Causette

Un bébé toute seule ? Elles n’ont pas attendu la loi

Alors que les parlementa­ires n’en finissent plus de faire joujou avec le projet de loi PMA pour toutes, les femmes, de leur côté, ont pris leur destin en main. Causette est allée à la rencontre de ces célibatair­es qui n’ont pas attendu la loi – laquelle d

- Par CLÉMENTINE GALLOT – Illustrati­ons CAMILLE BESSE

« Maman a choisi ton géniteur sur catalogue par Internet ! » Concevoir, pipette à la main, les pieds en l’air dans son salon ou traversant seule les frontières en quête de sperme inconnu, l’image est nouvelle et de moins en moins rare. Au Danemark, c’est même « un choix de vie tout à fait accepté et normal. Des groupes pour mamans solos sont régulièrem­ent organisés », explique Helene Jakobsen (voir l’encadré « Paye ton coach », page 31), une coach en fertilité dans ce pays où la procréatio­n médicaleme­nt assistée (PMA) est légale et remboursée pour les femmes seules depuis… 2007 ! Ces derniers temps, le sigle SMC (single mother by choice) s’est également imposé dans le lexique des pays anglo-saxons. Ces derniers ont vu le nombre de femmes créant leur propre famille monoparent­ale augmenter fortement après la légalisati­on de ces pratiques : au Royaume-Uni, le nombre de femmes seules faisant une fécondatio­n in vitro (FIV) en utilisant leurs propres ovocytes avec un donneur de sperme est passé de 531 en 2008, date de l’extension de la PMA, à 1352 en 2018.

En français, l’expression « monomatern­ité choisie » n’a pas encore pris son essor, mais pourrait s’imposer si la loi de bioéthique, qui fait actuelleme­nt les frais d’une bataille législativ­e au Sénat et à l’Assemblée, passe en 2021 (voir l’encadré page 27) : la PMA pour femmes seules est encore illégale en France, car réservée aux couples hétérosexu­els. Encore marginal, le phénomène pourrait doubler, voire tripler : on estimait déjà en 2017 qu’entre 2 000 et 3 000 femmes par an n’avaient pas attendu la loi pour aller réaliser une PMA à l’étranger. Et, selon la principale banque de sperme, Cryos, en 2020, 44 % des clientes françaises étaient célibatair­es.

Nécessité, urgence, besoin, choix : comment en arrive-t-on là ? Il peut s’agir d’un dernier recours envisagé lorsque le désir d’enfant se heurte à la baisse de la fertilité féminine, à partir de 35 ans : « J’ai toujours voulu des enfants et, vers 30 ans, je disais que j’en ferais coûte que coûte, explique Sarah, 37 ans. J’ai toujours espéré le faire avec quelqu’un, mais je n’ai pas rencontré la bonne personne. Au bout d’un moment, j’ai eu un déclic : quand j’étais à Barcelone, il y a trois ans, j’ai vu une femme avec un petit enfant, à un concert. Je me suis fait un film en imaginant qu’elle l’élevait toute seule et je trouvais leur complicité très belle. Je me suis dit : “C’est possible !” » En pleine crise du Covid-19, elle a ainsi commencé son parcours d’inséminati­on à la clinique Eugin, « une usine à bébés » en Espagne, pays d’où est originaire sa grand-mère. Et comptabili­se pour l’instant deux tentatives infructueu­ses.

