L , indécrottable problème des toilettes
Les sanitaires dans les écoles : une vision de l’enfer. La pandémie aurait dû créer un électrochoc, et pourtant… Pourquoi tant de haine pour les cuvettes scolaires ? Causette a mené l’enquête.
du Snuipp-FSU, premier syndicat des professeur·es des écoles. « C’est aussi la principale préoccupation des parents, en particulier au primaire », précise Rodrigo Arenas, coprésident de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). Ils et elles voient bien leur progéniture se précipiter au petit coin au retour à la maison. Plus d’un enfant sur deux se retient à l’école1. Soit les deux tiers de leurs journées. Les conséquences sur leur santé, dont la constipation chronique et les infections urinaires à répétition, ne sont pas anodines.
Pénurie de cabinets
Pas de surprise devant ces chiffres. Le mystère réside plutôt dans la permanence de la situation. « On identifie bien le problème, mais on ne parvient pas à travailler dessus, constate, désabusée, Guislaine David. Ce n’est jamais la priorité. Les toilettes passent toujours après la sécurité, après l’aménagement des classes, etc. » En 2014, un rapport de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement (ONS), une structure liée au ministère de l’Éducation nationale, révélait que 60 % des WC scolaires étaient bouchés. Le même organisme, à la mi-avril 2020, quelques semaines avant la réouverture des établissements post-confinement, affirmait que 22 % des écoles ne disposaient pas de points d’eau en nombre suffisant pour respecter les contraintes du protocole sanitaire.
Les écoles françaises connaissent une pénurie de cabinets. Ici, dans cet établissement élémentaire de la région parisienne, quatre cuvettes pour cinq cents gamin·es. Là, dans ce collège de la banlieue de Rouen (Seine-Maritime), huit pour neuf cents élèves. Au nombre limité de gogues, s’ajoute la dèche de lunettes. Même dans les toilettes réservées aux profs. « J’ai mené un long combat d’une année et demie pour obtenir une lunette dans nos WC pour les adultes, dans mon bahut », raconte Anna, enseignante d’histoire dans un collège du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), que ses collègues surnomment désormais « Madame Pipi » en salle des profs.
La conception des bâtiments et le manque de personnel préposé au ménage sont les principales causes de cette situation sanitaire catastrophique. Mais les élèves sont aussi montré·es du doigt. « Il en suffit de deux, sur 1400 lycéen·nes, pour pourrir durablement la situation », reconnaît Florence Delannoy, secrétaire générale adjointe du SNPDEN, le syndicat des principaux·ales et proviseur·es. Les lieux d’aisance dépourvus de PQ seraient la conséquence des incivilités répétées. « Quand les agent·es d’entretien débouchent une cuvette pour la troisième fois de la journée, on peut prendre la décision de ne plus laisser de rouleaux de papier dans les sanitaires »,
décrit-elle. « La plupart des sanitaires sont insalubres dans les bahuts, rétorque Mathieu Devlaminck, président de l’Union nationale lycéenne (UNL). Infantiliser les élèves, c’est plus facile que de concevoir autrement ces lieux, qui devraient être tournés vers leur bien-être. »
Pour l’institutrice belge Sophie Liebman, autrice d’un mémoire universitaire sur le sujet 2, une vision ancienne imprègne encore le sujet. « Depuis que l’école existe, les WC y ont été conçus comme des lieux répulsifs où les enfants devaient rester le moins longtemps possible. Parce que les maîtres craignaient qu’ils y découvrent leurs corps et s’y adonnent à la masturbation »,
développe-t-elle.
Le génie administratif français
La pandémie a remis la question sur le tapis, mais n’a pas servi d’électrochoc. Au ministère de l’Éducation nationale, l’épineuse question des toilettes relève, depuis peu, d’une toute nouvelle cellule consacrée au « bâti scolaire ». Elle s’est attelée à la rédaction d’un « référentiel sur les modalités de conception, d’aménagement et d’équipement des sanitaires ». Publication prévue au cours du premier semestre 2021. « Il précisera notamment le dimensionnement à respecter (surface, points d’eau en fonction du nombre d’élèves), ainsi que des modalités concrètes, comme les cloisons sur toute la hauteur, type de verrous à privilégier, etc. », détaille Sidi Soilmi, responsable de ce service. Du génie administratif comme la France sait en produire. « Mais très peu de sanitaires mobiles ont été installés dans les cours de récréation, comme nous le réclamions depuis le mois de mai dernier », regrette Rodrigo Arenas. En Belgique, où une opération de grande ampleur a été menée dans le cadre du projet « Ne tournons pas autour du pot ! », on conseille pourtant des solutions adaptées à chaque établissement plutôt qu’un ensemble de normes nationales. « Et toujours intégrer les élèves dans la réflexion pour qu’ils se sentent concernés par le respect des lieux », insiste Valentin Dellieu, chargé du projet belge.
En France, au ministère, on renvoie sur les collectivités locales, chargées des bâtiments scolaires. À l’Association des maires de France, aucun·e élu·e ne veut répondre à la question. On n’est pas sortis de la cuvette…
1. Sondage Ifop-Essity, 2018.
2. « Analyse sociopédagogique de la place du corps à l’école primaire : le cas particulier des toilettes », de Sophie Liebman, 2008-2009.
Plus d’un enfant sur deux se retient à l’école. Les conséquences sur leur santé, dont la constipation chronique et les infections urinaires à répétition, ne sont pas anodines
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