La foirfouille de l’Histoire
Bientôt adapté sous la forme d’une mini-série pour France 2 après l’avoir été au cinéma par Claude Berri en 1993, Germinal n’est pas né que de l’imagination d’Émile Zola. L’écrivain s’est en effet fortement inspiré du combat de mineurs nordistes pour prés
Anzin, février 1884 : Zola va au charbon
Au départ, il n’y a qu’un titre. Germinal. Émile Zola le sait : c’est ainsi que s’intitulera son prochain roman, le treizième de la série des Rougon-Macquart – qui finira par en compter vingt. Germinal est le septième mois du calendrier républicain, démarrant vers le 20 mars, ce qui correspond à la germination et à la montée de la sève. Un début de printemps à travers lequel le romancier veut évoquer, de façon métaphorique, le réveil de la conscience ouvrière.
Nous sommes en février 1884 et Zola manque de grain à moudre. Bien tenté d’écrire sur les mineurs du nord de la France, il connaît mal ce milieu et hésite à aller se documenter directement sur place. De façon presque providentielle, les nouvelles qui lui arrivent de la région, indiquant une forte agitation sociale, le convainquent définitivement qu’il tient le bon sujet et que c’est tout à fait le moment de s’y mettre.
“Le mineur indomptable”
À Anzin, petite ville minière située non loin de Valenciennes (dans l’actuelle région des Hauts-de-France) et fief de la Compagnie des mines d’Anzin, alors une des premières sociétés privées en France, le mécontentement va croissant. C’est là que durant l’année 1883, craignant qu’une crise économique récente ne fasse reculer les acquis sociaux de ses camarades, un mineur de fond nommé Émile Basly fonde le premier syndicat de sa corporation. Basly, à peine trentenaire, entretient un rapport de force permanent avec les patrons : surnommé «le mineur indomptable», il est de tous les combats.
Si les mineurs d’Anzin se font de plus en plus entendre, c’est parce que la réorganisation du travail voulue par la Compagnie n’est pas franchement à leur avantage. Celle-ci souhaite supprimer le poste de raccommodeur, qui consiste à réparer et à reboiser les galeries pour éviter les retours d’air. Ce sera désormais aux mineurs eux-mêmes de se charger de ces menus travaux. Or les conséquences d’un tel changement sont doublement négatives pour eux. D’abord, les mineurs les plus âgés se retrouvent privés d’un emploi qui leur permettait de terminer leur carrière de façon (un peu) moins pénible. Ensuite, ces nouvelles tâches réduisent la rémunération potentielle des mineurs, qui sont payés en fonction de la quantité de houille qu’ils parviennent à extraire. Chômage à la hausse et salaires à la baisse : deux raisons de ne pas se laisser faire.
Le 21 février 1884, Émile Basly persuade la majeure partie des ouvriers de la mine d’Anzin de se mettre en grève afin de pousser la direction à revenir sur sa décision. La réaction de cette dernière ne se fait pas attendre. En vertu de la loi Le Chapelier, qui interdit toute forme de coalition professionnelle et vise en particulier à empêcher la formation de syndicats, cent quarante syndicalistes sont licenciés. Il n’en faut pas davantage pour que la protestation s’amplifie et
Une forte agitation sociale chez les mineurs le convainc définitivement qu’il tient le bon sujet
qu’une dizaine de milliers d’employés du bassin minier décident de suivre le mouvement social : grève illimitée.
Un secret vite éventé
Prévenu par le député valenciennois socialiste Alfred Giard, Zola décide de l’accompagner dans le Nord dès le 23 février afin de se lancer dans l’une des phases fondamentales de son travail, la documentation. Giard le présente d’abord comme son secrétaire, mais le secret est rapidement éventé : Zola est bel et bien là dans le but d’écrire un roman. L’auteur multiplie les entretiens avec la population locale, note un maximum d’expressions nordistes glanées çà et là, consigne chacune de ses impressions et de ses sensations.
Le 25 février, il descend dans la mine. Hors de question de se contenter des descriptions des ouvriers : il plonge à 675 mètres de profondeur, expérimentant par lui-même la pression, l’obscurité, l’humidité et la chaleur. Dans Mes notes sur Anzin*, recueil de ses écrits préparatoires, il évoque aussi bien la dure condition des hommes que celle des chevaux utilisés dans les galeries souterraines. Très ému par leur sort, il écrit : «On ne remonte les chevaux que malades, morts ou trop vieux.»
Le romancier reste dans la région jusqu’au 3 mars, le temps de faire le tour des lieux et des personnes. Il repart satisfait de ses notes, mais s’avoue déçu de ne pas avoir trouvé chez les mineurs d’Anzin la colère dont il aurait tant eu besoin pour son roman. Déterminés mais calmes, les ouvriers affichent une sérénité qui manque sans doute un peu de spectaculaire. Pour apporter à Germinal la dimension épique qui lui manque, Zola donnera à son héros Étienne Lantier, double d’Émile Basly, un supplément de rage qui en fera l’un des personnages les plus mémorables de sa saga littéraire.
La grève, elle, se poursuit bien après le départ de l’écrivain. Mais la faim est de plus en plus présente, les corps de plus en plus faibles, et le pessimisme gagne. Chaque jour, la direction de la Compagnie d’Anzin affirme un peu plus sa volonté de ne pas reculer, justifiant l’austérité de ses décisions par un besoin de préserver sa compétitivité face à la concurrence étrangère. Le 17 avril, après cinquante-six jours de lutte, les grévistes jettent l’éponge. Le bras de fer s’est ainsi soldé par un échec cuisant.
Autorisation des syndicats
Malgré le goût amer de cette défaite émerge cependant une bonne nouvelle : l’abandon de la loi Le Chapelier (qui date de 1791), abrogée dès le 21 mars 1884 par le ministre de l’Intérieur Pierre Waldeck-Rousseau. Ce dernier donne son nom à une nouvelle loi qui autorise officiellement la constitution de syndicats en France et fixe leurs domaines de compétence. La lutte d’Émile Basly et des siens aura donc fait basculer le droit du travail de façon décisive.
En novembre 1884, on peut lire le premier chapitre de Germinal dans le quotidien Gil Blas, qui propose les épisodes suivants jusqu’en février 1885. Bouleversés par la justesse avec laquelle le romancier a décrit leur existence, les mineurs ne manquent jamais une occasion de lui exprimer leur reconnaissance éternelle. En 1902, une délégation se déplace même du nord de la France pour scander «Germinal» à l’occasion de ses obsèques au cimetière de Montmartre, ultime hommage à celui qui a magnifié leur combat.
* Mes notes sur Anzin, manuscrit d’Émile Zola accessible sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France (BNF).
Le 25 février, il descend dans la mine, expérimentant par lui-même la pression et l’obscurité
U