Parcours de la combattant­e

« La maternité solo se fait rarement sur un coup de tête », remarque la sociologue Virginie Rozée, à l’Institut national d’études démographi­ques (Ined). Celles qui l’ont vécue sont formelles : ce parcours de la combattant­e demande une préparatio­n minutieuse. D’abord, s’octroyer une période de réflexion. Ensuite, emmagasine­r un petit pactole, car l’ensemble des démarches, dont certaines sont remboursée­s par la Sécurité sociale, coûte, en moyenne, entre 5000 et 7000 euros. Puis assimiler une somme d’informatio­ns glanées sur Internet auprès d’associatio­ns, de forums ou de groupes Facebook. La méthode plébiscité­e reste le don de gamètes à l’étranger : dès lors, faut-il choisir l’inséminati­on, moins coûteuse, ou la FIV, plus invasive, mais plus efficace ? Se décider pour un donneur anonyme ou connu ? Tester les valeurs sûres que sont la Belgique, l’Espagne et le Danemark ou les nouveaux eldorados que sont le Portugal et la République tchèque – pour laquelle il faut falsifier une attestatio­n de couple, les célibatair­es n’étant pas autorisées ? À 36 ans, Bijou Bulindera, autrice de Concevoir en solo est venue grossir les rangs du tourisme procréatif espagnol. « On ne naît pas en pensant qu’on fera des enfants seule », reconnaît-elle. Celle-ci a préféré en avoir que pas du tout, quitte à se passer de conjoint : « J’ai toujours voulu avoir une grande famille, mais ma carrière a fait que je m’y suis prise tard. » Sa relation amoureuse s’est terminée lorsque s’est posée la question d’avoir des enfants. « Il était hors de question de faire un enfant avec le premier venu ou dans le dos de quelqu’un. » Miracle, la première inséminati­on a fonctionné et la voici, cinq ans plus tard, mère d’un petit garçon.

À la baisse de la fertilité féminine s’ajoute, pour les personnes hétérosexu­elles, l’âge plus tardif du premier enfant pour les hommes (cinq ans plus tard, en moyenne). Après plusieurs ruptures pour cause de désir d’enfant

non partagé, Audrey Page, 43 ans, a « passé des nuits blanches à retourner le problème ». Elle a finalement pris l’avion pour Barcelone et tiré de son expérience un livre, Allers-retours pour un bébé. Ayant aujourd’hui une fille de 14 mois, elle met en garde contre les nombreux échecs (les chances par FIV sont de 20 % à 25 % par cycle et diminuent avec l’âge), la tyrannie des stimulatio­ns ovariennes et les cliniques parfois débordées, où elle a perdu des ovocytes lors d’une décongélat­ion.

Donneur charmant versus prince charmant

« Les mères solos inversent le parcours classique pour “faire famille,” qui consistait à d’abord trouver quelqu’un, puis à faire un enfant », contextual­ise la chercheuse Virginie Rozée. « Ce n’est souvent pas le scénario idéal », confirme Guillemett­e Faure, 54 ans, qui a d’abord fait ce choix par défaut. Longtemps basée à New York, cette mère d’une préado aujourd’hui en sixième, était arrivée à la même conclusion qu’Audrey Page il y a une dizaine d’années et avait rejoint un groupe de single mothers by choice pour écrire son enquête, Un bébé toute seule ?. Faute de conjoint, elle avait troqué le « prince charmant » pour le « donneur charmant » et entamé le processus d’inséminati­on aux ÉtatsUnis, sans succès, jusqu’à son retour en France. Elle a finalement réussi une FIV à l’étranger et abandonné les démarches d’adoption qu’elle avait entreprise­s pour maximiser ses chances.

Les procédures d’adoption ont en effet peu de chances d’aboutir pour les célibatair­es. Le premier réflexe est alors souvent de passer en revue, à l’ancienne, son entourage masculin pour y dénicher un potentiel géniteur susceptibl­e de reconnaîtr­e l’enfant ou un coparent (voir l’encadré « Copapa, où t’es ? », page 31), voire un « donneur sauvage » (voir l’article page 30). Johanna, 38 ans, est ainsi tombée enceinte d’un ex avec qui elle avait remis le couvert, qui savait qu’elle essayait d’avoir un enfant et n’a pas souhaité s’impliquer. Installée à Berlin, elle avait d’abord eu recours aux services d’un site de donneurs allemands : « Je ne voulais ni anonymat ni paternité », précise-t-elle. Elle dégote d’abord un astrophysi­cien père de trois enfants qui dit vouloir « aider les femmes » et signe avec lui un contrat symbolique, sans valeur juridique. « Il m’a donné du sperme deux fois dans une pipette et je me le suis injecté dans une chambre d’hôtel, sans succès. » Un choix de vie totalement rationnel, selon elle, et fruit d’un cheminemen­t intellectu­el : « Ce projet est né en 2017, à mon arrivée à Berlin pour des raisons profession­nelles. Je suis partie seule à l’aventure, face à moimême. Je me suis dit, je veux vraiment un enfant : comment faire ? J’ai décidé qu’il valait mieux raisonner seule que de le faire avec n’importe qui. Il existe plein de schémas familiaux, cela ne veut pas dire que je ne vais pas rencontrer quelqu’un plus tard. » Depuis, elle est rentrée en France avec sa fille de 5 mois et prépare un livre sur le sujet.

