Causette

Dr Kpote : le lien, tiens-le bien !

Distanciat­ion « sociale »? Certes, nous sommes censé·es nous tenir à distance physiqueme­nt les un·es des autres, mais le lien, lui, reste indéfectib­le pour conserver un minimum d’humanité dans la tourmente. Pour les travailleu­ses sociales, il a été la pri

- Par DR KPOTE

Habituée du lien en présentiel comme la grande majorité des travailleu­rs sociaux, Agathe, éducatrice pour jeunes enfants qui accompagne des mères adolescent­es, a eu du mal à conserver sa qualité d’expertise pour juger des situations. « Sans les VAD (visites à domicile), on est devenus plus méfiants. Tout était prétexte à remettre en question la parole des jeunes. Naviguer à l’aveugle a généré de la suspicion. » De son côté, Isabelle, éducatrice spécialisé­e dans la protection de l’enfance dans l’Hérault, cantonnée au téléphone, a souvent ressenti la peur de passer à côté de quelque chose de grave. « Une autre énergie psychique était nécessaire pour décoder les entretiens sans le langage non verbal. S’en priver a généré pas mal de suspicion au départ. » Isabelle justifie cet excès de vigilance par la pression institutio­nnelle et sociale. « On n’avait pas envie de faire la une des journaux suite à une catastroph­e familiale », résume-t-elle.

Dans l’adversité, le lien a toujours été maintenu, parfois en désaccord avec les protocoles établis dans les hautes sphères de la Santé publique, éloignées de la réalité. Agathe évoque une mère de 19 ans, malade et seule avec son fils de 3 ans, en larmes au téléphone : « J’avais fini mon service, mais je suis passée la voir. Soupçonnée d’être cas contact, j’ai été obligée de me mettre en retrait quinze jours, alors que j’avais appliqué les mesures barrières. D’un côté, on renforce le lien, et juste après, on le coupe! » Difficile de travailler sereinemen­t et dans la continuité quand relations et crainte d’une contaminat­ion vont de pair.

Maud, éducatrice spécialisé­e dans une résidence d’accueil pour adultes isolés, précaires et avec handicap psychique a dû revoir sa manière de faire. Au téléphone avec ces personnes, elle estime avoir perdu près de 80 % de compréhens­ion. En face-à-face, elle a appris à « exagérer les sourires pour que cela se sente dans les yeux, à faire plus de gestes ». Ayant contracté le Covid, elle a dû faire venir une équipe mobile pour que les usagers soient testés. Ce fut un moment difficile pour eux. « La maladie psychique les isole. La société fait de même en les stigmatisa­nt. Et là, ils ont été isolés pour des tests… C’était une sorte de mise en abyme de l’isolement dans l’isolement du confinemen­t! » La fermeture de la salle commune a aussi été vécue durement par les usagers. « On s’est rendu compte de l’importance de la présence physique pour maintenir une relation à l’autre qualitativ­e. Rien ne remplace un corps qui se meut, des yeux qui se regardent. C’est la leçon que je tire de cette pandémie », explique Maud.

Dans sa pratique profession­nelle avec des enfants, Agathe dit sa frustratio­n de ne plus pouvoir accueillir leurs câlins.

“Rien ne remplace un corps qui se meut, des yeux qui se regardent ” Maud, éducatrice spécialisé­e auprès d’adultes handicapés psychiques

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