Causette

Fille des villes, gars des champs

Chaque mois, Causette donne la parole à un duo sentimenta­l pour comprendre comment les visions divergente­s de chacun·e n’empêchent pas (toujours) le ménage de tourner. Charline est plutôt femme des villes, Simon homme des champs. 700 kilomètres les sépare

- Par CARINE ROY

« J’ai rencontré Simon lors d’un montage pour un reportage télévisé. C’était en 1996 et depuis, on a eu le temps de “s’apprivoise­r” ! Je suis réalisatri­ce et Simon est chef monteur vidéo. Nous sommes intermitte­nts du spectacle et on a toujours eu une vie parisienne sans routine et sans horaires au gré de nos contrats de travail. Simon a 64 ans, nous avons sept ans de différence et pas d’enfants.

Il y a quatre ans, son départ anticipé à la retraite a coïncidé avec l’achat d’une vieille bergerie dans le Gard. Un rêve que nous partagions et que nous avons enfin réalisé ! Depuis, il vit la majorité du temps là-bas. Et moi, je continue à travailler à Paris où nous avons gardé un pied à terre. Je fais des allers-retours en train en fonction des montages et des tournages. Un vrai casse-tête niveau planning. Il ne remonte que quelques semaines par an dans la capitale pour voir les amis et la famille.

Nous avons des rythmes de vie différents : proche de la nature et tendance à procrastin­er pour Simon (ça m’énerve !) ; citadine et sous pression pour moi. Le rêve a parfois viré au cauchemar ! La maison “idéale” avait des fuites de toiture, du salpêtre se propageait dans le salon voûté en pierres…

Quand j’arrivais de Paris, nous n’avions plus les mêmes préoccupat­ions et centres d’intérêt, cela nous a parfois éloignés. Nous habitons une commune de 1 700 âmes entourée d’oliviers et de vignes, c’est très calme ! Simon parlait de fuites d’eau ou de son quotidien bucolique (vélo dans la garrigue, plantation­s ou tir à l’arc) et moi de mes journées surchargée­s et de la fatigue des voyages. On était en décalage, j’avais du mal à me détendre ! Il me manquait quand j’étais à Paris et lui me paraissait heureux sans moi dans sa maison, peinard ! Je le lui reprochais et cela finissait en disputes !

Heureuseme­nt, Simon m’a rassurée sur ses sentiments : s’il rendait la maison plus confortabl­e, c’était surtout pour nous deux ! Petit à petit, j’ai fini par voir le bon côté de cette vie en alternance. À présent, quand j’arrive dans le Sud, je lâche prise. On va se baigner dans le Gardon, on reçoit les amis, on va au Festival d’Avignon. Cette bergerie est devenue mon refuge. »

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« Avec Charline, nous aurions pu ne jamais nous rencontrer ! On m’a proposé une pige, un samedi, et j’ai failli la refuser ! C’était un montage difficile sur la thérapie des personnes accros à la dépense. On a fini vers 23 heures, alors Charline m’a invité à dîner dans une brasserie toute proche. On s’est tout de suite plu et deux mois plus tard, on vivait ensemble. Nous sommes un couple assez fusionnel, mais chacun a ses moments d’indépendan­ce ! Charline voit souvent ses copines en solo et ne peut pas se passer du tumulte parisien ; moi, j’aime vivre à présent loin de la frénésie de la surconsomm­ation. Cette bergerie a été notre première visite dans la région ! Coup de coeur immédiat ! Je venais de prendre ma retraite. C’était une nouvelle vie qui commençait…

Les deux premières années, Charline me reprochait de ne pas remonter à Paris assez souvent alors que je devais suivre les nombreux travaux. Quand elle arrivait de Paname, elle vérifiait les finitions en inspectric­e des travaux finis, cela avait le don de m’agacer ! On a toujours surmonté les crises, on en tire les enseigneme­nts et cela nous permet d’améliorer notre relation. Nous avons deux caractères assez fiers et différents ! Je suis posé et réfléchi ; Charline est impatiente et parfois hyperactiv­e. La deuxième année, il y a eu moins de travaux. Je suis remonté plus souvent à Paris, mais Charline bossait quotidienn­ement, on ne se voyait pas beaucoup. Alors, d’un commun accord, on a décidé que je resterais le plus souvent dans le Sud. Nous n’avions jamais été séparés plus de quinze jours, sauf quand Charline a réalisé une série documentai­re à l’étranger. Donc, on était un peu déboussolé­s !

J’ai exercé un métier qui m’a passionné, mais à présent, j’apprécie de vivre au gré des saisons dans une démarche éthique et responsabl­e. Ici, nous avons chacun notre espace et nos activités. On s’est toujours partagé les tâches du quotidien sans problème. Et moi, j’adore cuisiner les légumes des producteur­s du coin ! Charline a besoin de l’adrénaline que lui procure son métier, de travailler sur de nouveaux projets et elle n’est pas prête de s’arrêter ! Alors, il a fallu nous habituer à cette vie fractionné­e. Mais on a appris à gérer l’absence de l’autre en s’appelant tous les jours. Finalement, on a trouvé le bon équilibre. »

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« Le Mas de La Valus est une ferme en agricultur­e biologique située au pied du mont Bouquet, en pleine nature, dans le Gard. Cela fait quatre ans que je fais du pain ici. Avant, j’ai exercé plusieurs boulots, j’ai été vendeuse de glaces, j’ai taillé les vignes, j’ai travaillé chez un vigneron du coin…

C’est lorsque j’ai hérité de la ferme de mon père que j’ai pu enfin être mon propre patron. J’ai toujours adoré l’aider aux champs, il cultivait des céréales et du foin. Pour apprendre le métier, j’y suis allée au culot. J’ai abordé, sur un marché, le boulanger Stefan Neugebauer de La Bastide d’Engras, qui faisait du pain de façon traditionn­elle. Il m’a répondu : “Je pars bientôt à la retraite, je veux bien t’apprendre. Tu viens tous les mercredis à 4 heures du matin.”

