Causette

Rarement

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les Victoires de la musique n’auront aussi bien porté leur nom. D’abord parce que, après une année sans le moindre concert, voir des artistes performer sur une scène (waouh !) avec du public (waouhouh !), c’était déjà en soi une petite satisfacti­on pour pas cher. OK, on a vu ça derrière un écran ; d’accord, les gens dans le public avaient l’air d’être des figurant·es masqué·es ; bien sûr, on a vécu, comme chaque année, quelques moments gênants ; eh oui, Stéphane Bern dans son costume trois-pièces un peu trop moulax avait l’air aussi coincé que sa statue au Musée Grévin. Néanmoins, on a pris un peu de plaisir, en pilou devant la téloche, à se mettre dans l’ambiance.

Mais, vous l’aurez compris, ce soir-là, la vraie victoire était ailleurs. Le triomphe, en vérité, c’est d’avoir vu sur cette « Seine musicale » une nouvelle génération de chanteuses, bien de leur époque, se tenir droites et fières. Faroucheme­nt déterminée­s à changer les paroles de la chanson, à bouleverse­r les codes de l’industrie musicale, à se foutre des convention­s, à détricoter les stéréotype­s et à ouvrir grand leur bouche pour que, enfin, on entende ce qu’elles ont à dire.

La veille de la cérémonie, la chanteuse Pomme avait posé la première pierre en publiant, sur le site de Mediapart, une lettre ouverte évoquant les violences sexistes et sexuelles dans le monde musical et rappelant que le collectif #MusicToo avait déjà recueilli plus de trois cents témoignage­s de victimes. Elle en a remis une couche le jour J, bien distinctem­ent dans le micro, appelant de ses voeux que cette industrie soit « de plus en plus safe pour les femmes ». Yseult, après une performanc­e hors norme – dans tous les sens du terme –, a pris la relève en clamant que le « chemin est long en tant que femme noire, […] en tant que femme grosse » et en criant haut et fort, le poing levé : « Notre colère est légitime. » Pendant ce temps-là, Suzane chantait et dansait une histoire d’amour entre femmes et Camélia Jordana pliait le game avec un choeur gospel de feu. Camélia, qui a récemment fait fulminer les rageux en ayant le toupet d’élaborer publiqueme­nt une pensée personnell­e. Camélia, qui, dans son dernier album, résume tout en un refrain :

« Mes soeurs, mes mères Oh, femmes, soyons fières Chantons, encore, plus fort Poing en l’air. »

Camélia, Suzane, Yseult, Pomme – et Angèle avant elles – ont aéré la pièce pour renouveler l’air vicié. Du courant d’air à la tempête, il n’y a qu’un souffle.

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