Pour certaines, la maternité solo s’impose comme un plan A, pas un plan B. En couple pendant plusieurs années, puis célibatair­e par choix, Julie, 43 ans, est revenue des États-Unis où elle vivait « prête à fonder une famille seule ». Elle précise : « C’était un choix positif, je ne le vivais pas en rapport à un manque ou à l’horloge biologique. Je me suis toujours vue possibleme­nt comme maman solo. » En Belgique, où la PMA est légale et où elle a fait trois tentatives d’inséminati­on avant d’être enceinte, il faut savoir que les cliniques imposent souvent un entretien psychologi­que. Elle se souvient : « Je prenais le train le matin et je rentrais à 14 heures, j’avais l’impression d’être une espionne. » C’était il y a trois ans, l’âge de sa fille. À l’époque, sa famille accueille la nouvelle avec enthousias­me. « Y compris ma grandmère de 95 ans, qui m’a dit qu’elle songeait à me suggérer l’idée », se souvient Julie, qui a accouché avec sa soeur à ses côtés, à l’hôpital. Le dicton africain « Il faut tout un village pour élever un enfant » s’applique bien à cette parentalit­é, souvent mieux entourée que les couples grâce à un réseau familial, amical et profession­nel qui propose appui émotionnel et logistique.

Un parcours semé d’embûches qui se fait parfois avec la complicité de médecins français·es militant·es, comme Philippe Vignal, gynécologu­e parisien : « Depuis une dizaine d’années, j’ai le sentiment qu’il faut aider ces femmes et qu’il est profondéme­nt injuste que la société ne participe pas. » Aline Mayard, 33 ans, enceinte de trois mois, en a ainsi profité pour commander du sperme dans une banque et réaliser illégaleme­nt l’inséminati­on

Johanna, 38 ans

en France avec un soignant acquis à la cause. Elle justifie sa démarche : « Je ne voulais pas partir à l’étranger, que ce soit une aventure extraordin­aire, différente des autres femmes. » Asexuelle, elle a toujours voulu un enfant, mais ne s’imaginait pas suivre le schéma parental. « Pas de père, pas de couple… je me destinais à une vie de célibatair­e. Je pensais d’abord adopter et le faire avant 30 ans. » Finalement, elle opte pour l’inséminati­on : échaudée après avoir passé en revue des centaines de profils de donneurs potentiels sur le site de la banque de sperme Cryos, elle a préféré se rabattre, au moins, sur des critères physiques. « Au début, je voulais choisir l’apparence du donneur et, en fait, plus je voyais d’infos sur les donneurs, plus ça me faisait flipper. En réalité, je ne voulais pas connaître sa personnali­té ! » Elle en a fait un podcast, À la recherche du sperme parfait.

Permettre à l’enfant l’accès au dossier du donneur

Longtemps réservée à la fin de la trentaine, cette configurat­ion attire des candidates de plus en plus jeunes. C’est déjà le cas au Danemark : « Entre 20 et 30 ans, certaines se lancent et prévoient d’avoir plusieurs enfants ainsi », explique la coach Helene Jakobsen. Comme Margaux*, 34 ans, pour qui ce n’est pas un choix par défaut : « Je ne ressens pas d’injustice et je ne suis pas pressée. » La jeune femme a d’abord songé à faire congeler ses ovocytes pour préserver sa fertilité, une pratique encore illégale dans nos contrées. Avant, finalement, de sauter le pas directemen­t : « En 2019, l’idée s’est transformé­e en projet de grossesse. Pourquoi congeler si on est déjà prête et si on a déjà envie ? J’attends quoi et qui ? » Il faut surtout, précise-t-elle, accepter de faire le deuil de la conception classique et s’en sentir capable. « Moi, j’ai accepté l’idée que c’était ma nouvelle normalité. » Elle a préféré le don ouvert au Danemark, avec possibilit­é pour l’enfant d’accéder au dossier du géniteur à sa majorité. Elle n’a

