Causette

Les fruits du scandale

- Propos recueillis par ISABELLE MOTROT

Pourquoi des photograph­ies d’aliments sont-elles aujourd’hui qualifiées de « pornograph­iques » ? C’est à partir de cette interrogat­ion que l’essayiste Nathalie Helal s’est penchée sur les relations troubles qui unissent le sexe et la nourriture. Tout commence par une pomme…

Nathalie Helal, essayiste et journalist­e spécialisé­e dans le domaine culinaire, s’est intéressée aux rapports entre l’érotisme et la gastronomi­e. Dans son livre Même les légumes ont un sexe*, elle raconte l’histoire tumultueus­e qui les lie et explique la symbolique des aliments. Pour Caussette, elle analyse les effets de la libération de la parole des femmes sur la représenta­tion de la nourriture.

Causette : Le début de cette grande relation passionnel­le entre le sexe et la nourriture, pour vous, c’est une histoire de pomme.

Nathalie Helal : Évidemment, c’est le mythe fondateur, l’histoire de la pomme croquée par Adam. Issue de l’arbre de la connaissan­ce, elle est associée pour toujours au péché originel : une fois qu’ils eurent mangé le fruit, Adam et Ève « connurent qu’ils étaient nus, ils cousirent des feuilles de figuier et s'en firent des pagnes » [Genèse III, 7, ndlr]. C’est un fruit à la fois tout à fait ordinaire et hautement symbolique ! On peut parler, entre autres, de la pomme d’amour, confiserie qu’on trouve dans les fêtes foraines aujourd’hui, mais qui n’a pas grand-chose à voir avec celle du XVIIIe siècle, dont parle Maurice Lever dans son Anthologie érotique [Robert Laffont, 2004]. C’était alors une petite boule en forme de pierre dont « la vertu en était si efficace, qu’introduite dans le centre du plaisir, elle entrait dans la plus vive agitation et causait à la femme tant de volupté qu’elle était obligée de la retirer avant que l’effet en cessât […] »

Vous dites que c’est la mode du food porn (lire p. 58) qui vous a donné envie de creuser le sujet. Une fascinatio­n ?

N. H. : Non, un agacement plutôt ! Au début, quand l’expression est apparue, en tant que journalist­e gastronomi­que, j’étais à la fois agacée et intriguée, je ne voyais pas trop ce que des photos de plats pouvaient avoir de « pornograph­ique ». Mais je n’avais pas vu les bonnes photos ! En me plongeant dans les sites dédiés et les comptes Instagram, j’ai découvert des burgers suintants, tout ce gras, des sauces… En effet, il y avait quelque chose d’obscène, qui rappelait la brutalité de la pornograph­ie. J’ai commencé à m’intéresser à cette relation trouble et, très vite, je me suis aperçue que le sujet était bien plus vaste. Il n’y avait aucun livre là-dessus… j’ai foncé ! J’ai parcouru les domaines de l’histoire, de la langue, de la culture, de la société, c’était un travail aussi imposant qu’excitant.

Votre livre a été publié en 2018. Trois ans plus tard, y ajouteriez-vous d’autres considérat­ions ?

N. H. : Sans aucun doute ! Aujourd’hui, notre société est plongée dans une période de passion culinaire, que j’associe à la libération de la parole des femmes. En effet, depuis #MeToo, cette libération avance toujours, on dénonce de plus en plus les harcèlemen­ts, les agressions, les crimes sexuels, on permet aux victimes de s’exprimer et c’est une grande avancée. Mais cette avancée fait peur et s’accompagne pour certains d’une sensation de diabolisat­ion de la sexualité, le fameux « on ne peut plus rien dire ou faire ». J’ai l’impression que c’est en réponse à cela qu’on subit ce flot d’images de plats, d’aliments, de recettes, dans tous les médias, sur tous les réseaux, même sur TikTok on trouve des recettes minute ! Comme si l’alimentati­on offrait une sorte de compensati­on libératoir­e, un domaine où tout est permis, où on peut « se gaver ».

Au cours de vos recherches, quels sont les végétaux dont les pouvoirs vous ont particuliè­rement surprise ou charmée ?

N. H. : J’ai été particuliè­rement amusée de constater à quel point les herbes, celles pour lesquelles « D. se décarcasse », sont de sulfureux aphrodisia­ques ! La sarriette, par exemple, dont le nom latin est « herbe à satyre ». La légende raconte que sur le mont Olympe, la nymphe Laura en faisait prendre à son amant, le satyre Anos, sujet aux pannes sexuelles. La sarriette était un symbole de virilité et de luxure, à tel point qu’elle était interdite dans les jardins des monastères. Et – ce n’est pas un végétal, mais c’était une surprise – j’ai aussi été stupéfaite de découvrir que Richelieu était un adepte du Viagra de son époque, et faisait fabriquer en France des pilules composées d’extraits de mouche cantharide. Efficaces mais redoutable­s pour la santé, voire mortelles. Ces bonbons étaient baptisés « pastilles à la Richelieu ».

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 ??  ?? *Même les légumes ont un sexe, de Nathalie Helal. Éd. Solar, 2018, 208 pages, 18,90 euros.
*Même les légumes ont un sexe, de Nathalie Helal. Éd. Solar, 2018, 208 pages, 18,90 euros.

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