annulation de beaucoup d’événements. »

En danois, un terme désigne le manque de contact physique, « hudsult » ou « famine cutanée ». Aurélie a fait l’expérience de cette chasteté imposée jusque dans sa santé : « Avec l’angoisse de la pandémie, je me suis bloqué le dos. L’ostéopathe m’a dit que je manquais de contacts physiques. » Gwenaëlle, quant à elle, se sent dépérir : « J’ai de moins en moins envie de séduire, cette part de mon identité s’endort. » Pourtant, pas de quoi se rouler par terre. « Le sexe n’est pas un besoin, on n’en meurt pas », rassure Marie Dequidt, psychologu­e et sexologue clinicienn­e, rappelant que la discontinu­ité de l’activité sexuelle est normale au cours de la vie.

Sextoys à la rescousse

Broderie, macramé, philatélie ? À quoi employer toute cette énergie vitale ? Face à la disette sexuelle, on ne peut faire confiance qu’à soimême. Certain·es ont donc opté pour l’autosexual­ité, soit le bon vieil onanisme. « Cela fait un an que je n’ai pas eu de rapport sexuel avec quelqu’un d’autre que moimême. Coup de chance, j’ai acheté un premier sextoy avant le confinemen­t de mars, ce qui me permet d’avoir une activité sexuelle sympa », se félicite Sélyne. Même si le retour inopiné dans leur vieille chambre d’ado a parfois sapé la libido des confiné·es : « J’utilisais des sextoys avant le confinemen­t, mais le fait d’être chez mes parents a été inhibant. Je n’ai pas pu, j’ai eu l’impression d’avoir à nouveau 16 ans, c’était très régressif », se souvient Emmanuelle, 29 ans, qui a préféré s’encanaille­r par écran interposé. « J’ai fait une rencontre sur Tinder et du sexting pendant deux mois. »

Ces stratégies relèvent moins d’une absence d’activité sexuelle que d’une altération des pratiques, selon le contexte. « Soit on se replie sur soi, soit on va vers l’exploratio­n des possibles, décrypte Marie Dequidt. Il faut être créatifs, changer ses habitudes : la sexualité, c’est vaste, il n’y a pas que le sexe pénétratif et phallocent­ré. Le sexting, ou donner une intention sexuelle à nos gestes, c’est aussi de la sexualité. » Le moindre rencard oblige désormais à composer avec les affres de la logistique, dont un masque, peu propice à la débauche. En fin d’année, un scénario de sortie de crise

Gwenaëlle, 35 ans

s’est imposé à certain·es, comme Emmanuelle, qui s’est expatriée à Londres et a rencontré un scientifiq­ue, comme elle, donc « particuliè­rement au fait du risque ». Prélude à la gaudriole, chacun a fait son test de la Covid. Une parade amoureuse inédite : « On est obligés d’avoir des conversati­ons sur la confiance et l’exclusivit­é que l’on n’aurait pas en temps normal », selon elle. Pour Pierre, l’éventualit­é d’un coït reste incertaine : « Je regrette d’avoir été aussi prudent quand nous étions “libres”, car je vois bien que je ne rencontrer­ai personne avant la fin de l’hiver ou le début du printemps. » Même absence de perspectiv­e chez Sélyne : « Il y a des jours où je me demande si je referai à nouveau l’amour, à cause du contexte. Estce qu’on ne sera pas reconfiné·es plus tard ? À l’horizon, tout est gris. » En attendant un providenti­el vaccin, antidote au cordon sanitaire.

Marie Dequidt, psychologu­e et sexologue clinicienn­e

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