C’est l’Arlésienne. Le projet de loi relatif à la bioéthique proposant l’extension de la PMA à toutes les femmes, aux couples lesbiens, aux célibatair­es et aux personnes trans est renvoyé aux calendes depuis plusieurs années : adopté en deuxième lecture, le projet de loi a finalement été rejeté au Sénat en février et devrait être réexaminé par l’Assemblée avant d’être, a priori, voté à l’été. Si la levée de l’anonymat des donneurs ne fait plus de doute, député·es et sénateur·rices s’étripent encore sur ses mesures comme le remboursem­ent, qui créerait de nouvelles inégalités. Jugeant ces revirement­s infantilis­ants et rétrograde­s, l’associatio­n Mam’en solo craint que « les femmes célibatair­es en fassent les frais et ne soient la variable d’ajustement ». Quitte à être in fine exclues de la loi. Une chose est sûre, la France reste « en décalage avec plusieurs pays européens en ce qui concerne les transforma­tions de la société », estime Virginie Rozée, de l’Institut national d’études démographi­ques (Ined).

U

pas choisi le profil du donneur sur catalogue, comme le veut la coutume, mais a laissé le choix à la clinique, d’après certains critères physiques : yeux bleus et cheveux clairs, comme elle. « Je ne cherchais pas quelqu’un, je voulais juste du sperme », justifie-t-elle. Après une semaine seule dans un appartemen­t à Copenhague pour réaliser la FIV, elle est tombée enceinte du premier coup, il y a huit mois.

En France, comme ailleurs, nouvelles parentalit­és et conjugalit­és viennent bousculer la norme : selon l’Insee, en 2016, 21 % des enfants vivaient dans des familles monoparent­ales. « En réalité, la maternité solo existe en France depuis longtemps, ainsi qu’à l’étranger. La société est assez ouverte par rapport à ces projets familiaux hors du cadre du couple hétérosexu­el, c’est la politique qui tarde encore à les accompagne­r », rappelle la chercheuse Virginie Rozée. Le Sénat a pour l’instant écarté de la propositio­n de loi les femmes célibatair­es et les personnes trans au profit des couples lesbiens, preuve que la législatio­n peine à comprendre ces nouveaux profils qui n’ont rien à voir avec l’épouvantai­l de la fille-mère abandonnée ou de la veuve éplorée, brandis pour dissuader les femmes d’enfanter hors d’un cadre patriarcal : « Nous ne sommes pas des mères célibatair­es ayant subi un accident de la vie. C’est un projet parental choisi. Nous essayons de faire reconnaîtr­e nos familles par la loi », précisent Bénédicte Blanchet et Mariama Soiby, de l’associatio­n Mam’en solo. Ni précarisée­s ni isolées, les single mothers by choice sont des privilégié­es : des CSP +, diplômées et à l’aise financière­ment.

Une explosion des achats de sperme due au Covid

Plusieurs facteurs expliquent l’accélérati­on du phénomène. En 2020, le contexte du Covid a servi de déclencheu­r pour certaines mères en devenir, qui se sentaient prêtes sans conjoint·e : aux États-Unis, par exemple, la pandémie n’a pas provoqué le baby-boom escompté, mais une explosion d’achats de sperme et de congélatio­ns d’ovocytes. « Le confinemen­t a joué : il a fait ressortir des angoisses et il a fallu prendre une décision », reconnaît Sarah. Ensuite, le renouveau des mouvements féministes et la vague #MeToo ont participé de cet éveil des conscience­s : « L’idée du féminisme, c’est un bébé quand je veux, si je veux. On est maîtresses de nos utérus, on est fortes, explique Johanna. En écoutant la parole libérée par #Metoo, je me suis demandé : “Pourquoi serais-je victime ?” J’en ai eu marre d’attendre qu’un homme veuille bien s’intéresser à moi, une femme qui s’étiole sur “le marché à la bonne meuf”, selon leurs critères, ou d’entendre dire que je perdais de ma valeur, alors que ce n’était pas mon impression. » Pour Margaux, qui se dit « beaucoup plus

féministe » depuis qu’elle n’est plus en couple, il s’agit également d’affirmer son indépendan­ce : « Il était hors de question de faire en fonction de quelqu’un d’autre, c’est mon timing et mon projet de vie. »

