Causette

Le lance-flammes de Chloé Delaume

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Le monde de maintenant est difficile, pas seulement parce qu’il est transitoir­e : il révèle un réel jusqu’ici éludé. Des faits et des données camouflées sous le tapis qu’on soulève aujourd’hui, permettant de contempler un champ de ruines psychique. Peut-être que tout le monde range sa chambre puisqu’il est enfermé. Le monde de maintenant est brutal, la parole qui se libère donne à voir le réel dans sa globalité : les femmes ne sont pas les seules à être la cible des prédateurs. Le livre de Camille Kouchner, La Familia grande, a provoqué un séisme sociétal. Sur les réseaux sociaux, #MeTooInces­te s’est incarné en tsunami : plus de 80000 témoignage­s.

Les études existaient mais restaient inaudibles. À présent, elles s’imposent : la France compte 10 % de victimes d’inceste, la pédocrimin­alité semble relever du systémique. Il n’y a donc pas que les femmes, mais aussi les enfants. Juste derrière ce hashtag est venu #MeTooGay et avec lui un cortège d’histoires similaires, laissant la victime en PLS. Le mâle hétérosexu­el n’est donc pas le seul en cause, le souci se poserait donc avec le mâle tout court.

Voir toute cette violence remonter à la surface sans en être affecté·e relève de la gageure. Savoir que l’on habite dans un pays où une agression sexuelle est commise toutes les 9 minutes, qu’une plainte pour viol est déposée toutes les 40 minutes, que seule une sur cent aboutit, que 98,4 % des condamné·es pour viol sont des hommes. Entendre encore que la culture du viol serait une fadaise, que le patriarcat ne produit pas de violeurs, comme si la toute-puissance de leur foutu phallus n’était pas dans les moeurs. Sur Twitter, Instagram, la question a été soulevée par Mélusine, militante féministe, puis reprise en masse, engendrant des exclusions temporaire­s : comment faire pour que les hommes cessent de violer ?

La question, légitime, semble perçue comme inconcevab­le. Ce qui n’est pas nommé n’existe pas, mais le réel est insupporta­ble. Dans un pays où les délais de prescripti­on confortent l’impunité, au point que pour être entendu·es le seul recours est d’écrire un livre, comment faire pour que les hommes cessent de violer ? L’empathie ne s’injectant pas en intraveine­use, l’objectivat­ion d’autrui étant pour nombre d’entre eux un réflexe, la réponse est loin d’être trouvée. Le monde leur appartient, comme les corps qui s’y trouvent.

La seule chose positive, dans cette apocalypse, c’est la quatrième vague féministe, qui, déferlante après déferlante, fait vaciller les fondements de la masculinit­é toxique, qui depuis toujours a le pouvoir. C’est à ça que je m’accroche, à chaque nouvelle affaire qui vient à éclater. Le monde de maintenant est difficile, justement parce qu’il est transitoir­e. Nous avons la puissance de la lucidité : nous savons concrèteme­nt ce qu’engendrent leurs privilèges. Nous nous savons nombreuses, parfaiteme­nt légitimes : le monde d’après nous attend, expurgé des rapports de domination morbides. Mais bon, évidemment, y a encore du boulot.

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