Des études au doigt mouillé
Les magazines regorgent de conseils alimentaires pour booster sa vie sexuelle, preuves scientifiques à l’appui. En réalité, les conclusions des chercheur·euses sont beaucoup moins catégoriques. Un signe de la permanence de la pensée magique en la matière.
Votre vie sexuelle bat de l’aile, la libido en berne ? Ruez-vous sur vos placards et enfilez-vous, sans complexe, une tablette de chocolat. Mais si ! La science vous l’autorise. Vous ordonne, même, de vous gaver de cacao pour rallumer votre flamme. C’est en tout cas ce que rapportent de nombreux articles parus dans la presse. Le chocolat trône immanquablement en première place de ces aliments plaisir qui boosteraient la sexualité. Preuves scientifiques à l’appui ! Enfin… Ces articles assurent que des études démontrent ses bienfaits sur l’activité sexuelle, grâce à la sérotonine et à la phényléthylamine qu’il renfermerait. Une étude italienne établirait même que les femmes consommatrices de chocolat « tendent à avoir une libido plus forte que celles qui n’en consomment pas », rapporte un article publié sur le site The Huffington Post1.
Choux gras au chocolat
Mais quand on gratte, qu’on trouve et compulse le travail des scientifiques, leur avis s’avère moins tranché. Des chercheur·euses italien·nes ont en effet publié, en février 2006, un papier dans The Journal of Sexual Medicine, sous le titre « Chocolate and Women’s Sexual Health : An Intriguing Correlation ». Leur idée de départ : confronter à l’expérience de femmes les supposées qualités aphrodisiaques du chocolat. Et la conclusion à laquelle ils parviennent est différente. Oui, les femmes qui déclarent consommer du chocolat affirment par ailleurs avoir une vie sexuelle épanouie. Mais une autre variable entre en ligne de compte : les amatrices de carrés noirs sont aussi les plus jeunes de l’échantillon. « Lorsque les données sont ajustées pour l’âge, les scores FSFI2 sont similaires, indépendamment de la consommation de chocolat », indique l’équipe scientifique pour conclure. Autrement dit, plus les femmes sont jeunes, plus elles consomment de chocolat. Et plus les femmes
“Ces études et le relais qu’en fait la presse participent à une société de la performance, nocive”
Gérard Ribes, sexologue
sont jeunes, plus elles indiquent être satisfaites de leur sexualité. Davantage que le chocolat, ce serait donc l’âge des femmes qui jouerait sur la qualité de leur vie sexuelle.
Cela n’empêche pas la presse grand public d’en faire ses choux gras. Perpétuant cette idée reçue, très ancienne, du pouvoir aphrodisiaque du cacao. Elle remonte au XVIe siècle, quand les Espagnols le ramènent des Amériques. « On reproduit alors en Europe ce que les conquistadors ont vu des Indiens, qui en consommaient, selon les récits rapportés, avant les actes sexuels. Cette idée reflète aussi les fantasmes de l’époque sur le Nouveau Monde : un paradis luxuriant où des êtres humains évoluent nus », indique Florent Quellier, historien de l’alimentation3.
Pour monsieur, des asperges
Les études bidon ne restent pas circonscrites au chocolat. Toute une série d’aliments sont désignés, dans certains articles de presse, comme bénéfiques ou néfastes pour l’activité sexuelle. À grand renfort de mots compliqués pour décrire les neurotransmetteurs et les hormones qui entreraient en jeu. Mais avec les mêmes exagérations quant aux résultats effectivement trouvés par les scientifiques. Comme cette étude qui, aux dires des journaux qui en rendent compte, apporterait la preuve des bienfaits du régime crétois sur la libido. Encore une fois, le compte rendu scientifique est plus nuancé. La recherche, qui porte sur des femmes « au syndrome métabolique »4, montrerait en effet une corrélation entre une amélioration de la vie sexuelle et l’adoption du fameux régime méditerranéen. Mais, l’équipe de chercheur·euses le souligne immédiatement, « les interventions diététiques multiples, comme dans la présente étude, rendent difficile l’évaluation de l’effet de chacune d’entre elles séparément ».
Les gros titres qui conseillent aussi de se jeter sur le poisson pour rendre sa sexualité plus belle sont du même acabit. Ils se fondent sur une étude qui fait le lien, tout en prenant mille pincettes, sur la faculté de tomber enceinte et la consommation de fruits de mer 5…
Une corrélation qui n’est pas neuve, elle non plus. « Dans les traités de médecine du Moyen Âge, où sont consignées les qualités des aliments, l’une des grandes théories pour faire le lien entre denrées alimentaires et fertilité – qui est la préoccupation autour de la sexualité à cette époque – est la théorie des signatures : manger ce qui ressemble aux sexes féminin et masculin accroîtrait les chances d’avoir une descendance », explique Florent Quellier. Les asperges, les poireaux, les artichauts étaient conseillés à ces messieurs. Quand les dames devaient se précipiter sur les pêches mûres. Et les huîtres. On y revient ! « Le poisson, en revanche, est considéré sous l’Ancien Régime comme humide et figé. Il refroidit les ardeurs », précise l’historien.
« La pensée magique n’a pas disparu,
dit en souriant le psychologue Gérard Ribes6. Et pour le sexe, comme pour le reste, l’effet placebo est puissant. » Mais, en compilant les conseils actuels pour stimuler sa sexualité en mangeant, on remarque qu’ils ne sont pas très éloignés des préceptes diététiques en vogue : des produits de la mer, pas de gras, pas de soda, pas de café… « Dans notre société d’abondance, le contrôle de ce qu’on ingère est devenu une façon de se différencier des autres », constate le sexologue. Avec un risque d’inhiber le désir. « Ces études et le relais qu’en fait la presse participent à une société de la performance, nocive », regrette Gérard Ribes, qui rappelle que « le sexe, c’est le contraire du contrôle puisqu’il s’agit justement d’essayer de lâcher prise ». D’autant que, comme le rappelait Maïa Mazaurette dans une de ses chroniques au Monde, en 2015, « le lien entre minceur et désirabilité n’est pas établi », citant à son tour des études sur le nombre de partenaires plus important des personnes à l’indice de masse corporelle élevé. Vous reprendrez bien un petit carré de chocolat ?
1. « Quatre aliments aphrodisiaques pour améliorer votre vie sexuelle », The Huffington Post, 2013.
2. FSFI, ou Female Sexual Function Index.
3. Il a codirigé Histoire de l’alimentation.
De la Préhistoire à nos jours. Éd. Belin, 2021.
4. Coexistence de plusieurs troubles de santé d’origine lipidique, glucidique ou vasculaire associés à un excès de poids.
5. « Seafood Intake, Sexual Activity, and Time to Pregnancy », The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism, 2018.
6. Directeur de l’enseignement de sexologie à l’université Claude-Bernard Lyon-1, auteur de Je, tu, nous. Le couple, le sexe et l’amour. Éd. In Press, 2019.