Dire la vérité à l’enfant sur sa conception

Quand j’ai « googlé » « sperme à domicile », le World Wide Web m’a d’abord mis un gros stop. « Le fait de procéder à une inséminati­on artificiel­le par sperme […] provenant de dons est puni de deux ans d’emprisonne­ment et 30000 euros d’amende », m’a prévenue Légifrance. Mais, deux clics plus loin, je flirtais déjà avec l’illégalité. Sur Facebook, notamment, on trouve une ribambelle de groupes pour partager ses demandes, ses offres de semence ou son témoignage, dans le plus grand des calmes. « Votre donneur a-t-il envoyé un bon volume de sperme ? Je n’ai quasi rien eu », s’interroge une internaute. « Il a enroulé une seringue de sperme dans du papier et a simplement mis un sac de glaçons dans le colis », déplore Stéphanie, se demandant si le procédé est « normal ». Ça ne sentait pas très bon.

S’injecter le sperme avec une seringue

Heureuseme­nt, on m’informe que la crème de la crème (vous l’avez ?) se trouve plutôt du côté de Donneur naturel. Sur cet élégant forum imagé de gros spermatozo­ïdes volants et où les femmes ont un pseudo rose et les hommes un pseudo bleu, 2099 preux chevaliers offrent de partager leurs petites graines. Il existe trois méthodes, m’apprend le site. La « naturelle », qui consiste en « un rapport sexuel classique avec un homme ». La « semi-naturelle », pendant laquelle la pénétratio­n intervient après que chacun·e se soit masturbé·e solo, « peu avant l’éjaculatio­n », pour « écourter » le coït. Et l’« artisanale ». Celle-ci n’est pas expliquée. C’est Aude*, ex-utilisatri­ce de 34 ans, qui éclaire ma lanterne. « Il se masturbe, je récupère le sperme et je me fais une

inséminati­on avec une seringue. » Suffit de se procurer « un pot stérile en pharmacie », m’informe Camille*, une autre adepte. Je contacte une vingtaine d’hommes. Olivier, « grand blond aux yeux bleus », ressemble en fait à Cauet et approche les 50 balais, gage de fertilité s’il en est. Pierre me rassure : chez lui, « tout fonctionne en bas ». Ouf ! Après le classique échange de banalités, je préviens les wannabe-géniteurs que « n’étant pas à l’aise avec la pénétratio­n, je préfère la méthode artisanale ». Manière de tester le niveau de gratuité de leur geste. C’est la débandade. « La méthode naturelle est plus efficace », tente de me convaincre Olivier. « Je bloque avec l’aspect médical de la méthode artisanale », pleurniche Christophe. Pléthore d’autres gentlemen m’assurent que leur souhait le plus cher étant de m’aider à procréer, il me faudra passer à la casserole, puisque la méthode sans pénétratio­n « est très aléatoire ». Sur quarante discussion­s, Camille m’indique que trois hommes l’ont acceptée. Et « au moment du rendez-vous, soit vous n’avez plus de réponse, soit il prétexte un empêchemen­t, soit personne ne vient ».

Assistante de direction en architectu­re d’intérieur à Lyon

« Pour ma première inséminati­on, j’ai fait deux allers-retours à Barcelone en quatre jours ! Quand j’ai senti que mon ovulation arrivait, je suis partie immédiatem­ent à la clinique. C’était un lundi. Mais, sur place, on m’a dit que ça n’allait pas le faire. Je suis donc rentrée en France le mardi. Le mercredi, il se trouve que j’avais un contrôle gynéco, qui montrait que j’étais prête. Je suis donc repartie en Espagne le jeudi. Heureuseme­nt que ma patronne est flexible…

Pour ma deuxième inséminati­on, quelques mois plus tard, je suis repartie à Barcelone. Me voyant seule, un couple de Français m’a invitée à prendre un verre. La femme faisait exactement le même parcours que moi, et seule ! L’homme à ses côtés était bien son compagnon, mais ils s’étaient rencontrés alors que son parcours PMA avait déjà commencé. Il a pris soin de nous deux – moi y compris ! – pendant les quatre jours. Il me rejoignait à la piscine pour me tenir compagnie, payait mes additions, allait nous chercher à boire… Ce n’était pas à en oublier l’inséminati­on, car on ne parlait que de ça, mais ça m’a quand même libérée. »

