Le lance-flammes de Lauren Bastide
On ne naît pas blonde, on le devient. Cette phrase m’est venue devant deux documentaires récents consacrés à deux héroïnes populaires : Britney Spears et Loana. Loft Story, c’est en 2001. L’année d’I’m a Slave 4 You, de Britney. L’année de mes 20 ans. Je portais des jeans taille basse et j’étais allée faire mon premier « balayage californien » chez Dessange. Vingt ans plus tard, on assiste à un réveil collectif sur ce que la trajectoire de ces icônes raconte de la domination masculine. Pour les quadragénaires comme moi ou Paul Sanfourche – auteur de Sexisme Story (éd. Seuil), qui explore la vie de Loana à travers le prisme du genre – qui avons regardé Loft Story au premier degré et traqué les paparazzades de Britney sur le blog Perez Hilton, ce réveil est violent.
Dans les deux docus, on aperçoit Britney et Loana enfants, fillettes timides à chevelure châtain, et ce sont ces photos qui m’ont fait réaliser qu’on ne naît pas blonde, mais qu’on le devient (dans son livre, Paul Sanfourche rappelle qu’une blonde sur deux est une « fausse » blonde). Il y a un moment de bascule, un choix de transformation conscient, qui passe, pour les deux stars, par la décoloration capillaire – ainsi que la pose d’implants mammaires. C’est un effort. Une performance. Un « travail de genre », comme dirait sans doute le sociologue Sam Bourcier 2. Pourquoi accomplir ce travail ? Pour coller à un standard de beauté contemporain raciste, validiste et grossophobe qui appelle « canon » des femmes blondes, blanches et minces. Titre qui octroie à ces femmes le droit d’être vues et d’avoir un nom. Le droit de s’extraire de l’invisibilité et de l’espace privé afin d’exister dans l’espace public. Mais attention, cette autorisation est une sorte de contrat à la Petite Sirène : je te donne des jambes mais je te prends ta voix.
Loana et Britney ont dû accepter le harcèlement sexuel massif et la violation permanente de leur vie privée, des traumatismes récurrents qui, à terme, ont eu raison de leur santé mentale. Elles ont dû accepter de voir remise en cause leur capacité à décider, voire à penser – alors qu’on sait que Loana est pourvue d’un quotient intellectuel hors normes. Britney Spears, mise sous tutelle de son père, Jamie, en 2008, n’a plus aucune prise sur sa carrière, sa santé et l’éducation de ses enfants, mais est estimée suffisamment autonome pour continuer à travailler et à rapporter de l’argent. Évidemment que l’argent est au coeur de tout cela. Dans le documentaire de C8, Benjamin Castaldi énumère avec gourmandise le montant des contrats raflés par Loana à la sortie du loft, dont une immense partie est allée à la boîte de production de Loft Story. Dans Framing Britney Spears, son avocat se livre au même exercice, millions qui se déversent massivement dans la poche de son père et des hommes qui traversent brièvement sa vie. C’est l’histoire de deux petites filles qui voulaient être vues et aimées. Et puis le patriarcat est venu réclamer son dû.
1. Framing Britney Spears, produit par le New York Times, et Loana : une lofteuse up and down, sur C8.
2. Une thématique abordée dans Queer Zones
(éd. Amsterdam) et dont il parle dans son épisode de La Poudre.