Ceci est mon corps
Sentiments de tristesse, larmes, baisse soudaine d’énergie, angoisses intenses, boule au ventre. Après un rapport sexuel, certain·es éprouvent des sensations et des émotions négatives. Cette expérience a un nom : la dysphorie post-coïtale ou blues post-co
Triste coït
« Après un rapport intense que j’ai vraiment adoré, j’ai l’impression que mon corps a reçu énormément d’hormones. C’est comme si je manquais d’un coup de quelque chose. Je me recroqueville en position foetale, je sens que mon corps n’est pas bien, je pleure, je peux avoir des douleurs dans la poitrine, parfois même des angoisses. » Ana, 22 ans et originaire de la Réunion, souffre de la dysphorie post-coïtale (DPC) depuis ses 16 ans et le début de sa vie sexuelle. En couple, mais aussi avec des « plans cul ». Même si avec ces derniers, le blues est moins important. « C’est plus sexuel et moins intense psychologiquement », précise-t-elle. Ces sensations, elle les vit entre dix et trente minutes après le rapport : « Ça s’atténue au fur et à mesure, puis ça disparaît. »
Un phémonène peu étudié
Il existe peu de travaux sur la question, alors qu’une simple « recherche sur Google révèle plusieurs sites et forums qui évoquent le “blues post-coïtal” », écrivait le professeur de psychiatrie clinique américain, Richard A. Friedman, en 2009, dans le New York Times. Plus récemment, en janvier 2020, deux psychologues clinicien·nes suisse et anglais, Andrea Burri et Peter Hilpert, ont publié une étude intitulée « Postcoital Symptoms in a Convenience Sample of Men and Women » dans le Journal of Sexual Medicine. 91,9 % des participant·es (223 femmes et 76 hommes) y déclarent avoir eu des « symptômes » de ce blues au cours du dernier mois. Les trois manifestations principales sont l’irritabilité, la tristesse et les larmes, mais les chercheur·euses se sont
appuyé·es sur une liste de vingt et un symptômes afin de mieux saisir la DPC.
« Il n’y a rien dans ma tête à ce moment-là », confie Léa. La jeune femme de 26 ans, originaire de l’Oise, expérimente ce blues depuis qu’elle est avec son compagnon, soit quatre ans. Ce n’est pas systématique après le rapport, mais quand ça arrive, les larmes montent, le thorax se comprime, une sensation de tristesse intense grandit en elle, alors même qu’elle vient de passer un bon moment. L’Oisienne se décrit comme hypersensible. Elle raconte qu’elle ne vit que des émotions très fortes, sur lesquelles elle travaille avec un psychologue. Elle mettait son expérience de DPC – dont elle ne connaissait pas le nom – sur le compte de son hypersensibilité. Mais, en réalité, aucun facteur n’explique avec certitude sa survenue.
Robert D. Schweitzer s’est intéressé à la dysphorie postcoïtale chez les femmes en 2011 et en 2015, puis chez les hommes en 2018. Professeur de psychologie à l’université du Queensland, à Brisbane (Australie), il a creusé plusieurs hypothèses : détresse psychologique, agressions sexuelles dans l’enfance et à l’âge adulte, causes hormonales, problèmes sexuels à part entière, dissociation de soi pendant le rapport. Ce dernier a par exemple été écarté. Il estime que d’autres recherches doivent être menées et qu’il est probable que les causes soient multifactorielles. Parmi toutes les hypothèses sur lesquelles Robert D. Schweitzer a travaillé, la cause hormonale semble malgré tout davantage le convaincre.
L’hypothèse hormonale
Aurore Malet-Karas, sexologue et docteure en neurosciences, travaille sur les liens entre la sexualité et les fonctionnements du cerveau. Elle explique que ce blues peut être une conséquence normale d’une « phase de descente » traduite par une chute d’hormones comme la dopamine après la jouissance : « C’est comparable à une descente de drogue. » D’où cette sensation de manque soudain dont parle Ana. Selon la sexologue, plus le rapport est intense, « plus la chute sera forte ». Pour étayer l’hypothèse hormonale, Robert D. Schweitzer veut s’intéresser au réflexe dysphorique d’éjection du lait (RED). Certaines femmes qui allaitent ressentent des émotions négatives lors de la tétée. Tristesse, anxiété, irritabilité, désespoir, noeud dans l’estomac… les effets ressemblent à ceux de la DPC, précise-t-il. Ses prochains travaux pourraient porter sur la recherche d’une corrélation entre ces deux phénomènes, le RED étant a priori une réaction hormonale.
Les agressions sexuelles reviennent régulièrement dans les écrits des spécialistes qui ont étudié la DPC. Pour Aurore Malet-Karas, « les violences sexuelles pavent la route au blues post-coïtal ». Car l’intensité évoquée plus haut peut être positive comme négative. « Le corps apprend à associer une émotion – doute, douleur, tristesse, solitude – et l’acte sexuel. » Elle avance que les victimes de traumatismes ont des difficultés à dissocier les choses. Mais la façon dont le cerveau lie et interprète les expériences est flexible et donc modifiable. Un suivi avec un·e sexologue peut ainsi aider ces personnes. Quand elle parle de son expérience, Ana confie qu’elle a subi plusieurs agressions sexuelles et qu’elles sont parfois liées à sa DPC. Elle indique que le phénomène tend à s’atténuer. Avec son partenaire, elle a trouvé une solution pour s’apaiser : « Il se tait, il me serre ultra fort contre lui. Le fait de sentir qu’il est là pour m’aider, c’est ce dont j’ai besoin. On reste comme ça à écouter le silence. » Robert D. Schweitzer insiste : il est normal que les expériences sexuelles soient variées et il ne faut pas en faire une pathologie. Mais mettre un mot sur un vécu et se rendre compte que d’autres le vivent aussi peut par ailleurs soulager.
“Je me recroqueville en position foetale, je sens que mon corps n’est pas bien, je pleure, je peux avoir des douleurs dans la poitrine, parfois même des angoisses” Ana,
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