Causette

Le questionna­ire de Woolf

Elle est la grâce et la délicatess­e mêmes. Dans la saison 2 d’Hippocrate (voir p. 81), diffusée sur Canal+ à partir du 5 avril, Anne Consigny incarne toujours avec autant de brio Muriel Wagner, cheffe du service de réanimatio­n.

- Propos recueillis par SARAH GANDILLOT

Anne Consigny

Causette : Les livres marquants de la « bibliothèq­ue » de vos parents ?

Anne Consigny : Je me souviens de Claudel, Bécassine, Sempé. Mais aussi Le Petit Prince, d’Antoine de Saint-Exupéry ; Le Vieil Homme et la mer, d’Ernest Hemingway ; Au nom de tous les miens, de Martin Gray. Je me souviens de la décision prise d’acheter l’Encyclopae­dia Universali­s, son arrivée et sa découverte.

Les lieux de votre enfance ?

A. C. : Sous l’escalier qui mène à la petite chambre sous les toits, c’était ma cachette, ma maison. Sur le petit muret de notre maison qui jouxte l’église, où les gens arrivaient en courant en retard, la tête en bas, honteux sans doute de quelque chose, que Dieu seul savait ! Dans l’escalier de la cave où ma maman me mettait quand je ne finissais pas mon assiette. Je croyais qu’il y avait des loups. Sous la table, pour la galette des Rois. Sur la rampe de l’escalier pour descendre plus vite. Sur le toit de la maison pour jouer à cache-cache, pas du tout consciente du danger.

Sur le trottoir en sortant de la piscine municipale d’Alençon, les lèvres bleues, les dents qui claquent et qui mordent dans le pain beurré accompagné d’un gros morceau de chocolat noir très dur.

Dans le métro, les patins sur l’épaule avec ma grande soeur. Elle m’apprenait des poèmes sur le chemin.

Au cinéma d’Alençon. Ma mère voulait aller au ciné. Mon père n’était pas là, alors elle emmenait ses quatre enfants, 4, 6, 8, 10 ans. Le film me faisait peur, je me cachais sous le siège. 4 ans, c’est petit pour voir Le Docteur Jivago.

Sur la plage arrière de la voiture, une R8 bleue, quand on voyageait à six dans une petite voiture sans ceinture et avec cendrier.

Sur les graviers du jardin, où je jouais aux petites voitures avec délice et avec Thierry. À l’épicerie-bar du village. Chez le fermier d’à côté pour aller chercher le lait. Sur le frigo, il y avait une photo d’un couple joyeux. C’était son fils et sa fiancée, ils étaient dans ce beau cadre sur cette belle photo avec une petite dentelle dessus parce qu’ils étaient morts le jour de leur mariage dans un accident de voiture. Leurs corps avaient été coupés en deux, on avait trouvé les quatre morceaux sur la route, dans ma petite tête en tout cas, c’était ça que les grands racontaien­t.

Dans l’église vide quand j’aidais madame Perodon, la dame de la belle maison un peu plus loin après le cimetière, avec son mari de 90 ans qui faisait encore du vélo, d’une manière très belle, très lente, très sûre. Je l’aidais ou bien peut-être seulement je la collais pendant qu’elle changeait l’eau des vases. Des grands vases pointus en matière qui ne se casse pas, mais qui ne se nettoie pas non plus, ils sentaient l’eau croupie des marguerite­s... Sur la route, courant derrière les vaches, en fin de journée, fière d’avoir droit à cette liberté !

Dans les cuisines de l’école de cuisine de ma grand-mère, Le Cordon bleu. Les chefs étaient très grands, très gros aussi mais gentils. Elle, elle était la cheffe, enfin, la patronne quoi. Ils l’aimaient bien et se faisaient tout petits devant elle. Pourtant, elle était petite, et près d’elle, je me sentais grande, presque autant qu’elle.

La gare d’Orsay, mon premier lieu de travail, sous le chapiteau, avec Jean-Louis Barrault. C’est là que j’ai commencé à jouer avec les grandes personnes.

Dans les bras de ma grand-mère pour avoir un câlin sans raison. Sur les genoux de mon père pour qu’il nous raconte une histoire de souris. Dans les jupes de ma mère pour lui raconter ma vie.

Avec qui aimeriez-vous entretenir une longue correspond­ance ?

A. C. : Blanchot. Chaque fois que j’ai besoin de nourriture, quel que soit le sujet, je la trouve en piochant chez lui. Il vient à moi et me tire vers le haut.

Une grande histoire d’amour avec une personne du même sexe ?

A. C. : Michelle Obama, pour connaître son mari.

Que faites-vous dans vos périodes de dépression ?

A. C. : Ma mère dit : « Tu n’en as pas, de période de dépression. »

Que faites-vous dans vos périodes d’excitation ?

A. C. : Ma mère dit : « Tu fais l’amour, essentiell­ement l’amour. »

Votre remède contre la folie ?

A. C. : Être comédienne.

Vous créez votre maison d’édition. Qui publiez-vous ?

A. C. : Florence Seyvos, mais elle est déjà prise heureuseme­nt ! Karen de Loisy fait ça très bien aux éditions VillaRrose, avec des textes oubliés.

Vous tenez salon. Qui invitez-vous ?

A. C. : Plutôt que « faire salon », je préfère passer du temps avec ma famille, mes amis. Je les invite souvent.

Le secret d’un couple qui fonctionne ?

A. C. : La confiance.

La chose indispensa­ble à votre liberté ?

A. C. : La démocratie.

Le deuil dont vous ne vous remettrez jamais ?

A. C. : J’espère que je n’aurai jamais à le vivre.

Que trouve-t-on de particulie­r dans votre « chambre à vous » ?

A. C. : Mon mari.

À quoi reconnaît-on un ami ?

A. C. : Sa présence.

Quel est le comble du snobisme ?

A. C. : Trouver que quelqu’un est snob.

Qu’est-ce qui occupe vos pensées « nuit et jour » ?

A. C. : Mes enfants. Au sens large.

Vous démarrez un journal intime. Quelle en est la première phrase ?

A. C. : « Me brûle pas.

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