J’habite chez mon chat
Pour les femmes confinées avec un félin, l’enfermement semble un chouilla plus doux. En 2020, l’animal de compagnie est devenu un véritable compagnon de vie, qui sait nous parler.
y allons pas par quatre chemins : je suis une « femme à chats ». Soit, d’après Wikipédia, une « femme généralement célibataire et caractérisée par l’affection exclusive envers ses chats (…), très investie dans sa carrière et peu disponible pour n’importe quelle relation amoureuse ». Qu’on se le dise, j’ai aussi de l’affection pour les hommes, voire même des relations amoureuses. Mais c’est vrai que Lucien, 5 ans, prend de la place dans ma vie. Déjà parce qu’il pèse huit kilos (ne le jugez pas). Et puis parce que je lui parle (ne me jugez pas). Avec le confinement, j’ai découvert que j’habitais non pas AVEC mon chat, mais CHEZ mon chat. Notamment lorsque celui-ci a ouvert un compte Instagram (@lucien_gros_ chat) pour raconter son quotidien confiné avec son humaine. La star de la maison, c’est lui. Ensemble, nous avons cuisiné, applaudi les soignants, écouté les déclarations d’Emmanuel Macron, regardé les pigeons par la fenêtre et le temps passer, fait du yoga et des Zoom. Jamais je n’avais passé autant de temps avec lui – enfin, chez lui – à utiliser son canapé, son fauteuil, son plaid. Sa conclusion : « Avec le confinement, l’humaine a enfin compris le sens de la vie : passer la journée au lit. » Pour le deuxième acte, on ne change pas une équipe qui gagne – moi en télétravail et Lucien en télédodo – et on se prépare à passer Noël en tête-à-tête si les réunions en famille sont interdites.
Quand il avait encore un papa, Lucien partageait un bout de jardin avec sa voisine, Mademoiselle Chateigne. Cette chatte de 9 ans, qui porte bien son nom, cohabite avec Rosaline, 47 ans. « Je l’ai adoptée à sa naissance chez mon mec de l’époque, dont la chatte avait eu une portée, raconte cette dernière. Quand elle
a été sevrée, j’ai laissé le mec et je suis partie avec le chaton. » Rosaline est québécoise, Chateigne est européenne, mais elles se ressemblent : « On est deux indépendantes, qui ont du caractère et qui se le montrent. » Comme son humaine part régulièrement en tournée, Chateigne se déplace beaucoup, elle aussi, chez des gardiens. Autant de valets à son service, le temps que sa servante principale revienne. « Avec le confinement, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas passé autant de temps ensemble. Avec l’annulation de mes cachets, j’ai travaillé mes instruments à la maison. »
En sourdine
Manque de bol, Mademoiselle Chateigne, la musique, ça la hérisse. « Mais assez de ton putain de violon ! Bordel, pas encore le tambourin ! » Rosaline est formelle, sa chatte jure d’une voix aiguë. « Cela doit lui créer du stress. Quand elle voit l’archet, elle émet une petite plainte de chat désespéré, genre “hinhinhin”. » Et court se réfugier précisément là où elle n’a pas le droit d’aller. Alors, depuis mars, Rosaline joue avec une sourdine et privilégie la mandoline, que sa colocataire supporte un peu mieux. « C’est un être essentiel à mon équilibre et c’est clairement elle qui décide. Moi, je ne suis qu’une artiste à peu près tolérée. J’ai sacrifié une partie de mon dressing pendant le confinement pour lui installer un coussin entre les valises et les boîtes à chaussures. » Chateigne n’a qu’une hâte : que les spectacles reprennent et que la saltimbanque reparte en tournée.
Quand je pars en vacances, Lucien est gardé par Mélanie*, voisine, amie et « maman » de René, 7 ans. Mélanie l’a adopté à l’âge de 6 mois pour remplacer Francis, « un chat exceptionnel – mais René n’aime pas quand je parle de Francis devant lui ». René passe son temps à mater les trains et les pigeons à la fenêtre de la salle de bain. Depuis la crise sanitaire, il regarde aussi beaucoup BFM et des séries. Avec le confinement, un autre mâle a intégré la maison : Romain*. René se frotte beaucoup à Romain, c’est une stratégie pour l’amadouer. « J’ai besoin d’esclaves pour s’occuper de ma litière, aller chercher mes croquettes et mon herbe à chat, nettoyer mes vomis », confirme René. De son côté, Romain allume le radiateur pour acheter son amitié. Pendant le confinement, le couple réalise des vidéos avec le chat sur Instagram. Mélanie l’assure : « René s’est mis à parler avec la voix de Marge Simpson, et on a découvert qu’il n’était pas sympa. Sauf avec Romain. Je crois qu’ils complotent ensemble pour m’abandonner. » Selon elle, René aimerait qu’elle s’en aille de l’appartement, mais il n’a pas de quoi payer le crédit. « J’avais un rapport de mère à enfant avec René. J’étais une Parisienne quadra célib depuis un peu trop longtemps, qui faisait tout avec son chat. J’ai dû faire de la place pour Romain, ce qui a changé ma relation à René, qui
“Avec le confinement, l’humaine a enfin compris le sens de la vie : passer la journée au lit” Lucien, alias @lucien_gros_chat
colocataire via Leboncoin : Numérobis. Ce chat roux et blanc de 3 ans et demi va devoir remplacer dans le coeur de Manon Ubu, le félin de la famille qui vient de mourir à 16 ans. « Grosse pression », pense-t-il en la rencontrant.
Crêpes et ronronthérapie
Il passe ses premières journées planqué dans l’armoire à vêtements de l’humaine, avant de se détendre progressivement. Manon aussi se détend. « J’ai été très angoissée, j’appréhendais le reconfinement. Avoir un chat ne règle pas toutes les névroses liées à l’actualité, mais il apporte une sorte d’apaisement. La ronronthérapie, c’est une réalité. » Selon Jean-Yves Gauchet, vétérinaire spécialiste de cette pratique, le chat émet en ronronnant des fréquences basses, entre 20 et 50 hertz, qui seraient apaisantes. De quoi adoucir un peu la période. « Je me réjouis de passer du temps seule avec Numérobis, je n’ai pas envie de lui imposer du monde pour l’instant. On va commencer à créer du lien et à trouver notre routine. Et puis, ça m’occupe aussi, même si j’ai l’impression d’être une vieille fille en disant ça ! » Dans cette routine quotidienne, Manon poste sur Twitter des photos de Numérobis, dont une où il l’aide à préparer des galettes, qui a fait le buzz. Des gens lui répondent avec d’autres images d’animaux de compagnie trop mignons. Conclusion : pour garder le moral, adoptez un chaton et mangez des crêpes.
* Les prénoms ont été modifiés.
U
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