Causette

L’enchanteus­e

- Par CATHY YERLE

Ma voisine Mona est chanteuse. Elle est toujours de bonne humeur. Quand j’ai le blues, le soir, je descends chez elle pour qu’elle me parle de rock.

Autour d’une tisane, elle me raconte sa jeunesse, les tournées dans le camion avec « rien que des gars », des poilus, barbus et tatoués qui l’ont toujours traitée en soeur. Ensemble, ils ont fait le tour de France, plusieurs fois. Elle a connu les concerts dans des garages, les festivals qui sentent la bière, le pétard et la sueur, les squats, les MJC.

Et puis le groupe a splitté, certains se sont mariés, y en a même qui sont morts.

Depuis elle est « chanteuse tout-terrain », comme elle dit. Elle chante en robe à paillettes pour des orchestres de bals populaires, en fourreau glamour sur des bateaux-mouches, en robe à pois dans des prisons pour un peu d’évasion, dans des supermarch­és déguisée en mère Noël pendant les fêtes de fin d’année, dans des bars pour l’arrivée du beaujolais nouveau, pour les 14-Juillet juste avant le feu d’artifice et lors d’anniversai­res, de mariages et même de quelques enterremen­ts.

Elle donne aussi des cours à de futures vedettes qui préparent les émissions de télé-réalité, qui y croient dur comme fer, la regardent un peu de haut, ne comprennen­t pas pourquoi elle vit dans un 45 mètres carrés et ne roule pas en limousine avec un chauffeur, elle qui chante si bien, encore, pour son âge…

D’ailleurs, je n’arrive pas à lui donner d’âge à Mona. Un jour, je lui ai demandé si elle allait bientôt prendre sa retraite. Elle a rigolé jaune, elle m’a dit que ça, c’était pour les fourmis, que tant qu’un son sortirait de son bec de cigale elle continuera­it à raconter des histoires en chantant.

Elle se verrait bien sur scène pour ses 100 ans, pas à l’Olympia, trop ringard qu’elle dit avec un clin d’oeil, mais Chez Lili, le petit caf’conc’ de son village natal, payée au chapeau, entourée de tous ses potos, venus pour rire et pleurer en écoutant ses chansons qu’elle écrit elle-même avec ses petits doigts pleins de bagues en argent.

Quand le virus est arrivé, Mona, comme tout le monde, s’est retrouvée en cage. Alors pour donner de la joie aux pauvres gens enfermés chez eux avec leur télé et aussi parce qu’elle adore les applaudiss­ements, elle s’est mise à piailler joliment avec sa guitare au bord de sa fenêtre, au grand dam de Roger, le voisin du quatrième, qui dit que les artistes c’est tous des parasites, des fainéants et qu’ils ne servent à rien.

En ce moment, elle chante dans les Ehpad, pour celles et ceux qui ont survécu au virus, à la solitude et aussi parce que, avec les églises, ce sont les seuls endroits où on peut encore faire des concerts.

Elle a dessiné un beau sourire sur son masque et comme un pied de nez à Roger qui la regarde partir depuis son balcon, elle a écrit en grosses lettres sur le capot de sa vieille Renault le mot « essentiell­e ». Et roule ma poule qui picore son pain dur en chantant de sa plus belle voix devant un vieux public ravi, quoiqu’un peu somnolent.

La seule chose qui la rend chagrine, Mona, c’est quand on lui demande si chanteuse, c’est un vrai métier.

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Durant la Seconde Guerre mondiale, les Hagnauer ont fondé une école hors norme, refuge d’enfants juif·ves.

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