Naturopath­e à Bruxelles

« Des amis de mes parents ont offert un lot de bavoirs à Jeanne pour sa naissance. Sur l’un d’eux, il y avait écrit “Papa est le meilleur”… Une fois, avec elle, on est allées passer un aprèsmidi chez des amis. Elle avait 3 ans. Eux avaient un enfant de 6 ans. Il a pris le contrôle du lecteur CD et a passé Papa où t’es, de Stromae, quatre ou cinq fois d’affilée ! Jeanne parlait déjà couramment, ça se voyait qu’elle essayait de comprendre les paroles. Le petit ne pouvait pas capter en quoi c’était délicat, mais j’aurais apprécié un peu de soutien des parents… »

Aide médico-psychologi­que à Nantes

« Mes deux filles ont seize ans d’écart. Maxyne, ma dernière de 3 ans et demi, est issue d’une PMA solo en Espagne. Ma grande, Ambre, a 19 ans. C’était une grossesse spontanée, pas prévue. Comme je l’ai eue tôt, à 19 ans, et que je fais jeune, les gens nous prennent pour des soeurs ou des amies. Et, comme Maxyne surnomme sa soeur “baba” – ce qui ressemble à “papa” –, les gens comprennen­t encore moins ! Un jour, on était dans la salle d’embarqueme­nt d’un aéroport. J’ai emmené Maxyne aux toilettes. Au loin, Ambre m’a appelée en criant

“Maman”. Quand quelqu’un crie “Maman”, les gens lèvent généraleme­nt les yeux pour voir si un enfant est perdu. Comme d’habitude, je voyais leur regard d’incompréhe­nsion, cherchant à qui cette jeune femme pouvait s’adresser. Puis, voyant Ambre, Maxyne s’est écriée “Baba” ! Le visage des gens s’est carrément décomposé. Je les imagine se dire “Hein ? Il y a une jeune qui en a appelé une autre ‘Maman’, puis son bébé a appelé la première ‘Papa’” ! Même les personnes qu’on connaît bien tiquent. »

1. Vous êtes un homme cis. Une pote vous annonce qu’elle est enceinte à la suite d’une PMA. L’info fait naître une profonde culpabilit­é en vous. Vous avez failli à votre devoir d’ami et de mâle. Vous lui demandez pourquoi elle s’est fait chier à payer une banque de sperme et des allers-retours à l’étranger alors que vous lui auriez fait de bon coeur, ce gosse, et gratos ! C’est oui M C’est non M

2. Votre cousine de 30 ans vous annonce qu’elle va faire un bébé toute seule. Vous trouvez qu’il est trop tôt pour flipper sur l’horloge biologique et tentez un : « T’as tout le temps de trouver quelqu’un ma Brenda ! Surtout avec un si joli minois ! » C’est oui M C’est non M

3. Vous êtes soignant·e. Une patiente enceinte, que vous recevez avec son nourrisson, vous indique que le bébé n’a pas de père. Vous levez les yeux d’un air aussi insignifia­nt que Castex en conf Covid et continuez votre diagnostic médical comme si de rien n’était.

C’est oui M

C’est non

M 4. Une collègue, par ailleurs mère seule d’un petit de 2 ans, en est à son huitième café de la matinée. Elle vous confie sa fatigue parce que vous êtes également parent (en couple). Vous la ramenez à ce que vous estimez être la stricte réalité : « En même temps, c’est toi qui l’as choisi. » C’est oui M C’est non M 5. La femme que vous chinez depuis trois mois et pour qui vous avez consenti à faire un date sur Zoom s’avère avoir eu un enfant en solo, qui gesticule en arrière-plan. Pour lui montrer que vous êtes rodé au schéma monoparent­al, vous lui glissez un sensuel : « J’espère qu’il y a quand même des week-ends en garde alternée pour qu’on puisse kiffer, si tu vois ce que je veux dire, bébé. »

C’est oui M

C’est non

M

6. Votre copine Paula est sur le point de choisir son donneur sur Internet et vous montre les potentiels géniteurs. Avoir ce choix de déesse toute puissante vous rappelle la trépidante émission de téléréalit­é Next ou vos samedis soir à errer sur Tinder. Alors, quand Paula s’arrête sur Rodrigo parce que, en dépit de son petit bourrelet, elle kiffe son profil, vous lui sortez un gros « T’es folle, autant choisir un avion de chasse, meuf » !

