Des vertes et des pas mûres
Masques jetables : on se voile la face
“Nous rapatrions les déchets venus de toute la France en Touraine pour les transformer. L’enjeu serait de dupliquer ce modèle sur tout le territoire” Guillaume Labarrière, cofondateur de Neutraliz
Depuis le début de la pandémie, l’utilisation des masques jetables a explosé. Balancés avec les ordures ménagères, ils ne sont pas recyclés et constituent une source de pollution plastique dont la planète se passerait bien. Problème : les solutions pour remédier à ce fléau tardent à se mettre en place.
2020, année de merde et de plastique. L’apparition de l’épidémie de Covid-19 a provoqué une explosion de l’utilisation des masques à usage unique composés principalement de polypropylène, l’un des plastiques les plus répandus. Selon une estimation de l’Agence pour la diffusion de l’information technologique (Adit), entre 6,8 et 13,7 milliards de masques jetables auraient été utilisés en France l’an dernier. Et ça semble mal parti pour que 2021 diffère en la matière. « Si chaque personne dans le pays utilise deux masques à usage unique par jour, ça fait 400 tonnes de déchets plastiques produits en plus, se désole Juliette Franquet, la directrice de l’ONG Zero Waste France. Et ils viennent évidemment s’ajouter à tout ce qui circule déjà. »
Du côté de la Direction générale de la prévention des risques, la DGPR, on évalue plutôt ce gisement de déchets à 40000 tonnes par an. Les chiffres ne concordent pas, mais le constat, lui, est sans appel : nous sommes face à un vrai fléau pour l’environnement. « Il n’y a pas si longtemps, le plastique était notre pire ennemi,
se souvient la députée LREM du Jura, Danielle Brulebois, à la tête d’une mission d’information sur le traitement des masques usagés. Les enjeux sanitaires ont rebattu les cartes et il est devenu notre meilleur ami. Dans la mesure où l’État impose le port du masque et que la version jetable est entrée dans les moeurs, nous devons nous inquiéter de ce que deviendra cette matière non biodégradable. »
Bons à recycler
Il y a en effet de quoi s’inquiéter. Dans le pire des cas, le masque finit aux toilettes – si, si, on vous jure que des masques usagés flottent dans les stations d’épuration aux côtés de lingettes et de tampons – ou par terre (geste passible de 135 euros d’amende, pour rappel). Dans tous les cas, les déchets risquent de se retrouver dans les eaux usées et, in fine, dans la mer ou l’océan. « Selon des estimations, on pourrait s’attendre à ce qu’environ 75 % des masques utilisés, ainsi que d’autres déchets liés à la pandémie, se retrouvent dans des décharges ou flottent dans les mers », s’est alarmé l’ONU dans un article mis en ligne en juillet 2020 *. Dans le moins mauvais des cas, les masques atterrissent dans la poubelle verte, celle des ordures ménagères, et sont incinérés en envoyant au passage des nanoparticules dans l’atmosphère, ou enfouis sous terre où ils mettront des centaines d’années à disparaître.
C’est « moins mauvais », mais c’est loin d’être idéal. Pour le moment, il n’existe pas de filière de recyclage dédiée. Jusqu’à présent, l’usage des masques chirurgicaux se limitait au secteur médical et ces derniers étaient considérés comme des déchets d’activités de soins à risques infectieux (ou Dasri), traités et enterrés selon des règles bien spécifiques. Désormais, ils sont un accessoire du quotidien. Mais le problème ne semble pas avoir été pris à bras-le-corps. « On constate quelques initiatives encourageantes de collecte, de tri, de décontamination et de recyclage des masques dans certaines villes, souligne Danielle Brulebois. Mais dans la mesure où la collecte des ordures relève des collectivités locales, il n’y a pas d’homogénéité sur l’ensemble du territoire. » Il faut donc compter sur les bonnes volontés locales.
Guillaume Labarrière est installé à Tours. Il vient de cofonder avec son associé l’entreprise Neutraliz, qui récupère les masques usagés dans des bornes transparentes de 50 litres, avant de les acheminer dans un centre de traitement de déchets doté d’un tunnel de décontamination où ils sont transformés en
granulés de polypropylène. Ces granulés servent ensuite à l’industrie textile (pour fabriquer des tenues de sport, par exemple) ou à la plasturgie. « Tout le monde a conscience qu’il faut faire quelque chose de ces masques, estime le chef d’entreprise en passe d’équiper une partie de la région Centre-Val de Loire. On reçoit des demandes venues de toute la France et nous rapatrions les déchets en Touraine pour les transformer, mais ça n’a pas de sens de leur faire traverser le pays. L’enjeu, ce serait de dupliquer ce modèle de transformation sur tout le territoire. » Il attend du gouvernement qu’il « simplifie le millefeuille administratif actuel » car les règles manquent de clarté. « Le statut de ces déchets est soumis à interprétation permanente de la part des agences gouvernementales. Selon sa provenance, c’est tantôt un Dasri tantôt un déchet ménager », remarque le dirigeant.
Une autre demande revient régulièrement parmi les professionnels : la création d’une sorte d’éco-contribution ou REP (pour Responsabilité élargie des producteurs) imposée aux importateurs ou aux distributeurs de masques, afin de financer la mise en place d’une éventuelle filière de recyclage spéciale. Ces propositions, la députée Brulebois assure les regarder « avec attention ». « Nous travaillons à la rédaction d’amendements sur cette question des masques qui pourraient figurer dans le projet de loi Climat et résilience présenté à l’Assemblée dans les prochaines semaines, poursuit-elle. Je réfléchis aussi à une proposition de loi dédiée afin de clarifier et d’accélérer les choses. »
Privilégier le tissu
En attendant que les textes évoluent, les masques à usage unique poursuivent leur vie éphémère et polluante, au grand désespoir de Juliette Franquet, de Zero Waste France. « Nous ne sommes pas hostiles au recyclage, mais il ne doit intervenir qu’en ultime recours, analyse-t-elle. Avant d’investir de l’argent public dans de futures usines, il semble plus souhaitable de pousser l’utilisation du masque réutilisable, celui en tissu de catégorie 1, qui, à l’heure où je vous parle, est jugé aussi protecteur par les autorités de santé. Je regrette que cette option ne soit pas davantage mise en valeur par les pouvoirs publics. » 2021, année du tissu ?
* Article « Cinq choses à savoir sur les masques jetables et la pollution plastique », paru sur le site ONU Info, le 29 juillet 2020.