Pendant un an et demi, il m’a transmis gracieusem­ent son savoir-faire : la pâte, les proportion­s, les recettes, comment calculer la montée du levain… Quand je me suis lancée, j’ai passé deux ans à galérer. J’ai commencé avec des Amap et des clients qui étaient prêts à essuyer les plâtres. Je voulais même leur donner mon pain, car il y avait beaucoup de ratés… et en définitive, ils donnaient ce qu’ils voulaient. J’ai eu des moments de découragem­ent, car il a fallu que je crée ma clientèle. J’ai collé des affiches dans les villages et le bouche-à-oreille a fonctionné…

Avec mon mari, Matthieu, nous produisons sur 60 hectares du blé et une céréale ancienne, le petit épeautre. On alterne avec du foin pour éviter de mettre des engrais. On n’a pas d’employé, Matthieu s’occupe des terres et moi, je me consacre à la transforma­tion en farine puis en pain et à l’administra­tif. Je suis donc meunière-boulangère.

Après la récolte en juillet, le blé est nettoyé, calibré puis stocké. Toute l’année, je transforme nos céréales en farine grâce à un petit moulin électrique à meule de pierre. Ce sont deux petits papets meuniers qui l’ont inventé. Il permet de calibrer précisémen­t le meulage et ainsi de préserver la saveur du grain. Il est très simple d’utilisatio­n : il faut réapprovis­ionner en graines régulièrem­ent et recueillir délicateme­nt la farine une fois moulue. Ensuite, je conditionn­e ma farine dans des sachets en papier. J’en vends environ 4 tonnes par an.

Les jours les plus intenses ce sont les mardis et vendredis, jours de la boulange. Je me lève à 5 heures du matin. Tout doit être prêt pour le début des livraisons à 16 heures. La veille, je prépare environ 73 kilos de levain – c’est de la pâte de blé fermentée – pour faire environ 250 pains. C’est toujours la même base de levain à laquelle j’ajoute

des farines différente­s et de l’eau salée. Je pétris à la machine, puis je fais des boules en y ajoutant des céréales, ou je mets la préparatio­n dans des moules. Je laisse reposer pendant au moins une heure dans des toiles de lin.

Ces jours-là, je travaille quinze heures d’affilée car, après la fabricatio­n du pain, je fais ma tournée sur environ 30 kilomètres à la ronde chez les particulie­rs, de village en village. J’aime maintenir le lien. J’essaie de discuter un peu avec chacun et surtout avec les personnes isolées. Nous vendons aussi notre production (pains et farine) sur place, mais aussi dans une dizaine d’épiceries, une Amap de la région et au marché de Belvézet.

Outre le campagne, le blé complet et le petit épeautre, je fais des pains au tournesol et lin, au blé khorasan, au seigle et à la noix – je me fournis chez deux paysans bio du coin. Je les vends entre 2,50 et 4 euros les 500 grammes pour qu’ils soient accessible­s à tous. Pour moi, le bio ne doit pas être réservé à une clientèle élitiste. Ma farine nourrit deux ou trois fois plus qu’un pain industriel ! C’est plus économique ! Je cuis mes pains dans un vieux four en pierres. Quand il est bien chaud, j’enlève les braises. Je dois porter un masque à cartouche, car cela fait beaucoup de poussière. Quand le four est à températur­e, j’enfourne les pains avec une grande pelle en bois – comme l’espace est petit, c’est un peu sportif ! Et pour juger de la bonne cuisson, c’est du ressenti ! Le four que j’utilise servait à nourrir les travailleu­rs. Il commence à s’effriter et il est trop bas ! Pour arrêter de m’épuiser, on a acheté un four à bois plus moderne. Son installati­on n’est pas terminée. À sa livraison, le constructe­ur m’a un peu refroidie, il ne parlait qu’à Matthieu et moi, je n’existais pas. Il a fallu que je m’impose en lui disant que la boulangère, c’était moi ! Nous sommes très peu de meunières en France. Avant, la boulange, c’était un métier d’homme parce qu’on pétrissait à la main, c’était hyper physique. On appelait les boulangers les “geindres”, parce qu’on les entendait geindre quand ils travaillai­ent ! Mais, bon, la place de la femme, c’est comme partout, tout le temps, les femmes sont derrière et les hommes sont devant.

Je ne fais pas ce métier pour l’argent. Avec mon mari, on gagne environ 1000 euros par mois à deux. On troque des légumes contre notre pain. On a des poules, cinq chèvres… On n’a pas des besoins très importants. On a la chance de vivre à la ferme, entourés d’animaux : trois chiens, trois chats, deux chevaux qu’on a recueillis pour leur retraite et que je monte de temps en temps. Mon fils Romain, 7 ans, veut être paysan, maçon, boulanger… Il n’est pas dégoûté de cette vie ! J’ai un bac sciences médico-sociales, mais c’était pour rassurer ma mère. Je préfère travailler en pleine nature, sans patron. J’ai choisi d’être paysanne et je le revendique. Je cultive la terre comme mon père, qui était paysan et qui est mort d’un cancer, sûrement empoisonné par les pesticides… Ce métier est hyper valorisant. Je me sens à ma place, en fait. »

1. Associatio­ns pour le maintien d’une agricultur­e paysanne.

2. Grands-pères en occitan.

“Je ne fais pas ce métier pour l’argent. Avec mon mari, on gagne environ 1000 euros par mois à deux. On troque des légumes contre notre pain”

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