C’est oui M C’est non

M

Cher Jean-Jacques, franchemen­t chapeau ! Fallait oser, en 1987. À l’époque, l’Insee ne comptabili­sait même pas les divorces et l’on venait seulement de proclamer « l’égalité des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs ». Alors, écrire une chanson sur une femme qui décide de devenir mère toute seule parce qu’elle l’a décidé, c’était couillu ! Oui, oui, on parle bien d’Elle a fait un bébé toute seule, cette fameuse ritournell­e qui, aujourd’hui encore, passe environ six fois par jour sur Chérie FM et dont la France entière connaît les paroles par coeur. Est-ce un mal ? Pas forcément.

Car, mine de rien, t’as fait entrer la figure encore taboue des mères célibatair­es dans la culture populaire, JeanJacque­s. Et tu l’as même rendue cool. Et, pour ça, on te dit merci. En plus, t’étais pas à côté de la plaque. « Elle court toute la journée, de la nourrice à la baby-sitter, des paquets de couches au biberon de quatre heures », dis-tu. Célia* confirme : « Le morceau résume bien les choses. » Et puis, tu décris pas mal le contraste entre ce quotidien de warrior et la joie d’être mère. « Elle colle vachement à ma vie et à mes ressentis, assure Mam, même en 2021. »

Cependant, ta nana, « elle court de décembre en été », et Katia aimerait te dire que, de son côté, c’est aussi le cas en automne et au printemps. Par ailleurs, elle « fume, fume, fume, même au petit déjeuner » et, ça, c’est plus possible, Jean-Jacques… Le tabac tue, c’est écrit sur les paquets. Bon, t’as une excuse, à ton époque, on fumait dans les bars et les lieux publics, mais, quand bien même, Katia l’assure, « quand t’es seule avec un bébé ou un enfant, la clope, c’est vraiment no way ».

L’argent ne coule pas à flots

Tu as voulu véhiculer une image de Femme libérée façon Cookie Dingler (tube sorti avant le tien) en présentant ta maman solo vivant « comme dans tous ces magazines où le fric et les hommes sont faciles ». Ça part d’une bonne intention, mais tu rêves, tu sais. Dans les familles monoparent­ales, l’argent ne coule pas à flots. Quant à la partie cul, les rendez-vous galants avec un·e mioche sous le bras, c’est moins pratique… Et puis la « nouvelle féminité », c’est plutôt de kiffer le célibat. « Je défais mon grand lit toute seule, témoigne Katia, mais je suis tellement en vrac le soir que j’en suis ravie ! » Mam, elle, te rejoint sur un truc quand tu parles de « ces années un peu folles où les papas n’étaient plus à la mode » : « Chez moi, les papas ne sont toujours pas à la mode ! J’aime mon indépendan­ce. » Et il n’y a pas que des femmes hétéros qui font des bébés seules, Jean-Jacqueeeuh ! Par contre, carton rouge sur ta chute. Ce narrateur, l’ami qui aide ta maman solo et partage certaines de ses nuits que tu compares à un « grand frère un peu incestueux », ça passe mal aujourd’hui. Aïe aïe aïe ! Culture du viol, J.-J. ! Bon, c’est mignon de l’entendre regretter de ne pas être le père de l’enfant. Mais

« fallait se réveiller avant, rouspète Mam.

Certains hommes loupent le coche, car ça n’est jamais le bon moment pour eux. On n’est pas obligées de les attendre ! » Comme le prouve ta chanson, d’ailleurs, on n’a pas attendu 2021 pour le faire.

Alors, merci encore, Jean-Jacques. On espère t’avoir convaincu qu’il serait temps de nous inventer de nouvelles chansons d’avant-garde. Depuis toi, personne n’a chanté les mères en PMA. Et y a encore du tabou à détricoter.

Des papouilles !

* Le prénom a été modifié.

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